CE DONT ON VA PARLER :

J’ai découvert que ma fille se voilait en sortant de la maison. Dois-je faire quelque chose ?

Ma femme passe de plus en plus de temps dans une communauté bouddhiste et elle souhaite s’installer là-bas avec mon enfant. Est-ce risqué ?

Maman héberge dans la chambre d’amie une voyante qui l’aide à communiquer avec l’esprit de papa. Existe-il un danger d’emprise mentale ?

SOURCES :

Rich Alan ROSS, Cults inside out, Createspace Independent Publishing Plateform, South Carolina, 2014, 562 pages.

Margaret Thaler SINGER, Cults In our midst: the continuing fight against their hidden menace, Joley-Bass, San Francisco, 2003, 397 pages.

SYNTHESE :

L’emprise mentale est le processus de conversion dans un mouvement sectaire où radicaliser entraîne des changements notables dont il faut suivre les premiers indices. En effet, la conversion est rarement instantanée et la probabilité est plus grande de sortir quelqu’un en début de schéma qu’en fin de courses. Il faut donc savoir analyser les premiers signes (I), pour adopter les bons réflexes (II).

I. PREMIERS SIGNES

L’emprise mentale est un changement du cadre de référence de l’adepte pour un autre qui est construit et porté par un chef charismatique (voir F.1.2). Le contrôle sectaire de l’esprit propre à l’emprise mentale passe d’abord par la mise en place chez le recruté de nouveaux comportements (a) afin de contrôler un nouveau réseau de croyance (b).

a. Changements de comportements

Les changements de comportement sont les premiers signes. Ils peuvent être aussi variés que les différents mouvements eux-mêmes ; toutefois, ils répondent à une même logique. Par ces premiers changements le groupement sectaire a pour objectif de sortir le recruté du giron familiale ou amical qui pourrait le dissuader de continuer le chemin de transformation. Il y a donc la demande d’adoption de comportements spécifiques, prescriptions positives, et d’interdiction ou d’éloignements du groupe, prescriptions négatives.

Les prescriptions positives peuvent prendre la forme de pratique rituélique, de la lecture compulsive d’une certaine littérature, des changements alimentaires, ou des changements de comportement. Le vocabulaire va aussi évoluer car le dogme sectaire fonde ses propres mots ou slogan. L’indice doit venir d’un changement brutal et profond des habitudes ordinaires de la ligne de base. Il convient dès qu’une sensation de changement se produit de noter scrupuleusement les petites différences pour bien confirmer l’intuition.

Les prescriptions négatives proviennent d’une logique phobique. Pour déconnecter la personne en cours de recrutement de sa famille, le groupe sectaire tente d’induire une phobie de ses proches qualifiés de satanique, d’empêcheur de tourner en rond, avec une logique que tout ce qui va mal leur est attribuable. Les proches peuvent alors percevoir des marques de rejet, d’énervement brutal pour quelque chose qui pourrait paraître anodin, un repli sur soi, une diminution des contacts avec l’ancien cercle de sociabilité pour un nouveau. La famille et les amis sont mis à distance pour favoriser l’émergence d’une bulle autour du recruté.

b. Changements d’état d’esprit

Derrière ces changements d’apparence, il y a quelque chose de beaucoup plus fin qui se joue : un leader charismatique, ou un de ses recruteurs est en train d’insérer de nombreuses croyances, utilisant des procédés psychologiques généralement bien éprouvés et efficaces, pour modifier radicalement le cadre de référence du futur adepte. Le prisme par lequel les différentes réalités sont appréciées se trouvent profondément altérés. Ce changement d’état d’esprit se dénote dans des mouvements de sentiments, l’utilisation d’un vocabulaire qui n’est pas propre à la personne, des attitudes qui ne semblent pas cohérentes avec sa personnalité.

La documentation psychologique montre qu’il y a très souvent dans le cadre d’un embrigadement le développement d’une nouvelle personnalité qui vient en double de l’ancienne. Cette nouvelle personnalité est plus rigide, elle présente moins d’expression et de sentiments, le regard est plus distant ou vide. Il y a des va-et- vient de l’ancienne et de la nouvelle personnalité. Les membres de la famille de victimes parlent d’un dédoublement de personnalité, « c’est comme s’il y avait deux personnes ».

Face à ses premiers signes, que faire ? Comment réagir ? Il est évident que la situation est délicate et qu’il faut être prudent car des faux pas peuvent avoir un effet durablement délétère.

II. PREMIERS REFLEXES

Il convient dans un premier temps de chercher à comprendre et analyser (a) puis de parler à des professionnels de l’emprise mentale (b).

a. Analyser

Il est important de prendre et d’acquérir le plus rapidement possible des informations pour comprendre dans quel mouvement la personne est prise : est-ce un culte international de plusieurs milliers de membres ou un petit groupe pris autour d’un pseudo-psy … En effet, en fonction du type d’organisme prédateur la réponse à adopter pourra varier. Il ne faut pas questionner directement la victime (voir F. 1-5), car cela va activer des mécanismes de défense et surtout la victime n’en sera jamais rien. Les recruteurs apparaissent le plus souvent sous des masques, via des associations écrans et ne disent pas leurs intentions directement. Surtout, ils ne racontent jamais toute la vérité aux recrutés car les recruteurs souvent eux-mêmes ne la connaissent pas. Il faut donc creuser discrètement en regardant le nouveau cercle de sociabilité, en scrutant les réseaux sociaux en quête d’indices pour trouver tous les éléments. Il convient aussi de faire des captures d’écran ou des copies des éléments pris car ils risquent fortement de disparaitre et les réseaux sociaux ne seront souvent plus accessibles. L’acquisition de ces éléments pourra être cruciale pour la suite des événements.

La recherche d’informations doit se faire niveau du groupe de socialisation directe de la victime mais de manière plus générale, il faut chercher toutes les informations sur le groupe en question. Il peut y avoir des réseaux d’anciennes victimes ou des associations qui travaillent de manière plus spécialisée sur un groupe ou une dérive en particulier.

b. Prendre attache avec des professionnels

Une fois la collecte des données réalisées, il faut prendre attache le plus rapidement possible avec des professionnels pour pouvoir développer la bonne stratégie de communication. En effet, une approche confrontationnelle ou perçue comme remettant en cause la doctrine aura pour effet un enfermement du converti et sera souvent plus une cause de radicalisation que de libération ou relativisation par le recruté des préceptes du culte.

La prise d’attache professionnelle permet surtout de mettre en place les bons réflexes et de bien analyser le risque. Il convient notamment quand il y a des enfants de bien comprendre le risque en termes d’enlèvement international d’enfants.

Dans l’attente de la rencontre avec un professionnel, il faut maintenir une attitude ouverte et collaborative avec la victime afin de garder le plus de contact personnel dans l’attente de la mise en place d’une bonne attitude. Il faut aussi se montrer très prudent et très attentif pour s’assurer que l’adepte, surtout s’il est mineur, ne fugue pas ou ne parte pas rejoindre la communauté.

Il va sans dire que la temporalité joue un rôle crucial, les recrutements sont généralement assez rapides, il suffit pour des cultes bien rodés d’une à deux semaines pour assurer un début d’enrôlement. Un fois la première étape de conversion réalisée, afin d’obtenir le plus de contrôle, le groupe sectaire tente d’écarter par tout moyen la victime de sa famille et de ses amis. Il est alors particulièrement dur d’intervenir et souvent il n’est même pas possible de localiser la victime en fugue.

En cas de signes de radicalisation ou d’emprise mentale, il convient d’agir rapidement pour récupérer les informations clefs et aller voir un professionnel, car une conversion religieuse soudaine, l’octroi d’avantages importants comme le gite et le couvert à une personne louche ou un déménagement, sont par leur brutalité et leur importance des indices forts d’un péril sectaire.

Il est possible d’aller voir plusieurs types de professionnels : associations d’aide aux victimes, services administratifs, psychologue, psychiatre, juriste … Toutefois, il est crucial que le professionnel jouisse une connaissance spécifique de l’emprise mentale, en effet autrement, ils ont tendance à y voir une histoire de famille ou des difficultés psychologiques sans comprendre les mécanismes actifs derrières. Ces professionnels, malgré leurs qualités dans leurs champs respectifs de travail, ne seront pas d’une grande aide et pourront au contraire donner sans le vouloir de mauvais conseil. Le passage par une association d’aide aux victimes de dérive sectaire (V F.1.2) est souvent le moyen le plus efficace de trouver un professionnel compétent en la matière.