CE DONT ON VA PARLER :

Un détective privé me propose de retrouver ma fille partie vivre dans une communauté survivaliste et de me la ramener. Est-ce une bonne idée ?

Un psychologue me propose de faire une thérapie de mon fils qui développe des croyances radicales. Est-ce une bonne idée ?

Ma mère devient sectaire, c’est un problème familial. Faut-il faire une thérapie familiale ?

SOURCES :

Steven HASSAN, Combatting Mind Control, Freedom of Mind Press, Newton, MA, 1ère edition 1988, 391 pages.

Steven HASSAN, Freedom of Mind, Freedom of Mind Press, Newton, MA, 1ère edition 2013, 391 pages.

Rich Alan ROSS, Cults inside out, Createspace Independent Publishing Plateform, South Carolina, 2014, 562 pages.

Margaret Thaler SINGER, Cults In our midst: the continuing fight against their hidden menace, Joley-Bass, San Francisco, 2003, 397 pages.

SYNTHESE :

Comment réagir et aider une victime du groupe déviant ? Le problème est complexe et la réponse a donné lieu à des dérives, car le domaine de la croyance fait partie d’un intime intouchable, qu’il faut préserver malgré tout. Les premières versions de l’exiting ont permis de tirer des leçons (I) et de comprendre ce qui peut être fait en droit français (II).

I. DU DEPROGRAMMING ….

Un petit aperçu de ce qui a été fait permet de voir l’évolution d’une approche psychologisante (a) à une approche éducative (b).

a. Petit historique

Le pionnier en la matière est Ted Patrick. Autodidacte, sans aucune formation professionnelle, Ted Patrick a bâti la notion de deprogramming. La méthode était assez radicale, car il s’agissait d’une tentative de modifier les croyances d’une personne par des techniques psychologiques intrusives. Il a fait l’objet de deux condamnations pénales aux États-Unis pour séquestration. L’approche coercitive est clairement intenable d’un point de vue juridique et la notion de déprogrammation mentale doit être mise aux bans des pratiques que l’on peut accepter dans un état de droit. La porte ouverte par la déprogrammation a permis l’évolution des techniques. D’abord en affirmant le caractère volontaire de la procédure : la personne en en bénéficiant doit y donner son accord.

Le deprogramming a ensuite laissé la place à une approche plus thérapeutique qui a trouvé son meilleur défenseur chez Steven Hassan. Ce dernier a développé une série de protocoles et de techniques utilisant de nombreux aspects de la psychothérapie. Steven Hassan est formé à la PNL (programmation neuro- linguistique) et à l’hypnose Ericksonnienne, et il met en œuvre ces techniques afin de favoriser la sortie de l’emprise mentale. En réalité l’approche est double. D’une part, il donne des informations au bénéficiaire sur ce qu’est une dérive sectaire et l’emprise mentale, mais il utilise aussi des outils issus de la psychothérapie pour favoriser le changement de comportements/attitudes chez l’adepte. En jouant sur l’imaginaire, les états de conscience, les leviers émotionnels, Steven Hassan aide la victime et sa famille à retrouver un lien et à permettre la prise de conscience.

Il a été reproché à cette approche de ne pas être éthique pour la raison suivante : toute technique qui travaille à un niveau inconscient en utilisant des outils de la psychothérapie entraîne des modifications d’attitudes et de comportements du bénéficiaire auquel le bénéficiaire n’a pas forcément consenti. La thérapie doit reposer sur une demande et un consentement de celui qui la reçoit, ce consentement doit être éclairé et donc informé. Or, un tel consentement n’est jamais requis du bénéficiaire de la procédure.

b. Ce que l’on peut en retenir : l’approche pédagogique

En réaction aux approches du deprogramming et du counseling de Steven Hassan, une troisième voie s’est ouverte : l’approche pédagogique. On la retrouve chez Rick Ross et Janja Lalich et chez Margaret Singer. L’approche pédagogique postule que le plus important est de donner les informations nécessaires pour éduquer le bénéficiaire de la procédure afin qu’il puisse prendre du recul sur le groupement auquel il appartient et faire le bon choix. Cette approche nous parait la plus viable et la plus intéressante. Sur un plan éthique, elle nous parait tout à fait en phase avec le droit français. En effet, elle n’impose rien et ne vise aucune manipulation, elle informe. Par ailleurs, comme le rappellent Singer et Ross, la majorité des anciens membres du groupement présentant une dérive sectaire ou victimes d’emprise mentale fait d’abord une demande visant à mieux comprendre ce qui leur est arrivé avant de faire une demande de thérapie. Les deux éléments ne sont pas intrinsèquement connectés et nous paraissent devoir être distingués.

Il nous paraît que, tant qu’aucun élément ne prouve qu’une approche purement éducative et informative est significativement moins efficace qu’une méthode

impliquant une psychothérapie, et donc, nécessairement, une forme d’influence mentale, le principe de précaution devrait conduire à privilégier une approche non intrusive. Prétendre au bénéficiaire que l’on veut, lui permettre de faire le bon choix et éviter d’être manipulé, tout en le manipulant, n’est en réalité qu’un leurre et d’un point de vue éthique et juridique, une erreur. L’information à transmettre doit porter uniquement sur lesmécanismes généraux et théoriques de l’emprise mentale, ainsi que sur leurmanifestation concrètedans le groupe sectaire concerné. Elle doit s’appuyer sur dessources vérifiableset être présentée de façon neutre et objective.

L’exit counseling a hébergé le meilleur comme le pire ; mais, ces expérimentations ont aussi permis de tirer la ligne sur ce qui peut être fait. La médiation s’ouvre comme une voie de réponse aux besoins de la lutte contre les dérives sectaires.

II. … A LA MEDIATION

L’approche pédagogique permet d’aider la famille et le croyant à comprendre que seul le croyant peut prendre la décision de rester ou de quitter le groupe en vertu d’un choix libre et éclairé (a), ce processus de discussion peut être animé et garanti par un médiateur (b).

a. Le choix est-il libre et éclairé

Il est possible de construire une méthode juridique et éthique : la vérification du consentement lors d’une réunion familiale d’information facilitée par un médiateur. Le droit nous dit que chaque individu est totalement libre de suivre la religion de son choix et de développer ses croyances. Ce droit est fondamental et est protégé en justice. Il n’appartient pas à la famille ou aux proches de le remettre en question. Comme toute liberté fondamentale elle appartient à une sphère intime impénétrable, il s’agit d’un choix souverain.

Toutefois, l’exercice de ce choix pour être juridiquement valide doit être libre et éclairé. Il s’agit de deux conditions intrinsèques. La seule question que peut poser la famille est : le choix du croyant présente-il ces deux éléments ? Un choix libre signifie qu’il n’a pas été pris sous une influence étrangère indue, par exemple par la mise en en œuvre de techniques psychologiques ; et un choix éclairé, signifie est-ce que la personne a bien eu toutes les informations concernant les implications de ce choix.

Dans le cadre de la dérive sectaire on sait, et c’est bien là tout le problème, que le choix n’est ni libre ni éclairé : aucune secte ne donne toutes les informations la concernant ; des techniques de manipulation et d’ingénierie psychologique sont mises en œuvre pour tromper et arracher le consentement de la victime. On peut même dans une grande mesure concevoir la technique sectaire comme une offre par un gourou de prendre en charge pour la victime l’intégralité de ses décisions sur le fondement d’une doctrine.

D’un point de vue juridique, il appartient à l’adepte et à sa famille de vérifier ce consentement : pour la famille, car si le consentement est libre et éclairé, elle doit le respecter et ne pas tenter de l’influencer. Il s’agit d’un choix souverain à respecter. Pour l’adepte, il s’agit de lui donner les moyens, pour que lui et lui seul, mette en œuvre un processus de vérification de son consentement. Il s’agit de permettre à la victime de réactiver son sens critique et de mettre en œuvre, dans son intériorité, avec les éléments d’information qui lui sont donnés, si son consentement est bien libre et éclairé. Il y a une volonté de responsabiliser l’adepte sans vouloir décider pour lui, et le laisser faire son choix, qu’il est le seul à pouvoir faire.

b. Le médiateur et son rôle

Le médiateur a pour objectif d’organiser les débats et d’assurer que les droits des différents participants soient bien respectés. Il est neutre et impartial. Il n’est en aucun cas là pour prendre la partie de la famille ou tenter de convaincre. Il s’agit là d’une différence fondamentale d’une approche basée sur le droit et la médiation et l’exit counseling, le juriste-médiateur assure la mise en œuvre du droit et n’est pas là pour défendre les intérêts de la famille. Cela évite le risque premier de l’exit counseling ou de l’utilisation d’outils de type psychothérapie car le fait de vouloir agir pour la famille se fait souvent au détriment du libre consentement du bénéficiaire qui en droit doit être protégé de toute influence. L’objectif est simplement d’informer le mieux possible, le plus complètement possible et selon une procédure ayant pour objet que l’information sera comprise, emmagasinée et mise en œuvre pour interroger ses propres croyances et pratiques.

Le médiateur doit s’abstenir de la mise en œuvre de tout procédé psychologique ou de tenter de transformer la réunion en thérapie familiale : l’objectif unique est d’assurer l’information effective, de bonne qualité, dans un cadre serein et dans le cadre d’une conversation construite et organisée pour la rendre la plus effective possible. Du point de vue juridique dans lequel s’inscrit cette procédure, il ne s’agit que de vérifier le consentement et de s’assurer qu’il n’est pas vicié. Il convient de faire confiance et de respecter le droit du bénéficiaire de la réunion de faire son choix.

Toutefois, ces discussions peuvent être complexes : que cela soit chez la famille qui a souffert beaucoup de craintes, d’angoisse, souvent de culpabilité ou chez l’adepte qui a fait l’objet d’un endoctrinement fort souvent l’empêchant de réfléchir et le précipice de la réalité. La présence d’un facilitateur formé aux outils de la médiation qui organise et anime la réunion a pour objectif de permettre un garde-fou : éviter que la conversation devienne une confrontation, permettre l’accueil des émotions, maintenir l’attention sur les sujets importants, vérifier qu’il n’y a pas de contrainte chez le bénéficiaire et surtout qu’aucune technique de manipulation ne vienne parasiter le processus.

Le médiateur doit aussi avoir la capacité de poser les bonnes questions, suivre les interrogations du bénéficiaire de la réunion, de l’impliquer dans la discussion, de le mettre au travail. Le facilitateur doit veiller à rendre vivant la réunion, à utiliser un langage concret et imagé facile à comprendre, et dans la mesure du possible à utiliser le langage du bénéficiaire de la réunion et reprendre les éléments de son univers mental pour lui rendre accessible, dans un effort pédagogique, les informations.

Conclusion :

La question de l’aide à la sortie d’emprise mentale requière une grande prudence. En effet, il y a de nombreuses lignes rouges qui ne doivent pas être franchies. Néanmoins, il est possible de faire assister d’un médiateur pour assurer qu’une discussion sécurisante pour la famille et le croyant ait lieu, non pour convaincre du mal fondé de croyance mais pour vérifier que le croyant fait un choix qui est bien libre et éclairé. Cette procédure ne peut qu’être volontaire et n’est pas une thérapie : elle a une visée purement informationnelle tant au bénéfice de la famille que du croyant, car ce dernier n’est jamais que le seul à pouvoir prendre une décision sur son adhésion à un groupement sectaire.