CE DONT ON VA PARLER :
Comment porter plainte quand on est victime d’une dérive sectaire ? Quels sont les écueils ? Le système juridique et administratif français a développé des spécificités dans la réception des plaintes et de leur traitement qu’il convient de connaitre.
SOURCES : Art. 40 et suivants du code de procédure pénale (plainte simple).
Article 85 et suivants du code de procédure pénale (plainte avec constitution de partie civile)
SYNTHESE :
Porter plainte dans le cadre d’une dérive sectaire suit les mêmes options que dans le cadre d’une plainte normale. Néanmoins, la complexité des mécanismes psychologiques en cause oblige à réfléchir et à aborder la question avec une certaine intelligence de la matière. En effet, la plainte est souvent portée par la famille mais aussi quelque fois par la victime qui se trouve généralement dans une situation de grande confusion mentale et incapable de comprendre ce qui lui est arrivé. La plainte est aussi ce qui permet de faire un premier travail avec la victime pour donner du sens et expliquer une expérience hors de l’entendement. Il existe deux types de plaintes : la plainte simple que l’on dépose devant des services de police ou au niveau du procureur par courrier (I), et la plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d’instruction (II).
I. LA PLAINTE SIMPLE DEVANT LE PROCUREUR OU LE SERVICE DE POLICE
Il est possible de porter plainte dans un commissariat mais aussi par écrit par un courrier à un procureur (a) dont la rédaction doit être travaillée en détail (b).
a. Comment porter plainte ?
Il y a deux façons de porter plainte : soit en se rendant dans un commissariat soit en écrivant au procureur. La première voie est la plus directe et la plus simple. Elle présente néanmoins le désavantage de devoir expliquer à l’oral à la personne prenant la plainte les éléments d’un dossier qui peuvent être complexes. La plainte écrite permet un travail plus important en amont afin d’avoir une présentation claire et cohérente d’un dossier. Il existe maintenant certaines procédures mixtes de plainte par écrit avec rendez-vous en gendarmerie ou en commissariat. Une voie n’exclut pas l’autre, en cas de mauvaise réception devant le commissariat, il est possible d’écrire au procureur ou au procureur général (si un classement sans suite a déjà eu lieu). En théorie, les officiers de police et les gendarmes ont l’obligation de prendre la plainte et la victime doit pouvoir se faire accompagner d’un avocat. Malheureusement, souvent, en pratique les refus d’enregistrement de la plainte sont nombreux et trop nombreux sont les refus de la présence de l’avocat lors du dépôt de plainte. En pratique, la plainte doit être portée au plus près du lieu où l’enquête devra avoir lieu car ce sont ces policiers/gendarmes qui, dans la pratique, seront sans doute chargés de l’enquête.
Dans le domaine de la dérive sectaire, la pratique montre que la plainte par courrier au procureur après un travail important avec la victime et sa famille est nécessaire pour transmettre une plainte juridiquement forte. Par ailleurs, il faut bien voir que le travail de rédaction de la plainte est aussi un processus cathartique important pour la victime. Il s’agit souvent pour la première fois de la possibilité de mettre des mots sur un vécu et comprendre les mécanismes de l’emprise mentale. La pratique montre que le travail préparatoire à la plainte, qui nécessite souvent plusieurs rendez-vous, est un moment fort pour la victime et une source de compréhension et d’information. Lors de ces rendez-vous il est préconisé à l’avocat de décrire en détail les mécanismes psychologiques de l’emprise mentale et des dérives sectaires. Le caractère fortement déstabilisant de la sortie d’emprise rend ce processus obligatoire et salutaire. Quel que soit le sort donné à la plainte, ce travail de documentation et de compréhension vaut en lui-même.
Lors du dépôt de plainte, il faut garder le récépissé de la plainte et le numéro du dossier pénal ; cela permettra dans les correspondances postérieures d’y faire référence et de prendre des nouvelles de l’avancée du dossier. Depuis la loi LOPMIS de janvier 2023, il est possible pour une victime de se faire accompagner par un avocat au moment du dépôt de la plainte, ce qui permet d’agir en plus grande sérénité.
Si lors du travail préparatoire à la plainte, il est nécessaire de faire tout un travail avec la victime pour informer et expliquer, la rédaction de la plainte doit être la plus juridique possible et rester proche des infractions les plus clairement matérialisables. Cela n’interdit pas de mentionner l’emprise mentale et ses mécanismes et de faire référence aux circulaires la concernant, toutefois, comme il s’agit souvent d’un sujet peu maîtrisé par les procureurs, il vaut mieux leur parler un langage clair et en rapport avec les infractions.
La plainte doit être la plus objective possible et la plus factuelle possible. Il ne s’agit pas de donner une opinion, de livrer un ressenti ou une opinion mais de démontrer à un juriste que les faits décrits sont bien ceux de l’infraction et qu’il y a des éléments de preuve disponibles pour justifier l’ouverture d’une enquête. Il est aussi important de bien caractériser le préjudice de la victime. Si celui qui porte plainte n’est pas la victime directe mais sa famille, il est conseillé de bien rappeler les droits des victimes indirectes à porter plainte (voir F. 2.4). Enfin, il est largement conseillé de rappeler au procureur l’existence de services d’enquête spécialisés.
D’un point de vue statistique, étant donné le nombre de plaintes annuelles et le nombre de procureurs en France, il faut partir du principe que le procureur ou son substitut qui prendra la décision n’aura que peu de temps et de ressources cognitives disponibles pour apprécier le dossier. L’effort de clarté, de concision, de précision juridique et de documentation factuelle est dès lors essentiel pour assurer une bonne décision.
Si l’on n’est pas sûr de l’identité des auteurs de l’infraction, il est possible de déposer une plainte contre X. Dans le cadre d’une dérive sectaire, étant souvent en présence de groupements, il est souvent mieux de porter plainte contre X.
b. Les techniques spéciales d’enquête
Depuis la loi LOPMIS de janvier 2023, les techniques spéciales d’enquête concernant la bande organisée peuvent être utilisées dans le cadre des enquêtes pour abus de faiblesse en bande organisée. Cela devrait donc permettre de pénétrer la bulle sectaire. En effet, le caractère souvent communautaire et renfermé dans un espace limité rend généralement complexe la recherche d’éléments de preuve. Les techniques spéciales d’enquêtes qui incluent les saisies de communication à distance, les infiltrations, etc devraient donner aux services spécialisés plus de moyens d’action.
La rédaction de la plainte est donc une étape importante et cathartique. Elle doit être mise en œuvre en respectant pleinement la volonté de la victime et surtout en étant soucieux de son état psychologique. La suite donnée à la plainte par les services du procureur sont variables et aléatoires. Il est, en cas de classement sans suite, possible de forcer une enquête par une demande d’ouverture d’instruction.
II. LES PARTICIPANTS A L’ENQUETE
La France dispose de services enquêteurs spécialisés pour les dérives sectaires ce qui a pour effet de permettre à des Officiers de Police judiciaire expérimentés de mener l’enquête (I), sinon il est possible de bénéficier des droits de la partie civile devant un juge d’instruction (II).
a. Les services d’enquête : gendarmerie et police, instruction
En pratique, les enquêtes de terrain, les interrogatoires, les filatures, les saisies de comptes bancaires sont réalisés par les services de police ou de gendarmerie qui agissent sous le contrôle du procureur. Les différentes actions que peuvent prendre les services d’enquête dépendent de la nature de l’enquête : de flagrance ou préliminaire. L’enquête de flagrance intervient quand l’infraction est surprise sur le fait ; l’enquête préliminaire quand il n’y a pas cette proximité. Dans le domaine sectaire, il s’agit principalement d’enquêtes préliminaires.
Certaines équipes sont spécialisées au sein des forces de l’ordre ce qui permet une compréhension plus fine des sujets. Il y a même des groupes d’enquête dédiés aux dérives sectaires comme la CAIMADES (Cellule d’assistance et d’intervention en matière de dérives sectaires) au sein de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), sous l’autorité de l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP). Au niveau de la gendarmerie c’est l’OCLAESP qui est le point d’entrée des dossiers de dérives sectaires avec des équipes formées pour traiter et comprendre ce type de dossier. Dans la mesure du possible, il convient d’aiguiller le dossier vers le bon service d’enquête. Il y a aussi des référents dérive sectaire au sein de la gendarmerie et au niveau des différentes régions.
Il convient donc d’être bien vigilant à qui suit et instruit l’affaire. La pratique montre que des services d’enquête sans sensibilisation au sujet de la dérive sectaire sont souvent incapables de bien comprendre les mécanismes en jeu. Il est ainsi important d’aiguiller vers un service de répression des violences faites aux personnes et si possible vers un service spécialisé.
Les juges d’instruction viennent compléter le dispositif d’enquête. Ils sont saisis par réquisition du procureur ou directement par une partie civile en cas de décision de classement sans suite. Les juges d’instruction sont des organes d’enquête ; ils travaillent avec les services de police et de gendarmerie. Le juge d’instruction monte le dossier pénal à charge et à décharge. Dans le cadre d’une instruction, les droits des parties sont plus importants notamment en ce qui concerne des demandes de pièces ou de mesures d’enquête. Les cabinets d’instruction peuvent être organisés par thématiques dans les grandes juridictions. Le juge d’instruction est un magistrat du siège. Il agit de manière impartiale. A la fin de son enquête, le juge d’instruction rend une ordonnance avec ses constatations et le résultat de son enquête.
L’ouverture d’une instruction et la possibilité de demander des mesures d’instruction permettent d’aiguiller l’enquête dans la bonne direction et principalement par une requête aux fins d’intervention d’un psychologue expert ou d’un psychiatre pour caractériser le processus psychologique d’emprise. En effet, une des grandes difficultés des enquêtes concernant l’emprise mentale et la dérive sectaire est l’apparence de consentement de la victime, qui si questionnée sans l’intervention d’un psychologue, ou d’un officier formé confirmera son adhésion au mouvement.
b. Le rôle des associations d’aide aux victimes
En application de l’article 2-17 du code de procédure pénale, les associations d’aide aux victimes de dérive sectaire d’utilité publique peuvent se constituer partie civile dans un dossier. Cela présente un intérêt certain, car il est possible à une telle association de se constituer en prenant avocat et d’apporter sa connaissance pratique et de terrain au dossier, sans pour autant être la partie directement impliquée par la plainte. Ce rôle éducatif doit être exploité, surtout quand l’enquête passe par un juge d’instruction qui ne renvoie pas vers un service spécialisé. L’association, au travers de ses avocats, pourra apporter l’éclairage utile et notamment la jurisprudence pertinente. Les arrêts en matière pénale ne sont que peu diffusés dans les bases de données juridiques. Le réseau associatif permet de récupérer des jugements et d’obtenir un appui technique très important.
Conclusion :
Porter plainte est complexe et technique surtout dans le domaine de la dérive sectaire. Il convient donc bien évaluer la capacité de la victime à porter plainte et effectuer un travail de fond pour caractériser les faits et produire une plainte qui soit la plus claire possible pour augmenter les chances d’ouverture d’une enquête préliminaire. L’avocat qui porte plainte et accueille la victime doit faire un effort particulier de pédagogie et d’explication des mécanismes de l’emprise mentale. Il s’agit d’une approche complexe et pour laquelle les praticiens sont souvent non formés. Il peut être opportun de se faire assister d’un psychologue. Par ailleurs, il est globalement inutile de présenter des faits bruts, même perturbants de pratiques de magie noire par exemple, mais il faut absolument tout ramener à des infractions existantes et qui peuvent être qualifiées à partir des faits de l’affaire.
Infos pratiques :
MODELE DE PLAINTE (SANS AVOCAT) :
A l’attention de Madame / Monsieur le Procureur Tribunal judiciaire de [—]
Infos pratiques :
Lettre recommandée avec accusé de réception numéro [–] PLAINTE CONTRE [X/Madame, Monsieur XX]
Je soussigné(e)(s)
Adresse
Madame Monsieur [—], né(e) [—] à [—], de nationalité [—], ayant ma résidence au [—], de profession [—], email [—], téléphone,
Pièce [—] : Copie des cartes d’identités du/des plaignants Contre : X / Madame Monsieur [—]
Ont L’HONNEUR DE VOUS EXPOSER :
[DESCRIPTION EN TROIS LIGNES DES ELEMENTS CLEFS ET DE INFRACTIONS / IL CONVIENT ICI DE REPRENDRE LES ELEMENTS CARACTERISANT L’EMPRISE MENTALE]
FAITS ET PROCEDURE
Faire un compte rendu chronologique le plus objectif et détaillé possible des faits. En indiquant les identités des témoins (avec information de contact). Mettre des pièces justificatives. Par exemple : Entre le 10 et 20 juin 2022, une série de chèques , numéro [—], [—] ont été débités du compte n° [—] ouvert dans l’agence [—]
(tel : [—], email [—]). Ces chèques ne correspondent à aucune dépense connue et n’ont pas été faits par Madame [–] (Pièce [2] : RIB).
DISCUSSIONS EN DROIT
Il s’agit de discuter infraction par infraction de la matérialité des faits constitutifs. L’objectif est de montrer au procureur la factualité du délit et l’opportunité d’ouvrir une enquête.
1. Sur la qualification de [NOM DE L’INFRACTION] article [—] du code pénal
L’article [—] du code pénal dispose que : [COPIER L’ARTICLE]. En l’espèce : [décrire pourquoi cela correspond aux faits].
Ces agissements délictuels/criminels ont causés les préjudices suivants aux victimes : [—].
EN CONSEQUENCE :
Que de tels agissements constituent, en autres, le délit/crime [ABUS DE FAIBLESE, ESCROQUERIE…] délit/crime prévu et réprimé par les articles [—] du Code pénal. Les Plaignants, pris individuellement, déposent plainte simple du chef précité contre X/contre Madame Monsieur [—] et de retenir toute autre éventuelle qualification pénale. Ils vous remercient de le tenir informer des suites que vous entendez donner aux présentes.
LISTE DES PIECES :
Pièce [—] : [DESCRIPTION]