CE DONT ON VA PARLER :
Existe-t-il un régime dérogatoire de la prescription en matière sectaire ? La question est particulièrement importante. En effet, la victime ne va pas prendre conscience d’un coup et ne pourra donc pas souvent agir très rapidement. Ce temps psychologique, pourtant essentiel pour la victime, n’est pas nécessairement le temps de la prescription.
SOURCES :
Article 7, 8, 9, 9-1, 9-2,9-3 & 10 du code de procédure pénale
Articles 133-2 et à 133-6 du code pénal
2219 à 2246 et suivants du code civil
SYNTHESE :
La prescription encadre d’une durée maximum la possibilité pour un procureur de renvoyer devant un Tribunal correctionnel ou une Cour d’assise, l’auteur d’une infraction, ou pour une victime, le droit d’agir en justice pour faire valoir ses droits à réparation (I). La particularité de l’impact psychologique de l’emprise mentale oblige à regarder avec prudence la gestion des délais de prescription (II).
I. LES DELAIS DE PRESCRIPTIONS
Le code de procédure pénale fixe des délais de prescriptions pour l’action publique (a) qui ne sont pas les mêmes que pour l’action civile de la victime (b).
a. Les délais de prescription de l’action publique
La durée de prescription dépend de la nature des faits et de leur qualification en crime ou en délit (voir F 2.3). Il convient de distinguer deux éléments que sont la durée de la prescription et la date de départ du délai.
La durée de la prescription est de 6 ans pour les délits et de 20 ans pour les crimes (sauf certains crimes où le délai est de 30 ans (terrorisme, trafic de stupéfiants en bande organisée, clonage, crimes de guerre …)). Les crimes contre l’humanité eux sont imprescriptibles. En matière, de dérives sectaires la plupart des infractions sont des délits, donc prescrits par 6 ans. Ce délai d’un point de vue psychologique est court. De nombreuses associations de défense des victimes militent pour une durée plus longue.
Le point de départ de la prescription est la date de commission du fait délictuel. S’il s’agit d’une infraction dont la réalisation est répétitive ou étendue dans le temps, alors le point de départ est la dernière itération de l’infraction ou la date de sa découverte. Par exemple, dans le cas d’un faux médecin le point de départ sera la date de la découverte de la supercherie. Enfin, pour une infraction dissimulée ou Sans titre
occulte, c’est-à-dire que l’on ne peut découvrir pendant sa réalisation, le point de départ est le moment de la réalisation. La question est de savoir si l’emprise mentale est une infraction dissimulée ?
Le principe même de l’emprise mentale d’être invisible à celui qui la vit avant la sortie de l’emprise. La prescription de l’abus de faiblesse ou l’abus de confiance ne devrait avoir son point de départ qu’au moment de la découverte de la situation par la victime. Cet élément, psychologique par nature, n’est pas toujours entendu par les juridictions et suppose une vigilance et une argumentation particulière des avocats. Il convient en effet de défendre la position que la date de sortie effective d’une personne d’un groupement est le moment où la personne est en état psychologique de découvrir la réalité de ce qu’elle a vécu. Enfin, si la victime est mineure le point de départ de la prescription est le passage à la majorité.
La durée de prescription peut se voir étendue. En effet, dans le cadre d’une procédure des événements peuvent venir interrompre le délai (c’est-à-dire que le délai redémarre à zéro) ou le suspendre (pendant une durée déterminée, le délai de prescription ne court plus).
Interrompent la prescription les différentes les différents éléments d’enquêtes réalisés par des services d’enquête ou de police. Autrement dit, la prescription ne commence à courir qu’au dernier acte d’enquête ou de procédure. Dès lors porter plainte n’interrompt pas nécessaire la prescription, cependant l’ouverture d’une enquête ou d’une instruction est interruptif. Il convient donc de bien réfléchir à l’opportunité de lancer une procédure ou une plainte dans le but d’obtenir un acte interruptif de la prescription.
La suspension intervient si la poursuite de l’infraction est rendue impossible. Les cas sont globalement rares et apprécies par le juge au cas par cas. Cela pourrait être le cas d’une raison de santé grave empêchant de continuer la procédure.
b. La prescription de l’action civile
Le code de procédure pénale énonce que « lorsque l’action civile est exercée devant une juridiction répressive, elle se prescrit selon les règles de l’action publique. Lorsqu’elle est exercée devant une juridiction civile, elle se prescrit selon les règles du code civil ».
Concernant l’action des victimes, la durée de prescription, si la demande est portée devant une juridiction pénale est la même que l’action publique. Par contre, si l’action est portée devant une juridiction civile la durée de l’action en justice est celle de droit commun de la responsabilité délictuelle, qui se prescrit par 5 ans en application de l’article 2224 du code civil.
Toutefois, en droit civil est reconnu un point de départ glissant de la prescription en application de l’article 2234 du code civil qui dispose : « La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure». Une telle règle a été mise en œuvre dans le cadre d’une emprise mentale ayant été sanctionnée par un abus de faiblesse.
Par ailleurs, l’article 133-6 du code pénal dispose que « les obligations de nature civile résultant d’une décision pénale devenue définitive se prescrivent d’après les règles du code civil ». Il s’agit là de l’octroi d’une indemnisation prévue par le dispositif d’une décision pénale qui doit être mise en œuvre avant la prescription de la peine.
Si les règles de prescription peuvent donner l’impression d’un impératif de rapidité dans le dépôt d’une plainte, il convient d’être prudent dans le domaine des dérives sectaires, car une victime n’est pas toujours en état psychologique de porter plainte. Il convient d’appréhender la différence entre le rythme judiciaire et le rythme psychologique.
II. COMMENT GERER LA PRESCRIPTION
Dans le domaine des dérives sectaires, il ne faut jamais oublier l’importance du rythme psychologique de la victime (a), mais le fait qu’une victime ne soit pas prête à porter plainte ne signifie pas qu’il n’est pas de bonne politique de commencer à préparer un dossier (b).
a. Respecter le rythme de la victime
Porter plainte est un acte lourd qui peut être dur à supporter pour la victime. De nombreuses victimes craignent d’agir ou ne s’en sentent pas la force. Elles peuvent dans un premier temps d’abord vouloir se reconstruire. La manière dont la plainte est récupérée (Voir F 2-2) et le travail réalisé à cette occasion impacte la capacité de résilience psychologique de la victime dans sa démarche. Vouloir agir trop rapidement peut se montrer contre-productif d’un point de vue psychologique. Dans le cadre d’une emprise mentale, la situation étant complexe et souvent difficile à expliquer à des enquêteurs peu au fait de la réalité, exige de la victime une certaine force psychologique. Surtout, une enquête pénale entraînera sans doute des confrontations, c’est-à-dire des auditions où seront présentes la victime et le mise en cause, qui peuvent être particulièrement violentes et imprévisibles. La puissance du gourou est toujours résiduelle et les croyances peuvent encore être actives. Avant de lancer une victime dans ce type de processus, il convient d’être bien certain de sa capacité à le supporter. Comme discuté précédemment, pour la victime le plus important et ce qui est attendue de la procédure pénale, doit d’abord être la recherche d’un effet cathartique de vérité. Pour que cette vérité puisse émerger et avoir un effet psychologique réel, il faut que la victime soit en état de le vivre. Il convient de toujours garder à l’esprit l’existence d’un relationnel passé, d’un vécu historique et humain, des sentiments, des souvenirs, une personnalité à reconstruire. Il y a souvent de l’ambivalence chez la victime face à son agresseur dans le domaine du cultuel. Ce qui se joue est d’abord psychologique et doit donc être abordé comme tel. Une victime peut à la fois maintenir ses croyances et rejeter le groupement.
b. Un travail préparatoire possible
Le rythme d’une victime peut exiger une action plus lente ou une incapacité à porter plainte tout de suite. Ces éléments n’empêchent pas le travail probatoire: récupérer les documents, monter un dossier. En cas d’agression sexuelle, il convient sans délai de faire réaliser des constatations médicales. En effet, plus la saisine de la justice est distante de la réalisation des faits, plus la documentation de la preuve est complexe à réaliser. Il faut donc comprendre que l’urgence, plus de porter plainte et de constituer les éléments probatoires qui pourront permettre de mettre en œuvre une action plus tardive. Le travail d’établissement de la plainte et la constitution du dossier sont le lieu privilégié du travail de reconstruction de la victime, car il s’agira sans doute du premier échange systématique sur ce que la victime a vécu et leur verbalisation.
La prescription est donc un enjeu complexe. Dans le cadre d’une dérive sectaire, il convient de voir que l’objectif pour la victime de porter plainte est de participer à son travail de reconstruction.
Infos pratiques : Cour de Cassation ( 3e Chambre Civile) – 16 septembre 2021 n°20-17.623 :
Des époux possèdent un immeuble et alors qu’ils sont sous l’emprise d’une personne, qui a fait l’objet d’une condamnation à 10 ans de prison pour abus de faiblesse, procède à la réalisation d’une vente immobilière à un prix faible au profit d’une société. A leur sortie d’emprise les victimes se rendent compte que la vente n’était pas conforme à leur intérêt et que leur consentement a été biaisé par l’abus de faiblesse dont ils étaient les victimes. La Cour de Cassation fait glisser le point de prescription au motif que « qu’il n’était pas discuté par les parties que les consorts [T] étaient, au moment de la réitération de l’acte de vente du 8 juillet 2008, dans un état de sujétion psychologique, ce dont il résultait que la prescription n’avait pas pu commencer à courir à cette date ».
Cour de cassation (Chambre criminelle) — 9 janvier 2019 n° 17-83.587 :
Dans le cadre d’un abus de faiblesse, la victime n’avait pas porté plainte dans le délai légal de prescription et son avocat avait mis en avant que le point de départ de la prescription devait courir à compter de la fin de l’emprise. La Cour de Cassation confirme sur le fondement de l’article 8 ce point de départ glissant : « Attendu que, pour confirmer cette décision, l’arrêt retient, notamment, que M. B… est resté sous l’in5fluence de M. X… jusqu’en 2012, date à laquelle il a, avec l’aide de tiers, pris la fuite de la maison où ce dernier l’hébergeait, et que jusqu’alors, l’infraction ne lui était pas apparue dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique ».