CE DONT ON VA PARLER :

J’ai un client qui a fait l’objet d’une emprise mentale dans un culte ; est-ce que je peux traiter son dossier comme tous les autres ?

L’audience pénale va-t-elle me permettre de comprendre ce qui s’est passé et m’aider à avancer dans la compréhension de ce qui m’est arrivé ?

Une victime de dérive sectaire peut-elle obtenir une indemnisation pour son dommage et comment ?

SOURCES : Article 2 et 3 du code de procédure pénale. La nomenclature DINTHILLAC

SYNTHESE : La victime d’un groupement déviant peut se porter partie civile lors d’un procès pénal (I) ce qui lui permettra de faire des demandes indemnitaires et de protection (II). Derrière ces demandes et droits classiques, le domaine de la dérive sectaire et de l’emprise mentale oblige l’avocat des victimes à faire preuve d’une expertise particulière dans la formulation de ses demandes, mais aussi dans l’accompagnement des victimes.

I. SE PORTER PARTIE CIVILE

La victime directe et sa famille, dites victimes indirectes, peuvent se porter partie civile (a). La partie civile sera accompagnée par un avocat qui devra être attentif aux besoins particuliers de la victime d’emprise mentale (b).

a. La constitution de partie civile et la famille

La constitution de partie civile se fait avant tout débat au fond devant le tribunal compétent et prend généralement la forme de dépôt de conclusions valant constitution. Il n’y a pas de réelles difficultés à ce niveau-là.

La question de la famille est souvent importante ; car c’est la famille qui peut vouloir se porter partie civile pour permettre l’ouverture d’une enquête et pour lancer une procédure même si le membre de la famille est toujours pris dans le mouvement. En pratique, il est difficile de faire avancer une procédure sans le consentement de la victime directe ; même si en pratique, c’est possible. Il convient de bien travailler le préjudice des victimes indirectes.

La jurisprudence, sur le fondement des articles 2 et 3 du code de procédure pénale reconnait l’existence d’un préjudice propre aux membres de la famille proche d’une victime directe. Ainsi, la Cour de cassation a largement admis l’action des membres de la famille et notamment des frères et sœurs (Crim. 27 mai 2009, no 09-80.023) : « Attendu que, pour déclarer irrecevable la constitution de partie civile de la demanderesse, l’arrêt énonce qu’est nécessairement indirect pour la sœur de la victime, le préjudice moral résultant de l’atteinte physique ou du trouble psychologique causé par des faits de viols et agressions sexuelles aggravés ; mais attendu qu’en se prononçant ainsi, alors qu’à les supposer établies, les infractions poursuivies étaient de nature à causer à la sœur de la victime un préjudice direct et personnel, la chambre de l’instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci- dessus rappelé ; Que, dès lors, la cassation est encourue ». Dès lors, l’action de la famille est possible et légitime et la jurisprudence ne fait plus vraiment l’objet de débat théorique, même si le ministère public a une nette tendance à classer sans suite les demandes de la famille.

La partie civile jouit aussi de droit d’accès au dossier avant la procédure ce qui permet une étude des pièces de l’enquête. Il convient d’être bien prudent dans la présentation de ces pièces à la victime qui peut en subir un grand choc et de bien vérifier, si nécessaire avec l’aide d’un psychologique, le niveau de compréhension de la victime des abus qu’elle a subi et qui étaient pris dans le réseau des croyances.

Par ailleurs, la jurisprudence s’est interrogée sur la possibilité qu’une victime puisse également être considérée comme coautrice des infractions commises par un groupement sectaire, dans un contexte d’emprise. À ce jour, la jurisprudence tend à admettre cette possibilité, bien qu’un principe semble émerger : celui selon lequel on ne peut être à la fois victime et co-auteur. Toutefois, ce principe n’a pas encore été clairement établi comme une règle de droit.

b. La posture de l’avocat dans les dérives sectaires

b. La posture de l’avocat dans les dérives sectaires

Dans le cadre d’un procès pénal d’un dossier sur les dérives sectaires, le rôle de l’avocat est complexe car s’il doit se contenter des intérêts civils, c’est-à-dire de faire les demandes indemnitaires, il nous semble qu’il a aussi un rôle essentiel de filtre entre l’audience et la victime pour que l’audience puisse être un moment de vérité et participer à la procédure de reconstruction de la victime.

C’est souvent l’avocat de la partie civile qui peut exposer les mécanismes de l’emprise mentale non repris par les procureurs dans leurs réquisitoires, car l’emprise mentale n’est pas une infraction autonome en France. Néanmoins ces informations permettent d’éclaire le Tribunal et ont le mérite de traduire en une réalité compréhensible pour la victime la procédure. En effet, la procédure pénale qui est une réaction de la société et non une action de la victime pour punir peut donner un effet d’abstraction et de non prise en compte de la victime ; ce qui peut être une source de souffrance pour cette personne. Le rôle judiciaire de l’avocat en principe n’est que de quantifier le préjudice de la victime et faire des demandes de protection ; toutefois, il nous semble que son rôle est aussi de former un discours.

qui soit audible pour la victime, son moment de vérité qui a une valeur psychologique pour cette dernière. Dans le cadre d’une emprise mentale, qui peut avoir durer longtemps et impacté en profondeur la vie de la victime, ce rôle de traduction nous parait salutaire.

La victime ou sa famille, une fois partie civile, peut faire des demandes au juge. Ces demandes, effectuées dans le cadre d’une emprise mentale doivent être bien pensées et être complètes pour que la victime puisse être justement indemnisée, ce qui, pour un préjudice souvent majoritairement psychique, est particulièrement difficile.

II. QUE DEMANDER AU JUGE ?

Il est possible de demander par la victime des mesures indemnitaires (a) mais aussi des mesures de protection (b).

a. Les mesures indemnitaires

Les demandes indemnitaires vont porter sur les préjudices financiers (montant d’argent détournés) et les préjudices moraux et psychologiques.

Les préjudices financiers vont porter sur les montants donnés ou prélevés par les groupements déviants, les victimes se voient souvent demander de souscrire des emprunts à la consommation pour donner le montant de l’emprunt à la secte. Ces montants doivent être pris en compte. Il faut aussi justifier et documenter les pertes de salaires, l’absence de cotisations sociales dans le cadre des groupes religieux avec un communauté religieuse.

Pour le préjudice moral, il est souvent nécessaire de passer par une expertise psychiatrique en raison de la difficulté de leur évaluation. En effet, en l’absence de demande d’expertise judiciaire selon la grille DINTHILHAC les tribunaux ont tendance à faire une indemnisation forfaitaire faible. La demande d’expertise n’est pas de droit donc il revient à l’avocat de démontrer au tribunal la complexité de préjudice psychique en matière de dérive sectaire pour obtenir une telle étude. Si le juge autorise l’expertise, le demandeur doit avancer les frais d’expertise en payant une provision qui sera la condition d’ouverture de la procédure d’expertise médicale. Lors de l’expertise, il appartient à l’avocat d’accompagner et d’expliquer le processus à son client particulièrement en position de faiblesse. En cas de violences sexuelles, une telle expertise est particulièrement importante. Évidemment, il faut garder à l’esprit que la procédure d’expertise est éprouvante pour une victime qui peut vouloir tourner la page. Un travail de pédagogie est donc nécessaire avec la victime pour l’accompagner dans son choix.

Parmi les préjudices fréquents et particulièrement complexes à traiter figurent ceux liés à l’absence de soins. Ce type de préjudice survient notamment dans les groupements déviants qui rejettent la médecine scientifique, et qui peuvent ainsi priver une personne des traitements nécessaires, par exemple, un patient atteint de cancer, dont le pronostic vital peut alors être gravement compromis.

Les victimes ont souvent du mal à bien comprendre ce qui est une source de préjudice. Il appartient à l’avocat de questionner en profondeur les différents aspects possibles afin d’obtenir les bonnes informations. Les questions d’abus sexuels sont d’évidence particulièrement complexes à aborder et supposent de l’avocat un travail important de création d’une relation de confiance permettant à la victime de s’ouvrir.

b. Caractériser le préjudice moral

Un travail important de l’avocat ou de l’association qui accompagne une victime de dérive sectaire est d’aider la victime à prendre conscience de son préjudice. Cela sera essentiel afin qu’il puisse l’exposer lors de l’enquête et chercher à en obtenir réparation. La tâche est souvent complexe car la construction de ce préjudice va demander à la victime de regarder son passé sous un autre jour et de prendre conscience de ce que son adhésion sectaire a eu pour conséquence psychologique. En fonction de la victime, de son état, il convient d’être très prudent dans le cadre de ce travail et de le faire le cas échéant avec un psychologue. La reconstruction du trauma est quelque chose de très sensible qui se fait sur la ligne du déni et qui peut avoir des conséquences psychologiques importantes pour la victime. Ce travail doit se faire en suivant le rythme.

Conclusion :

Si être partie civile dans une procédure pénale ne présente pas de spécificité juridique ; la réalité de l’emprise mentale et la profondeur des préjudices obligent à une réflexion approfondie et une approche attentive de la victime pour que celle-ci soit bien accompagnée et puisse sortir grandie de la procédure et non en tirer une nouvelle source de traumatisme. En elle-même la procédure pénale ne permettra pas cela, si l’avocat de la partie civile ne travaille pas en ce sens.

Infos pratiques :

Si les auteurs d’une infraction sont impécunieux, il est possible de soumettre une demande d’indemnisation à un fond de garantie. Il s’agit de fonds publics destinés à soutenir l’indemnisation des victimes, avec pour mission de se retourner ensuite contrel’auteurafind’obtenirleremboursementdessommesversées.LesFondsles plus connus sont la CIVI et la SARVI. La procédure devant la CIVI n’est pas nécessairement dépendante de la condamnation de la personne au pénale. La demande d’indemnisation est étudiée par la commission d’indemnisation de la CIVI près de chaque Tribunal Judiciaire. Il est dès lors possible à la victime de solliciter cette indemnisation dès avant le jugement pénal qui en raison du travail lent de recherche de la vérité peut décaler de manière indue une indemnisation nécessaire pour assurer la sortie d’une victime d’une dérive sectaire et de se relever de ses abus.

https://www.fondsdegarantie.fr/