CE DONT ON VA PARLER :
Quelles infractions permettent d’agir contre les dérives sectaires en dehors de l’abus de faiblesse ?
En quoi les infractions de droit commun comme l’escroquerie, l’abus de confiance ou le harcèlement moral peuvent-elles contourner les difficultés liées à la sujétion psychologique ?
Comment exploiter les infractions relatives à l’intégrité physique ou psychologique dans un contexte où la souffrance est souvent invisible et insidieuse ?
SOURCES : Cour de cassation, Chambre criminelle, 30 juin 1999, n°98-80501.
Cour de cassation, Chambre criminelle, 16 octobre 2013, 03-83910, 05-82121, 12- 81532
SYNTHESE : L’atteinte aux personnes fait référence à une atteinte à l’intégrité physique ou mentale des victimes. En matière de dérive sectaire, l’abus de faiblesse est l’infraction principales (I) même si d’autres infractions peuvent être utiles pour agir (II).
I. L’ABUS DE FAIBLESSE
Deux infractions d’atteinte aux biens sont utiles pour la question de la dérive sectaire : l’abus de confiance (a) et l’escroquerie (b). En effet, ces deux infractions, qui répriment la perte de patrimoine et non pas le préjudice subi par la personne, prennent en compte une dimension de tromperie et font partie de ce qui nommé la criminalité astucieuse.
a. Abus de confiance
L’abus de confiance consiste à après s’être fait remettre un bien à l’en détourner de l’usage initialement remis. Contrairement à l’escroquerie, à l’origine, il y avait une bonne intention ou un projet réel, mais c’est par la suite que la situation s’est dégradée. L’argent ou le bien remis a été détourné généralement à des fins privatives. On peut imaginer une collecte de fonds sincère mais utilisées à mauvaise escient.
S’il n’y a pas une jurisprudence directement en lien avec le domaine des dérives sectaires, la jurisprudence est abondante sur la notion d’abus de confiance en raison des multiples applications notamment dans le domaine associatif sur le détournement de fonds confiés ou mis en trésorerie par les membres de l’association et détournés par le président de l’association.
b. Escroquerie
L’escroquerie est définie par « Le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge ». Il faut donc deux éléments matériels : (1) un moyen frauduleux (2) et la remise d’une chose ou l’octroi d’un service. Si la remise d’un chose est généralement facile à décrire, le plus souvent remise d’argent, l’octroi d’un service est aussi possible. Dans les dérives sectaires, les groupements demandent beaucoup de chose à leurs membres souvent contre des promesses illusoires. Est-ce que cela peut être de l’escroquerie.
La Cour de cassation a pu prendre une décision marquante sur la question de l’escroquerie appliquer à un nouveau groupe religieux : « Attendu que la cour d’appel, à titre préliminaire, après avoir rappelé que la liberté religieuse était totale sous les seules restrictions résultant des nécessités de la sécurité publique, de l’ordre public, de la santé ou de la morale publiques, énonce que l’église de scientologie peut revendiquer le titre de religion, avant toutefois de relever que des individus peuvent utiliser une doctrine religieuse, en soi licite, à des fins financières ou commerciales pour tromper des tiers de bonne foi et que l’exercice d’un culte peut donner lieu à des manœuvres frauduleuses de la part de certains des membres de cette religion ». Il faut en comprendre que l’existence d’un groupe, même répondant à des critères de la dérive sectaire ne peut en lui-même être une escroquerie, quand bien même le groupement vend des miracles, cependant, la vente des différentes formations, de modules de connaissance à des prix excessifs avec des promesses peu réalisables sont potentiellement constitutives de faits d’escroqueries.
L’escroquerie est donc un moyen d’action fort. Dans la caractérisation de la fraude, il est possible d’aller chercher des éléments de l’emprise mentale. La jurisprudence sur l’escroquerie est dense. Par exemple, l’Église de la Scientologie a fait l’objet de condamnation pour avoir fait passer des tests dépourvus de toute valeur scientifique dans le seul but de vendre des produits. Cette tromperie a permis de caractériser l’escroquerie avec la circonstance aggravante de la bande organisée.
Si l’abus de faiblesse est la seule infraction à prendre expressément en compte la sujétion psychologique qui est le propre de l’emprise mentale à la base de toute expérience d’embrigadement sectaire.
II. LES AUTRES INFRACTIONS
a. Intégrité physique
Plusieurs autres infractions peuvent trouver application de manière fréquente en cas de dérives sectaires notamment : la non-assistance à personne en danger ou l’homicide involontaire dans des pratiques de jeûne extrême ou des pseudo thérapies entraînant un danger grave.
b. Les faits de violence psychologique
Les groupes à tendance sectaire ont de nombreuses pratiques déstabilisatrices et la mise en place d’une structure de contrôle des adeptes prend généralement la forme d’un contrôle : confessions obligatoires, obligation de prendre conseil d’un aîné, contrôle des mouvements, obligations multiples. L’effet est encore plus important dans le cadre de la vie en communauté. Il y a donc une réelle violence psychologique qui est à l’œuvre et qui cause de la souffrance à la victime. La violence psychologique répétée est constitutive de faits de harcèlement moral. La loi du 4 août 2014 crée une incrimination générale du harcèlement moral qui vise les faits «de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale… ». Il s’agit de l’infraction générale du harcèlement moral sur le lieu de travail et du harcèlement sexuel. L’infraction suppose une répétition, mais qui par définition se trouve généralement acquise dans le fait sectaire en raison de l’appartenance à un groupement — les sollicitations incessantes à participer à des activités ou des rappels à l’ordre, l’atmosphère générale d’oppression. Par ailleurs, la violence psychologique présente l’avantage d’être bien comprise dans des relations de types couple ou travail par la jurisprudence, autrement dans le cadre d’une appartenance à quelque chose de plus grand que l’individu pris dans sa singularité. De manière très intéressante, le caractère répétitif est reconnu comme pouvant être le fait d’un groupement et non d’une seule personne. Il nous semble que cette infraction peut recouvrir des faits relativement similaires à l’abus de faiblesse tout en étant plus facilement compréhensibles par le personnel judiciaire qui butte souvent sur la notion de sujétion mentale.
Conclusion
L’abus de faiblesse n’est donc pas la seule arme pour agir contre une dérive sectaire. Il est toujours possible d’agir sur plusieurs fondements. Il convient donc de raisonner de proche en proche pour observer toutes les qualifications pénales que peut prendre un même fait.
Infos pratiques :
L’abus de faiblesse par sujétion psychologique peut inquiéter les juges et les procureurs. Infraction quelque fois dure à caractériser, ils peuvent être peu désireux de s’engager sur cette voie. C’est pour cela qu’il est souvent plus astucieux d’approcher la question via d’autres infractions qui reposent sur une jurisprudence plus dense.