CE DONT ON VA PARLER :

Mon père transfère des montants d’argent significatifs à une jeune sorcière qui lui prédit un avenir heureux : puis-je obtenir une mesure de tutelle ?

Le médecin traitant de ma mère m’indique qu’elle souffre d’un trouble justifiant d’une mesure de protection : est-ce que je peux saisir le juge des tutelles ?

Ma femme souffre de délires mystiques: puis-je demander une mesure de protection ?

SOURCES :

Articles 425 et suivants du code civil
Articles 1217 et suivants du code de procédure civile

SYNTHESE :

Demande fréquente du membre de la famille d’une victime de dérive sectaire : puis- je obtenir une mesure de protection de ce membre en la forme d’une tutelle ou au moins d’une mesure de sauvegarde. On comprend d’emblée l’intérêt : cela permet au curateur d’arrêter les paiements, de reprendre la main sur le financier et donc de rendre la proie inutile pour le gourou. Par ailleurs, curateur ayant acc ès aux comptes est dans une position privilégiée pour trouver les preuves nécessaires à une plainte pénale. Cette approche se heurte à l’existence d’un trouble médicalement attestée (I) par un certificat médical qu’il est très dur à obtenir en pratique (II).

I. UNE MESURE DE PROTECTION EN CAS DE DERIVE SECTAIRE ?

La simple présence d’une appartenant à un groupe présentant une dérive sectaire ne suffit pas à ouvrir une mesure de protection qui nécessite un motif médical (a) même l’existence d’un risque d’emprise mentale sera un élément d’appréciation du juge. (b).

a. La nécessité d’un trouble neuropsychologique

Le fait d’entrer dans une secte est-il une cause d’ouverture d’une tutelle ou curatelle ? La question s’est posée en jurisprudence et a fait l’objet de nombreuses fluctuations. Sous l’ancien droit, avant la loi de 2007, la Cour de cassation avait fermé la porte à une mesure de protection malgré la survivance d’une curatelle morale pour « oisiveté ». La loi de 2007 est encore plus restrictive en contribuant à lier la protection des majeurs à l’existence d’une circonstance médicale. Dès lors, la simple appartenance à une secte n’est pas une cause d’ouverture d’une mesure de protection, sauf caractérisation d’un trouble médical.

La mesure de curatelle qui peut apparaitre comme une bonne mesure de protection dans le cadre d’un membre pris dans la famille ne sera donc adapté que dans certains cas où l’emprise mentale se construit sur une vulnérabilité préalable comme un trouble psychiatrique ou neurologique. Cela n’est évidemment pas systématique : il peut y avoir emprise mentale chez un individu parfaitement sain et équilibré. La mesure de protection n’est pas conçue pour ce cas de figure.

b. La prise en compte de la dérive sectaire ou de l’emprise dans l’appréciation du tribunal

Le juge des tutelles quand il prend sa décision n’est pas tenu par la constatation de l’expert. Il doit en tenir compte et construire son opinion des débats et des éléments de fait qui lui sont présentés. Il est dès lors possible de mettre en avant des risques d’emprise et d’abus de faiblesse pour justifier une décision. Les juges prennent en compte les éléments concrets de la vie des individus afin de mesurer leur capacité à gérer seul leurs affaires. L’existence d’un délire mystique et surtout de paiement vers un tiers qui maintien une emprise sera nécessairement pris en compte par juge, qui pourra ajuster la mesure en fonction de ce risque.

Il est très rare mais pas impossible qu’un juge des tutelles ne suivent pas la recommandation du médecin expert et valide l’ouverture d’une mesure de protection alors que le médecin expert ne voit pas de trouble mental. L’expertise informe le juge mais ne le tient pas.

La jurisprudence considère qu’un juge n’est pas tenu par le certificat médical, il ne s’agit que d’un élément parmi d’autre qui ne sert qu’à l’informer dans le cadre de sa décision. Il ne peut donc prendre une décision contraire et ne pas suivre la constatation médicale. Cela signifie que même dans l’hypothèse d’un certificat médicale qui indique l’absence de trouble neuropsychologie, le juge des tutelles peut ne pas suivre l’avis du médecin et ouvrir une mesure si des éléments lui paraissent suffisant dans ce sens.

L’audience est donc particulièrement importante ; c’est en définitive durant ce moment très particulier que je juge va pouvoir prendre sa décision et se faire une idée précise de la situation du majeur.

Si l’existence d’un trouble neuropsychologique est obligatoire, il ressort de la jurisprudence que le juge des tutelles a une certaine mesure d’analyse et peut prendre en compte l’existence d’une emprise pour aggraver ou décider d’une mesure.

II. L’EXPERTISE PSYCHIATRIQUE OBLIGATOIRE

La demande d’une mesure de protection, même une sauvegarde de justice doit être fondée à titre de recevabilité sur un certificat médical (a), la jurisprudence a assoupli cette exigence en permettant la production d’un certificat de carence (b).

a. Une obligation à peine de recevabilité de la demande

Pour obtenir l’ouverture d’une mesure de protection, même dans le cas d’une mesure de sauvegarde, un avis médical est nécessaire. Il doit être donné par un expert inscrit sur une liste spéciale tenue par le procureur de la République. La liste est généralement disponible, tribunal judiciaire par tribunal judiciaire, sur Internet à défaut, il faut la demander au procureur, généralement en écrivant au bureau d’ordre pénal. Il est donc tout à fait inutile d’écrire à un tribunal des tutelles sur la base d’une attestation d’un médecin généraliste. Le dossier sera irrecevable.

Ce certificat coûte 160 euros et est relativement standardisé dans ses attentes. Il ressort de la pratique que les Experts inscrits sont plus ou moins motivés pour interroger les majeurs. Il est souvent plus efficace dans les demandes relatives aux dérives sectaires d’adresser sa demande à un médecin en ville libérale qu’à un praticien hospitalisé qui a un processus très protocolaire souvent inadapté. En effet, dans le cadre de la dérive sectaire et de l’emprise mentale aucun adulte n’ira de son plein gré voire l’expert, il convient donc de trouver un expert qui accepte de se déplacer chez l’adulte et qui a un certain tact pour obtenir les informations requises.

Le contenu du certificat est large car on parle simple d’altération de facultés du majeur et donc de tous troubles, dans le certificat le médecin « 1. Décrit avec précision l’altération des facultés du majeur à protéger ou protégé ; 2. Donne au juge tout élément d’information sur l’évolution prévisible de cette altération ; 3. Précise les conséquences de cette altération sur la nécessité d’une assistance ou d’une représentation du majeur dans les actes de la vie civile, tant patrimoniaux qu’à caractère personnel, ainsi que sur l’exercice de son droit de vote ».

b. Comment contourner le refus du majeur

Peu de personnes accepte de gaité de cœur de faire l’objet d’une mesure de protection et l’on comprend bien qu’avec en outre la présence d’un gourou auteur d’une emprise mentale, il sera particulièrement complexe d’obtenir le certificat médical. Néanmoins, la loi offre plusieurs possibilités.

L’expert inscrit doit convoquer la personne ou tenter de lui parler. En cas de refus, il devra dresser un procès-verbal de carence. Toutefois dans le cadre de ce procès- verbal, il lui est possible de faire une analyse médicale sur pièces, par exemples témoignages, propos recueillis par des assistantes sociales ou par les médecins traitants. Cette expertise sur pièce est recevable pour lancer la procédure d’ouverture d’une tutelle. Cependant, la simple carence, autrement dit le simple refus du majeur de se présenter ne peut pas suffire.

Le médecin doit donc établir un certain nombre d’éléments afin de permettre au juge de prendre une décision. Mais dans le cadre d’une carence, le rapport sera plus léger et donnera plus de place à la présentation des faits justificatifs à l’audience.

Conclusion :

La mesure de protection du majeur reste dans le droit positif actuel insuffisamment efficace dans le domaine de la dérive sectaire: l’exigence d’un trouble neuropsychique attesté par un médecin expert pose un écueil important. Toutefois, l’emprise mentale, par la folie librement consentie qu’elle opère, peut ouvrir la brèche de troubles mentaux qui peuvent amener un psychiatre inscrit sur les listes à faire un certificat médical indiquant certains troubles. Il faut espérer que la loi évolue sur ce point. Il s’agit d’une demande de nombreuses associations d’aide aux victimes.

Infos pratiques :

Cass. 1re civ., 20 avr. 2017, no 16-17.672

« Vu l’article 431 du Code civil ; Attendu que, selon ce texte, la demande d’ouverture d’une mesure de protection judiciaire doit, à peine d’irrecevabilité, être accompagnée d’un certificat circonstancié rédigé par un médecin choisi sur une liste établie par le procureur de la République ; qu’au sens de ce texte, le certificat circonstancié peut être établi sur pièces médicales, en cas de carence de l’intéressé ; (…) Qu’en statuant ainsi, alors que la requête n’était pas accompagnée d’un certificat circonstancié du médecin inscrit, fût-il établi sur pièces médicales, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

Cour d’appel de Nancy – ch. civile 03 – 20 janvier 2017 – n° 16/01500 :

La cour s’inquiète de l’emprise de Monsieur A. sur madame B. depuis le décès de son époux et de l’intérêt que pourrait trouver ce dernier à demeurer proche d’elle, au regard de l’épargne conséquente dont elle dispose. En conséquence, seule une mesure de tutelle est en mesure de protéger Madame B..