La Cour européenne des droits de l’homme vient de condamner la Belgique pour ne pas avoir accordé de reconnaissance officielle aux Témoins de Jéhovah. Le point de vue de notre chroniqueuse Nadia Geerts.

Lorsqu’il est question d’impartialité de l’État, on oppose souvent deux modèles : le français, qui traduit cette exigence par le principe de laïcité – la République française ne reconnaît aucun culte – et celui, anglo-saxon, qui la traduit par des politiques de reconnaissance présentées comme impartiales dès lors que l’État n’exprime pas de préférence vis-à-vis de l’un ou l’autre culte. Et la Belgique, géographiquement et culturellement au carrefour de ces deux modèles antagonistes, n’en finit pas d’hésiter.

Ainsi l’État belge a-t-il construit un système de reconnaissance des cultes, qui le conduit à financer aujourd’hui six cultes : le catholique, le protestant, l’israélite, l’anglican, l’orthodoxe et l’islamique. À ces six cultes, il faut encore ajouter ce que nous appelons la « laïcité organisée », c’est-à-dire ceux qui, comprenant que la laïcisation de la Belgique ne se ferait pas demain, décidèrent un beau jour de demander eux aussi une reconnaissance – et surtout un financement public – afin de pouvoir bénéficier d’une part du gâteau, puisque gâteau il y avait.

Ces dernières années, le bouddhisme et l’hindouisme se sont eux aussi engagés dans des procédures de reconnaissance, qui tardent cependant à aboutir, puisqu’elles macèrent quelque part dans les arcanes de l’administration depuis 2006 pour l’Union bouddhique belge et 2013 pour le Forum hindou de Belgique. Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Tout ? Pas tout à fait, en réalité, car une sympathique communauté de croyants menace ce bel édifice en criant à la discrimination. Et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) lui a récemment donné raison.

Buffet à volonté

Cette sympathique communauté, ce sont les Témoins de Jéhovah. Et le point de départ de leur colère, c’est une modification dans les règles d’exonération du précompte immobilier pour les immeubles affectés au culte situés sur le territoire de Bruxelles-Capitale : à partir de l’exercice d’imposition 2018 en effet, seules les religions reconnues peuvent bénéficier de l’exonération. Ce qui nous apprend au passage que jusqu’alors, il suffisait de déclarer qu’un immeuble était affecté au culte du Monstre en Spaghetti Volant, de la Brouette vénitienne ou de la Frite Suprême pour bénéficier d’une exonération, que c’est encore le système qui prévaut en Flandre et en Wallonie et que Bruxelles va probablement devoir renoncer à cette directive discriminatoire. Avis à tous les adorateurs, le buffet sera bientôt rouvert !

Mais revenons à nos sympathiques congrégations de Témoins de Jéhovah, qui sont au nombre de neuf à Bruxelles et dont le précompte immobilier représente près du quart des dons qu’ils reçoivent de leurs membres, ces dons étant leur seule source de financement. On comprendra donc qu’ils se soient émus de l’ostracisme qui leur était ainsi infligé. L’État belge estimait quant à lui que s’ils voulaient bénéficier de l’exonération, les Témoins de Jéhovah n’avaient qu’à demander leur reconnaissance.

« Bonne nouvelle pour les Témoins de Jéhovah, condamnés l’an dernier à une amende de 96 000 euros pour incitation à la discrimination et à la haine envers d’anciens adeptes. »

Mais cette réplique pleine de bon sens ne convainquit pas les Témoins de Jéhovah, qui pointèrent les nombreuses incertitudes qui entourent cette procédure. Et la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas pu leur donner tort, notant le caractère particulièrement vague des critères de reconnaissance, la procédure n’étant encadrée par aucun texte, ne prévoyant aucun délai. De plus, a souligné la CEDH, « l’octroi de la reconnaissance est subordonné à la seule initiative du ministre de la Justice et dépend ensuite de la volonté purement discrétionnaire du législateur. Or, pareil régime comprend intrinsèquement un risque d’arbitraire ».

La Belgique s’est donc vue condamner pour discrimination et violation du droit à la liberté de religion, et chacune des congrégations se verra verser un montant de 1 000 euros à titre de dommage moral, et 5 000 euros au total au titre de frais et dépens. Et ça, c’est vraiment une bonne nouvelle, puisque ce montant constituera une aide précieuse pour la Congrégation, qui a été condamnée l’an dernier à une amende de 96 000 euros pour incitation à la discrimination et à la haine envers d’anciens adeptes. Le tribunal correctionnel de Gand avait alors estimé que la politique d’exclusion menée par les Témoins de Jéhovah à l’égard des anciens adeptes créait « un environnement menaçant, hostile et humiliant ».

Nadia Geerts a publié « Dis, c’est quoi une religion ? » en 2018 chez Renaissance du Livre, ouvrage qui traite précisément des absurdités auxquels on est confronté quand il s’agit de définir un culte

source :https://www.marianne.net/agora/humeurs/financement-des-cultes-en-belgique-les-temoins-de-jehovah-auront-ils-leur-part-du-gateau

L’œil de Marianneke Par

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