{{L’Agapè du Puy-en-Velay,}} qui propose retraites et formations, est classées sur le site du diocèse du Puy, parmi les maisons d’accueil. On s’attend donc à une activité qui relève du ressort de l’Eglise. Sur le site même de l’Agapè il est dit que tout ce qui y est fait est conforme à l’Eglise et que tous les supports pédagogiques sont régulièrement retravaillés. «Ils sont continuellement remis à jour par une commission composée de prêtres, de psychologues, de médecins dont un psychiatre.» Cela suffit-il pour valider une formation à l’affectivité qui concerne la psychologie, comme nous allons le voir.

En 2011, étaient au programme de la formation à l’affectivité:
Anthropologie de l’affectivité
Croissance et développement de l’être humain
Attachement et séparation
Le juste amour de soi
Anthropologie des blessures affectives
Blessures affectives
Deuil, étapes du mourir, élaboration de la perte
Réactions aux blessures et guérison
Différentes émotions
Le combat spirituel dans les émotions.
En 2012, la formation sur l’affectivité portait sur ces points:
Anthropologie.
Attachement et séparation.
L’angoisse de séparation.
Alliance et travail de deuil.
Réactions aux blessures affectives et guérison.
La gestion des émotions.
La résolution des conflits.
Au programme 2013, formation à la vie affective:
Anthropologie.
Développement affectif
Attachement et séparation.
Les émotions.
Le deuil.
Réactions aux blessures et guérison.
Gestion du conflit

Les différences dans les trois programmes sont minimes. Le programme de 2013 n’étant pas encore totalement fixé et n’ayant donc été suivi par personne, je me réfère à celui de 2011 qui correspond à la formation reçue par la quasi-totalité des accompagnateurs de l’Agapè, si l’on en croit l’audit contraire à l’émission RCF Le Puy sur l’Agapè, le P. Humbrecht dit que les accompagnateurs ont suivi les dix formations et pas seulement quatre.
La question des conflits n’était au programme en 2011, mais on peut se douter de son contenu en voyant la place qu’ils occupent dans la formation sur le pardon.

– L’anthropologie se veut chrétienne, mais elle parle de tout sauf de l’affectivité spirituelle: les lieux communs de l’image de Dieu et de l’amour qui résument l’anthropologie de l’Agapè, ne disent rien sur l’affectivité spirituelle. La référence du P. Marie-Dominique Philippe, qui a inventé le concept de «conscience d’amour», n’est peut-être pas la référence qui rallie d’emblée. Remarquons au passage que c’est le titre d’une session proposée par le site l’Anahathanor spécialisé en bioénergie…

– Le chapitre sur la croissance est un vrai cours de psychologie de la conception à sept ans. Comme B. Dubois était pédiatre, cela peut expliquer cette fixation inattendue sur l’enfance. Mais ceux qui suivent la formation accueilleront des retraitants adultes…

– Le chapitre suivant revient sur un point de cette croissance: attachement séparation. Mais, surprise, une lecture de ces réalités à nouveau frais est proposée: le rédacteur du texte y voit un
enracinement dans l’image de Dieu, une pédagogie divine (sommeil d’Adam). Ces deux flashs bibliques étant pris dans des considérations psychologiques de la même veine que le chapitre précédent. En finale le travail de deuil est annoncé.

– Viennent ensuite des considérations sur le juste amour de soi: le narcissisme avec ses diverses formes, l’estime de soi si à la mode (une allusion aux apôtres qui réveillent le Seigneur dans la barque
s’enchaîne avec le syndrome du tee-shirt…), et enfin le juste amour de soi avec comme légers ingrédients chrétien, une allusion aux relations trinitaires, à la sainte Famille (incontournable pour B. Dubois), au commandement d’aimer son prochain comme soi-même, et finalement au prophète Isaïe (tu as du prix à mes yeux et je t’aime).

– Le chapitre suivant sur l’anthropologie des blessures affectives reprend l’enseignement dispensé par B. Dubois que l’on retrouve dans ses livres ou conférences. Nous apprenons que la maladie spirituelle se définit par rapport à la santé de l’âme. «Quel est le mal qui génère une maladie spirituelle? C’est un mal intérieur d’origine spirituelle, qui m’atteint dans certaines conditions précises. On peut le résumer dans deux contextes: le mal commis; le mal subi. Le mal se reconnaît assez facilement […]. Ce mal intérieur entraîne une douleur: je souffre, je suis angoissé, j’ai tendance à me protéger de cette douleur, de ce mal. Mais on est dans deux contextes différents.»

Une affirmation péremptoire nous apprend que le mal commis est le domaine du péché; il ferait rentrer dans l’orgueil. C’est moins qu’évident. Si deux enfants jouent et que l’un d’eux renverse l’autre et provoque un grave accident, est-ce un péché? Si un conducteur de voiture a une rupture d’anévrisme au volant, est-ce un péché? Pourra-t-on dire, comme on veut nous le faire croire, que l’auteur d’un pareil mal commis sera plongé «dans un vide existentiel qui me contraint à me nourrir autrement.»
Le mal subi serait le domaine de la blessure, d’une plaie intérieure qui aurait un impact aux trois niveaux de la nature humaine: impact spirituel, impact psychique et impact physique.» Suit une description des contextes dans lequel survient la blessure. Les agressions sexuelles, inceste, sont au rendez-vous… comme dans la retraite de l’Agapè. La conclusion mérite d’être retranscrite: «Nous sommes sujets à des maladies spirituelles: incapacité à être aimé et à aimer; à cause du mal commis (péché) ou subi (blessures).» Les maladies spirituelles seraient donc toutes de même nature mais diffèreraient par leur cause. Santé est pris comme un terme univoque. La santé psychique et la santé
spirituelle sont donc confondues. Après une raccourcis sur l’orgueil (mal commis) assez incompréhensible, l’auteur en vient au mal subi. Et c’est là que la blessure s’articule avec la croissance de l’enfant (chapitre 2) et ce qui est enseigné aux formateurs est la toile de fond de la visite des premières années de sa vie qui est faite lors des retraites Agapè. L’angoisse existentielle, si présente dans les séminaires de Château Saint-Luc revient encore. Elle est noyée dans un regard assez sombre sur l’enfance blessée. En conclusion, deux questions typiquement duboisiennes: «Préciser dans la vie la part d’innocence blessée et la part de responsabilité face aux événements du passé.»

Un programme spirituel bien psychologisant… dans un chapitre qui veut être une anthropologie sous-entendue catholique, puisque l’Agapè se dit être un lieu spirituel. Nous avons là en effet un élément capital des retraites Agapè.

Après ce tableau général pour situer la nature de la blessure, l’auteur en vient aux blessures affectives (le péché est laissé de côté, car comme nous le verrons la guérison visée est avant tout psychique). L’auteur veillant à rappeler le label catholique de la formation tire à lui un texte de Jean- Paul II où l’on trouve le terme «guérison des souvenirs». Rien n’est dit sur le contexte du passage, mais l’expression suffit pour faire intervenir la libération intérieure de B. Dubois: «Sanctifier le passé
pour pouvoir regarder sereinement l’avenir1.» La dimension psycho-spirituelle de la libération intérieure est on ne peut mieux cadrée. Les blessures des diverses étapes de la vie, de la vie intrautérine
jusqu’à l’adolescence sont alors longuement explorées sur plan purement psychologique.
{{Bien sûr l’inceste revient par deux fois, avec le viol et le commerce sexuel des enfants.}}

Les conséquences de ces blessures à l’âge adulte font aussi l’objet d’un long développement qui se termine sur les syndromes de stress-post-traumatique ou de dissociation. La cerise sur le gâteau: «reprendre l’exposé au cours d’un temps d’oraison». Comment méditer sur le mal commis et le mal subi pendant l’oraison? C’est une déviance de la vie spirituelle qui peut faire comprendre pourquoi certains sortent de l’Agapè traumatisé… mal subi… C’est un cercle…

Le chapitre suivant, sur le deuil, est encore un thème cher à B. Dubois (voir B. DUBOIS, Le Travail du deuil au quotidien, Maria Multimédia, Communauté des Béatitudes, 1996. Cassette). C’est un chapitre de psychologie, avec quelques allusions à l’évangile. Le cinquième point fait le lien avec ce qui précède et ce qui suit: l’élaboration de la perte indispensable pour s’engager sur un chemin de guérison.
Le chapitre sur «Réactions aux blessures et guérison» est directement lié à tout ce qui précède, comme le but vers lequel on était en marche. L’image de Dieu, anthropologie qui convient à toute question est rappelée d’une phrase et la phrase suivante situe le chapitre comme un tableau qui vient exclusivement de l’expérience: 1976-1986. C’est donc l’expérience des Béatitudes reprise par B. Dubois. Si on cherche un lien logique entre les deux phrases, on peut penser qu’il dit avoir fait
l’expérience de l’image de Dieu pendant ces dix ans. Et curieusement cela conduit à un long développement sur les blessures: sont-elles liées à l’image de Dieu?
Le psycho-spirituel atteint son comble… l’angoisse occupe une grande place. Deux thèmes qui reviennent dans les formations à la vie spirituelle de l’Agapè sont rencontrées au passage: le pardon qui donne sens à la souffrance (résilience?, la prise de conscience qu’on a du prix. En finale la guérison psycho-spirituelle, par un raccourci surprenant, devient «une croissance dans la vie divine.» Les vertus, tant morales que théologales sont totalement absentes de cette croissance dans la vie divine, sinon l’amour qui est la panacée universelle à l’Agapè,comme le non l’indique d’ailleurs.
Un retour est fait sur les différentes émotions pour les détailler. C’est encore un long chapitre de psychologie de plusieurs pages sur l’étude des émotions. Les deux questions finales montrent bien dans quel registre se situe la formation: «Avez-vous remarqué des émotions prédominantes chez vous? Comment les gérer?» Question en vogue sur les sites de psychologie.

Le dernier chapitre défie toute compréhension: Le combat spirituel dans les émotions. Nous apprenons que nous avons deux grandes activités: la pensée et l’émotion. Les actes humains ont totalement disparus. Mais ceci a un but: la tradition chrétienne aurait situé le combat spirituel dans
la pensée et ne serait pas occupé de l’affectivité. Donc: «Qu’en est-il des émotions?» Et nous tombons dans un combat spirituel qui a de quoi débousoler quelqu’un: à côté du combat spirituel

On y reconnaît en filigrane ce qui est développé dans le livre de B. Dubois, La libération intérieure. la mémoire initiale, ditil, a souffert de traumatismes et cette triste histoire mise sous le regard de Jésus devient une histoire sainte. Voilà l’oeuvre de l’anamnèse selon B. Dubois.
dans la pensée soit disant enseigné par la tradition -on peut montrer sans peine le côté totalement réducteur et déviant de ces propos -,
il faut dit-on s’ouvrir au combat des émotions. Ressentir l’émotion, l’accueillir et reconnaître que nous n’en sommes pas responsables, la nommer. La prière qui est conseillée est sublime: «Seigneur, regarde cette émotion.» Puis il est conseillé de dire ses émotions à un tiers, d’apprendre à ressentir les divers émotions qui habitent le coeur. Et dans un deuxième temps, agir de façon adaptée.
Vient alors la troisième étape: crier vers Dieu -plagiat déformant des Pères du désert. «J’ai ressenti, j’ai nommé, j’ai déposé, maintenant j’apelle à l’aide.

Nous sommes appelés à la conversion à travers l’émotion. L’émotion relève l’être, dit-on… Une conclusion est tirée: «Le mécanisme du combat spirituel face aux pensées et face aux émotions n’est
pas même.»
On serait tenté de dire: heureusement. Mais comment s’étonner qu’un pareil combat spirituel proposé dans les retraites Agapè, puisse faire naître des drames personnels ou familiaux? Le chapitre se termine sur des considérations sur la psychanalyse, la psychothérapie et la psychose
maniaco-dépressive, les fameux troubles bipolaires qui sont une contre-indication pour une retraite Agapè. On peut comprendre car le combat spirituel des émotions est à haut risque.

Comme on peut le voir, c’est un véritable programme de psychologie qui est proposé. Mais l’Eglise at- elle qualité pour valider des formations en psychologie? Il est difficile de comprendre comment elle peut donner son aval à un pareil amalgame.

Les considérations psychologiques en effet, sont entrelardées de propos pris dans l’enseignement de l’Eglise. Or c’est le propre de la psychospiritualité de mélanger le psychique et le spirituel.
Par ailleurs, comment le P. Humbrecht peut-il dire dans son rapport d’audit que la guérison a disparu de l’Agapè? A-t-il pris la peine de regarder la formation à la vie affective?

Enfin l’affectivité spirituelle est totalement passée sous silence et par voie de conséquence l’activité morale. L’affectivité a bien sa place dans le combat spirituel, mais par le biais des motions (consolations et désolations), par l’ascèse, etc., et non par le biais des émotions.

{{Soeur Marie-Ancilla
http://mancilla.op.free.fr/}}