François Mabille nous aide à comprendre ce qui s’est passé et pose des pistes de travail pour que plus jamais nous ne vivions cela.

“Misère intellectuelle et morale”.

« Avant même d’être religieuse, la question essentielle est éducative. Ce qui me frappe toujours quand j’écoute les témoignages de ces jeunes terroristes est leur misère intellectuelle et morale. Leur incapacité à interpréter, à comp t accompli leur scolarité en France et ils sont même allés au bout. Des jeunes se radicalisent dès le collège. Qu’est-ce qui se passe dans nos établissements? Qu’est-ce qui fait que la formation à l’humanité n’a pas prise sur certaines personnes? Je ne mets pas en cause les enseignants, mais la société doit se questionner sur la transmission, la socialisation de ces jeunes… Plus globalement, l’islamologue Olivier Roy montre que ce qui sort le religieux de l’intransigeance et de la violence, c’est l’éducation.”

Le religieux.

Quatre thèses expliquent la radicalisation.
La première considère que le terrorisme est l’acte premier et que la religion n’est qu’un prétexte. Un peu comme dans les années 70 où le langage marxiste était utilisé alors que ces convictions n’existaient pas ou peu chez les terroristes. J’ai récemment lu un article sur un jeune ayant basculé dans le radicalisme religieux et n’ayant lu le Coran que cinq minutes sur Internet.

La deuxième et la troisième hypothèses envisagent que le terrorisme peut bien être mené au nom de conceptions religieuses affirmées. Mais dès lors, soit vous remettez en cause la religion elle-même. Soit vous considérez qu’elle a été instrumentalisée. Il y a bien sûr les préceptes extrêmement positifs que vous trouverez dans toutes les religions monothéistes. Mais dans chaque grand texte, vous trouverez aussi des éléments de violence. Par exemple, dans la Bible, Dieu demande à être vengé sur sept générations, dans le Coran, certaines sourates posent question. Dès lors, si vous êtes pour une interprétation littérale, décontextualisée de ces textes anciens, vous allez au problème. Si vous considérez qu’il faut mener la même vie que le prophète qui était aussi un chef de guerre, idem. Avec cette limite que le fondamentalisme peut être vécu dans la seule sphère privée. Là il y a la violence, ce qui nous renvoie toujours à la formation de la personne, à la conscience individuelle.

Enfin, la quatrième hypothèse adopte la même approche que pour les sectes et considère que ces personnes sont sous une emprise mentale. Seulement je ne crois pas qu’Internet seul dans ce cas-là puisse suffire. Il faut l’influence directe de quelqu’un, avec son charisme…

Diplomatie.
Deux aspects. Il faut d’abord clarifier nos relations avec certains Etats avec lesquels nous entretenons des liaisons dangereuses. Vous avez depuis des années des états musulmans comme le Pakistan, l’Iran, l’Arabie saoudite… qui se battent pour que dans le droit international soit intégrée la notion de blasphème et d’atteinte à la dignité religieuse. Vous les voyez par exemple faire pression au conseil des droits de l’Homme à Genève. Par ailleurs, on peut s’interroger sur notre singularité française de vouloir intervenir, souvent seul ou les premiers. Nous sommes en guerre et cela a des répercussions, on s’expose à l’ensemble des réponses possibles, y compris le terrorisme. Il ne faut pas reculer maintenant car ce serait un aveu de faiblesse, mais peut-être repenser notre diplomatie.

Le dialogue interreligieux.
Des initiatives existent depuis plus d’un siècle, mais vous avez encore des actes extrémistes. Peut-être que ces dialogues ont un caractère un peu trop compliqué, technique, réservé à des théologiens. On vient, comme souvent, d’assister à un front commun des religions et c’est important. Mais il faut mener des actions à la base, auprès des croyants.
Islam de France

Chez ces terroristes, une socialisation à l’islam apparaît. Globalement se pose le problème des autorités religieuses et de leur impact. La France a longtemps fonctionné avec des imams venant de l’étranger. Mais avec la deuxième et troisième génération de musulmans nés en France, on ne peut plus demander à des gens de l’extérieur de venir dire ce qu’est l’islam et comment se comporter. Or, à cause de notre conception de la laïcité et des blocages universitaires, personne n’a pris le relais. Pourtant des sonnettes d’alarmes ont été tirées. Dans les prisons, l’un des problèmes est celui des aumôniers. Et quand la stratégie d’Etat fait défaut, on est devant toutes les radicalisations possibles par un milieu qui s’auto-entretient.

source : la voix du Nord le 11 janvier 2015

*MABILLE, François
professeur, Université catholique de Lille

François Mabille

Professeur de sciences politiques à la Fédération universitaire et polytechnique de Lille, titulaire de la chaire « enjeux de société et prospective ».
François Mabille travaille sur le catholicisme, les religions et sur les relations internationales contemporaines. Membre statutaire du Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (GRSL-CNRS) et chercheur associé au Centre d’Etudes sur les Conflits Internationaux (CECRI) de l’Université catholique de Louvain.
Egalement chercheur associé à l’Observatoire sur les missions de paix et opérations humanitaires de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques (UQAM – Canada).