Depuis une dizaine d’années, dès que l’actualité place le catholicisme, l’islam ou la laïcité sur le devant de la scène, les médias consultent Frédéric Lenoir. À quoi tient cet engouement? Le directeur du Monde des religions, également animateur d’une émission intitulée Les racines du ciel sur France Culture, et auteur d’une trentaine d’ouvrages sur les religions, est compétent et pédagogue. Il a aussi comme atout de connaître toutes les traditions religieuses. En somme, le docteur Lenoir est un bon généraliste. Plus contestable en revanche est l’objectivité qu’il affiche et que les médias prisent tant. Sous prétexte qu’il n’appartient à aucune chapelle, son diagnostic est considéré comme presque scientifique. Pourtant il suffit de lire ses livres pour se rendre compte que Frédéric Lenoir, tout en s’appuyant sur de solides connaissances, est au contraire très engagé.

Regard bleu, barbe de trois jours et cheveux flottants poivre et sel, Frédéric Lenoir affiche une simplicité charmante. Sa vie se partage en deux. Il habite une partie du mois dans sa maison du Luberon, où il écrit. Depuis 2004, il publie en moyenne trois livres par an, essais, romans, théâtre, BD. Cette boulimie explique sans doute certaines démonstrations et formulations hâtives. Il le reconnaît et justifie ainsi qu’il continue à écrire de plus bel pour corriger et préciser sa pensée. On a donc intérêt à lire tous ses ouvrages! Cet été, il s’apprête encore à rédiger des Méditations sur le bonheur, avant de se lancer dans la réalisation d’un film sur Jésus vu par Marie-Madeleine.

Le reste de son temps, il le passe dans son appartement parisien où il reçoit la presse. Les lieux sont à l’image du propriétaire. De la fenêtre ouest, qui se trouve à la hauteur des toits de l’église Saint-Germain-des-Prés, on toise le clocher. De l’autre côté, une vaste baie vitrée donne sur le ciel infini. Au-dessus de la cheminée, trône une icône splendide de l’Assomption de la Vierge ; en face, un tableau où l’on reconnaît le Bouddha. Sur la terrasse richement arborée, toute de bois revêtue, où le chèvrefeuille embaume, est installé un salon d’extérieur, confortable, aux lignes rustiques, comme on en voit dans les catalogues. L’endroit est à la fois simple et cossu. C’est harmonieux mais sans personnalité.

Frédéric Lenoir avertit d’emblée qu’il en a assez d’être considéré comme un expert en religion. Maintenant, dit-il, rappelant qu’il est avant tout philosophe, ce qui l’intéresse, c’est de «penser le monde d’aujourd’hui et les moyens de l’améliorer». Le titre de ses deux derniers ouvrages L’Âme du monde et La Guérison du monde en dit long sur l’ampleur – certains diraient, la démesure – de son ambition. L’Occident, après s’être saoulé de religion, de politique puis de consommation, a la gueule de bois et cherche du sens. Frédéric Lenoir se propose de lui en donner. Il est intimement convaincu que l’avenir du monde est, non pas dans un retour au religieux, mais dans l’épanouissement d’une spiritualité universelle détachée des traditions particulières.

Un syncrétisme difficile à suivre
Le succès de son Petit traité de vie intérieure, qui explique «comment accéder à un bonheur vrai et durable» – rien que ça – en puisant chez toutes sortes de penseurs, Bouddha et Jésus, Épictète et Épicure, Spinoza, Nietzsche, Kierkegaard, et même Sartre!, le conforte dans cette idée. Dans ce livre et les suivants, il expose la sagesse qu’il a élaborée pour lui-même depuis l’adolescence, un mélange de philosophie, de spiritualité et de psychologie des profondeurs.«On ne pourra changer le monde qu’en se changeant soi-même, c’est-à-dire en redécouvrant sa dimension intérieure.» Voilà son credo, auquel toute personne soucieuse du bien commun souscrira. Selon lui, c’est à chacun de développer cette part spirituelle comme il l’entend: «Quelles que soient nos croyances, l’important n’est-il pas de cultiver et de promouvoir ces valeurs universelles qui nous unissent et dont dépend l’avenir de toute l’humanité: la justice, la liberté, l’amour?» Certes. Encore faudrait-il s’entendre sur ce que signifient ces grands mots.

Frédéric Lenoir a tendance à piocher dans les corpus spirituels ce qui l’arrange. Il ne cesse par exemple d’opposer la méchante Église au message évangélique de liberté, d’amour et d’égalité. Par contre, lorsqu’il veut justifier qu’on doive se détacher des communautés auxquelles on appartient, il cite le Christ disant qu’il est venu apporter le glaive et séparer les familles.

Certains chapitres semblent écrits par un moine catholique, d’autres, par un bouffeur de curé.

En fait, lorsqu’on lit un essai de Frédéric Lenoir, on a l’impression de changer de cap d’une page à l’autre. Certains chapitres semblent avoir été écrits par un moine catholique, d’autres, par un bouffeur de curé. Il y a chez lui une ambivalence, due sans doute à une volonté farouche de tenir à distance les institutions et l’autorité qu’elles incarnent. Lui-même se définit comme un électron libre: ce qui lui donne quelque chose d’insaisissable.

Conscient des dérives dangereuses de l’individualisme et du relativisme contemporains, il n’en est pas moins emblématique d’une époque qui ne supporte pas les contraintes et fait de l’autonomie la valeur suprême. Cela explique sans doute son succès. Certains lui reprochent de surfer sur la vague du développement personnel et spirituel? Ils se trompent: il est dans la vague. «Je suis sincère. Depuis mon adolescence, je m’intéresse à la spiritualité», assure-t-il. En effet. Mais la sincérité suffit-elle à penser juste?

«Aucune religion n’est plus vraie que les autres»
Né en 1962, Frédéric Lenoir a grandi dans l’Essonne. C’est un élève rêveur que l’école n’intéresse pas. Grâce à un milieu familial porteur intellectuellement – sa mère était spécialiste des codex médiévaux et son père, énarque, fut secrétaire d’État aux Questions sociales sous Giscard – il lit Le Banquet, de Platon, à 13 ans, puis dans la foulée toute la philosophie grecque. À 16 ans, nouvelle illumination: il découvre la spiritualité indienne puis le bouddhisme tibétain. Après le bac, il s’inscrit en philosophie. Au cours de ses premières années de faculté, son ami d’enfance, profondément catholique, Samuel Rouvillois, le convainc d’aller vivre une semaine dans un monastère en Bretagne pour dépasser ses préventions à l’égard du christianisme. Là, en ouvrant la Bible, il tombe sur l’Évangile de saint Jean et se met à pleurer. «J’ai ressenti une présence vivante d’amour», se souvient-il, précisant, soudain rêveur: «En lisant Socrate, je ne ressens pas de présence.» Frédéric Lenoir affirme qu’il est resté fidèle au Christ rencontré ce jour-là. Même s’il ne croit pas qu’il soit Dieu fait homme, il le prie souvent. Lui qui prêche une spiritualité évangélique sans clergé reconnaît là que l’Église et ses prêtres ont le mérite d’avoir porté l’Évangile jusqu’à notre porte ainsi que la présence réelle du Christ dans le pain consacré à laquelle il croit. Pourtant, il maintient qu’«aucune religion n’est plus vraie que les autres».

Il comprend le choix de ceux qui furent fidèles à l’Église, comme Mère Teresa, mais considère que ce qui fut juste pour de grands saints ne l’est pas pour lui.

Le jeune Frédéric s’en va ensuite poursuivre ses études à Fribourg et lorsque son ami Samuel Rouvillois entre chez les Frères de Saint Jean, il lui emboîte le pas. Mais au bout de trois ans, au moment de prononcer des vœux, il fait marche arrière: il n’a pas la vocation. Grâce à un livre d’entretiens qu’il a écrit avec le fondateur de la Communauté Saint Jean, le père Marie-Dominique Philippe, son père spirituel, les éditions Fayard le repèrent et lui offrent de diriger une collection de spiritualité. Il entreprend en même temps une thèse de doctorat pluridisciplinaire à l’EHESS sur l’acculturation du bouddhisme en Occident.

À cette époque, il se situe encore dans la «mouvance catholique», selon ses termes, mais s’en éloigne. Il comprend le choix de ceux qui furent fidèles à l’Église, comme Mère Teresa qu’il admire, mais considère que ce qui fut juste pour de grands saints ne l’est pas pour lui. Il se marie pourtant religieusement, à Assise, et divorce quelques années après. Jusqu’à l’âge de 40 ans, il continue à écrire des livres qui se vendent mal et tire le diable par la queue financièrement. «Pourtant, j’étais heureux», dit-il.

En 2004, le succès lui tombe dessus. La Promesse de l’ange, roman écrit avec Violette Cabessos, puis Code Da Vinci: l’enquête, avec Marie-France Etchegoin, inaugurent une série ininterrompue de best-sellers. Dès lors, tout ce qu’il publie se vend à des dizaines ou des centaines de milliers d’exemplaires. Frédéric Lenoir travaille souvent en binôme avec une femme, ce qui en fait sourire certains, et gagne maintenant beaucoup d’argent. Peut-on le lui reprocher? Il n’a pas fait vœu de chasteté, ni de pauvreté. Dorénavant, il entend simplement être heureux et faire connaître aux autres le chemin qu’il a emprunté pour arriver à cet équilibre: «Aujourd’hui mon bonheur: me réaliser moi-même et être dans une relation harmonieuse avec les autres ; avoir la liberté de penser et d’écrire tous les matins en écoutant Bach, celui de me détendre par une promenade en forêt ou par un entraînement de foot avec une bande de joyeux copains.» Une ambition respectable, mais suffira-t-elle à guérir le monde?

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UNE PME DE 35 MILLIONS D’EUROS

Les chiffres sont impressionnants: depuis dix ans, Frédéric Lenoir a vendu, seul ou en collaboration, plus de 2,3 millions d’exemplaires. Ils sont une poignée dans l’édition à avoir intégré ce club des millionnaires. D’après les chiffres communiqués par le cabinet GfK, il a généré, sur dix années, plus de 35 millions d’euros. Une PME florissante qui travaille avec plusieurs éditeurs (Albin Michel, Robert Laffont, Fayard, Stock). Le philosophe n’en perçoit pas la totalité. Un auteur de sa trempe touche, en moyenne, entre 15 % et 18 % de droits. N’empêche, cette machine à fabriquer des best-sellers est d’une efficacité redoutable. Le maître mot de l’entreprise Lenoir et compagnie (il s’adjoint régulièrement des coauteurs) est sans conteste la diversité. Pas un genre littéraire qu’il n’ait exploité: roman, essai, conte, thriller, BD, scénario, entretiens, théâtre… Rien ne lui échappe.

À la lecture de ses titres les plus vendus (voir infographie) cette diversité saute aux yeux. Il a incontestablement le souci de la simplicité, et l’art de surfer sur les sujets qui marchent. Ainsi, quand la planète édition ne jurait que par le tonitruant Da Vinci Code, paru en 2004, Frédéric Lenoir, associé à Marie-France Etchegoin, réussissait l’exploit de sortir Code Da Vinci: l’Enquête, cinq mois après. Son livre d’entretiens avec l’abbé Pierre, paru en 2005, quelques mois avant la mort du héros d’Hiver 54, habilement composé, a rencontré aussi un vif succès.

source Lefigaro.fr Par Astrid De LarminatPublié le 19/07/2013 à 07:00