«La France est en pointe dans la lutte contre les sectes»
INTERVIEW :
Georges Fenech, président de la Miviludes, revient sur la décision de la mission interministérielle de ne pas publier le référentiel sur les mouvements et dérives sectaires.
Recueilli par LAURE EQUY
La Miviludes (Mission intergouvernementale de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) qui travaille actuellement à l’élaboration d’un «référentiel» sur les sectes, a annoncé, la semaine dernière, qu’elle ne le publierait pas. Georges Fenech, le président de cette mission, qui souligne que ce référentiel sera tout de même «consultable sur demande», invoque «un risque de stigmatisation de ces mouvements» et revient sur le contenu de ce dossier.
Pourquoi la Miviludes a-t-elle finalement renoncé à la publication de son référentiel?
A l’origine, ce référentiel devait surtout servir d’outil de travail à la mission, les éléments sur les mouvements que nous suivons n’étant jusqu’alors pas réunis dans un même dossier tenu à jour. Nous sommes en train de l’établir à partir de signalements, de plaintes sur des mouvements qu’on peut qualifier de dangereux.
Compte tenu de notre mission de prévention et d’information, il pouvait être opportun de publier ces données. Néanmoins, certains se sont, en même temps, inquiétés d’une éventuelle stigmatisation de ces mouvements, qui sont fluctuants, peuvent disparaître ou se corriger. Compte tenu de ce risque, une solution intermédiaire a été retenue: des éléments de ce référentiel seront consultables, sur place et sur demande.
Qui aura accès à ces dossiers?
Les professionnels de la justice, les associations, les mouvements eux-mêmes, les pouvoirs publics, les ministères et les élus locaux qui nous interrogent souvent, sur la location d’une salle pour telle ou telle conférence ou pour accorder à quelqu’un l’agrément d’assistante maternelle. Des particuliers également, peuvent déjà nous consulter même si on ne remet pas, actuellement, de documents.
Que contient ce référentiel?
Pour l’instant, nous avons répertorié environ 500 mouvements ou pratiques. Cela va du pseudo psychothérapeute à l’organisation véritablement constituée. Il n’a jamais été question de dresser une liste des sectes. Une secte – qui se définit comme une organisation qui croit autrement – a le droit d’exister si elle ne commet pas d’abus. Elle peut faire l’objet d’un débat théologique mais les pouvoirs publics n’ont pas à intervenir. Nous n’avons pas pour vocation de surveiller les mouvements sectaires mais de signaler des «dérives sectaires».
Dans quels cas peut-on parler de «dérives sectaires»?
Lorsqu’il y a une emprise mentale ou une mise en danger de la vie d’autrui. Nous avons un faisceau d’indices: des exigences financières exorbitantes, des démêlées avec la justice, la commission d’infractions sexuelles, la violation du code de la santé publique, le refus de soins, ou les règles fixées par les mouvements dès lors qu’elles conduisent à une rupture familiale.
Les Témoins de Jéhovah, qui ont tenu ce week-end en France, leur assemblée internationale, correspondent-ils à certains de ces critères?
Pour la Miviludes, plusieurs pratiques sont contraires à l’ordre public. D’abord, il y a le problème de la transfusion sanguine, proscrite par les Témoins de Jéhovah. Certes, la loi empêche de soigner un individu contre son gré. La loi s’applique mais c’est notre travail de prévention de le signaler, surtout lorsqu’il s’agit de mineurs.
L’éducation donnée aux enfants est aussi une préoccupation. Ils ne sont pas maltraités, ils sont soignés et vont à l’école de la République, contrairement à d’autres communautés plus fermées. Mais on leur dit que ce qui est enseigné à l’école n’est pas la vérité. D’où un déchirement de l’enfant que l’on singularise au sein de la communauté scolaire. Il ne va pas non plus participer à la vie sociale car il est interdit de fêter les anniversaires, Noël, etc.
Enfin, même si la croyance n’entre pas, pour la Miviludes, en ligne de compte, la menace de l’Apocalypse ou, selon une autre terminologie, de l’«effondrement du monde», peut avoir des conséquences sur des personnalités fragiles, des enfants. Cela peut engendrer des conduites antisociales ou autodestructrices.
L’attitude de la France face aux mouvements sectaires est-elle une exception?
Il y a deux opposés: les Etats-Unis, tenants d’une liberté totale en la matière, et la France, en pointe dans la lutte contre les dérives sectaires. Nous sommes les seuls au monde à avoir créé une mission interministérielle. Cela interpelle beaucoup nos partenaires européens, qui regardent la France avec beaucoup de curiosité, avec tantôt réprobation, tantôt admiration.
Même si les clivages sont importants en Europe – le Danemark se situe, par exemple, plutôt sur une ligne américaine -, il faudra, un jour, se doter d’un programme européen.