L’anxiété provoquée par la crise du Covid-19 a donné un coup de pouce aux gourous et apprentis sorciers. Georges Fenech explique comment ne pas tomber dans le piège.

Face à l’engouement pour les médecines non conventionnelles, Georges Fenech, magistrat, député honoraire (LR) et ancien président de la Mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) en France, lance un appel à la vigilance.

Des charlatans, il y en a certes toujours eu. Mais aujourd’hui, avec l’essor des réseaux sociaux, ils ont trouvé un terrain de jeu idéal, où ils peuvent aisément séduire les esprits fragiles et malléables. Dans son livre “Gare aux gourous”, Georges Fenech passe en revue des dizaines de thérapies et médecines parallèles, allant des plus inoffensives à celles qui s’apparentent à de véritables sectes.

“La crise sanitaire a généré beaucoup d’anxiété. Partout on voit fleurir de nouvelles thérapies qui suivent des protocoles qui ne sont pas validés scientifiquement.”

La crise du Covid-19 a-t-elle donné un coup de pouce aux gourous et apprentis sorciers?

La Mission interministérielle a rassemblé un grand nombre de signalements de charlatans qui proposent leurs propres méthodes pour combattre ce virus. La crise sanitaire a généré beaucoup d’anxiété. Partout on voit fleurir de nouvelles thérapies qui suivent des protocoles qui ne sont pas validés scientifiquement, voire qui peuvent être dangereux pour le patient.

Le professeur Didier Raoult et son traitement à la chloroquine doivent-ils être rangés dans cette catégorie?

Je ne vise en aucune manière ce grand professeur, dont les travaux font autorité depuis des années. Les querelles entre grands médecins sont inévitables, c’est ainsi que la science progresse. Par contre, elles peuvent avoir pour effet collatéral d’entamer la confiance de l’opinion par rapport au corps médical.

Quel est le critère qui permet de distinguer la pratique médicale du charlatanisme?

Le critère de base, c’est la validation scientifique. Les médecines de substitution constituent un danger pour la santé publique, dès lors qu’elles éloignent du soin conventionnel et qu’elles font perdre une chance de guérison. Si notre époque est propice aux apprentis sorciers, c’est parce que ces dernières années, leur domaine d’intervention s’est élargi en se déplaçant du somatique vers le mental.

On parle de plus en plus d’approche holistique du malade. L’intrusion du tout psychologisant facilite davantage le risque d’emprise mentale. Proposer du coaching, du développement personnel, ou la recherche d’une jeunesse éternelle n’est pas condamnable en soi. Par contre, cela peut devenir problématique lorsque c’est pratiqué par des charlatans qui, par appât du gain ou par volonté de domination, poussent à la mise en place de communautés à caractère déviant.

“On voit fleurir jusque dans nos facultés de médecine des pseudo-diplômes qui procurent un vernis scientifique à des méthodes qui n’ont pas fait leurs preuves, comme la fasciathérapie ou la kinésiologie.”

Si tant de gens sont attirés par ces pratiques non conventionnelles, n’est-ce pas parce que la médecine classique les a déçus?

Il y a plusieurs facteurs. Premièrement, on assiste à une crise de confiance vis-à-vis de la médecine classique suite à certains scandales, comme l’affaire du sang contaminé par exemple.

Deuxièmement, lorsque la médecine n’apporte pas de solution à certaines maladies, il est normal de vouloir se tourner vers autre chose, avec le risque de tomber sur des escrocs. On ne peut pas blâmer cette recherche, c’est humain, mais il faut s’informer au préalable.

Troisièmement, la médecine hospitalière n’appréhende pas suffisamment la maladie dans toute sa dimension organique et psychologique. Les mouvements ésotériques, eux, prennent en compte cette dimension pour apporter du réconfort.

Quatrièmement enfin, il y a une baisse du niveau de vigilance dans le chef des pouvoirs publics. Ce qui a pour résultat qu’on voit fleurir jusque dans nos facultés de médecine des pseudo-diplômes qui procurent un vernis scientifique à des méthodes qui n’ont pas fait leurs preuves, comme la fasciathérapie ou la kinésiologie par exemple.

N’y a-t-il pas un certain réflexe corporatiste dans le chef de la médecine conventionnelle?

La liberté de soins est un principe établi. Chacun est libre de se soigner ou pas, de se faire transfuser ou pas. C’est dans cet espace que vont s’engouffrer les pratiques non conventionnelles. Face à leurs contradicteurs, les apprentis sorciers jouent sur le registre victimaire. C’est la stratégie classique. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas de problèmes dans les laboratoires. Les médecines parallèles ont beau jeu d’exploiter ces problèmes pour échafauder des théories complotistes. Tout comme les anti-vaccins d’ailleurs qui, depuis la crise du Covid, sont devenus fort silencieux.

Comment expliquer que le mouvement anti-vaccin ait pris une telle ampleur?

C’est à mettre en rapport avec l’essor des théories complotistes sur les réseaux sociaux. Les mouvements anti-vaccins s’appuient sur une croyance, une philosophie de vie issue de l’anthroposophie, même si les anti-vaccins s’en défendent. Résultat: la France, le pays de Pasteur, est devenue le cinquième pays au monde le plus touché par la rougeole. Il faut tout de même rappeler que le vaccin contre la rougeole n’est pas du ressort de la liberté individuelle, c’est un vaccin obligatoire. Celui qui le refuse met l’ensemble de la société en danger.

Si l’homéopathie relève du placebo, comment expliquez-vous que tant de gens y ont recours?

C’est culturel, 60% des gens en France utilisent l’homéopathie. Mais ce sont des produits qui n’ont jamais été soumis aux tests de mise sur le marché, et dont les effets n’ont jamais été scientifiquement établis. L’homéopathie repose sur une science ésotérique qui remonte au 18e siècle, et qui parlait déjà de la mémoire de l’eau, et d’autres concepts qui relèvent essentiellement de la croyance. Aux États-Unis, les boîtes de médicaments homéopathiques mentionnent clairement qu’il s’agit de produits dont les effets ne s’appuient pas sur des preuves scientifiques. Je me félicite dès lors que le gouvernement ait décidé d‘arrêter le remboursement de l’homéopathie.

Les régimes végan doivent-ils être assimilés à une dérive thérapeutique?

Le véganisme est un fléau à partir du moment où il touche les enfants, incapables de s’opposer aux décisions prises par les parents. Les régimes végan sont très préjudiciables à la croissance des enfants. On ne peut pas priver un enfant de protéines.

“Les régimes végan sont très préjudiciables à la croissance des enfants. On ne peut pas priver un enfant de protéines.”

Vous dénoncez les techniques d’infiltration de certaines nouvelles disciplines thérapeutiques dans les médias, universités, entreprises, etc. Lesquelles sont les plus dangereuses en ce moment?

Tout ce qui se réfère à l’anthroposophie devrait être tenu à l’œil. L’anthroposophie est un courant ésotérique né il y a un siècle en Allemagne. Les mouvements qui s’en inspirent aujourd’hui étendent leur influence. Ils disposent même d’écoles (Steiner) et de banques (la Nef). Ils ont également pignon sur rue dans l’agriculture avec les vins biodynamiques, à ne pas confondre avec les vins bio.

source : https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/general/georges-fenech-l-epoque-est-propice-aux-charlatans/10258910.html octobre 2020