Pour Gilles Kepel, les violences urbaines de Chanteloup-les-Vignes relèvent du “terrorisme d’ambiance”, comme les meurtres commis à la préfecture de police de Paris. Sur le plateau de BFMTV, Apolline de Malherbe, Eugénie Bastié et Nicolas Domenach boivent les paroles de leur “spécialiste absolu”.

« On ressent depuis un mois une très grande tension dans le pays… » Non ? « … Qui se cristallise notamment autour des questions de l’islam, de la laïcité, du voile, du communautarisme. » Et aussi de la radicalisation, du terrorisme, de l’islam, du voile, de la laïcité, du communautarisme… Ça n’en finira donc jamais ? Dimanche soir, sur BFMTV, Apolline de Malherbe reçoit dans l’émission Et en même temps « Gilles Kepel… Vous êtes politologue, spécialiste de l’islam. A mes côtés, Nicolas Domenach et Eugénie Bastié, merveilleux compagnons du dimanche soir. » Je vais passer une merveilleuse soirée autour des questions de l’islam, de la laïcité, du voile, du communautarisme, de la radicalisation, du terrorisme.

«Un mot d’abord sur les violences urbaines qui ont eu lieu la nuit dernière à Chanteloup-les-Vignes. Que vous inspirent ce genre d’événement ? » « Ça fait penser à des choses qui se sont passées dans des quartiers difficiles et qui s’inscrivent dans une espèce de mouvement vers la constitution de systèmes enclavés. » Attention : le 16e arrondissement n’étant pas un quartier difficile, il ne constitue pas un système enclavé. « Gérard Collomb avait parlé de sécession, Manuel Valls d’apartheid, est-ce que c’est en train de devenir des réalités ? » Pas à Neuilly-sur-Seine, seulement à Chanteloup-les-Vignes.

« Chanteloup-les-Vignes, rappelle Eugénie Bastié, c’est symbolique parce qu’après le film La Haine, il y avait eu énormément d’investissements, notamment avec le plan Borloo de 2003, on a donné beaucoup d’argent… Dans ces banlieues, on met beaucoup, beaucoup d’argent pour des résultats qui ne fonctionnent pas. » C’est donner de la confiture à des cochons. « Ça pose un problème d’accompagnement par la sécurité », estime Gilles Kepel. Il faudrait plus de policiers et plus de LBD. « Ce sont des choix difficiles et contraints parce que la France n’est plus un pays très riche, il faut arbitrer. » Arbitrer pour supprimer l’ISF, instaurer la flat tax, sabrer les droits des demandeurs d’emploi…

« Les abandons qui ont été consentis, interroge Nicolas Domenach, c’était en terme de sécurité ou en terme culturel ? Est-ce qu’on a lâché le terrain ? » Pour Gilles Kepel, « la police est très active et très réactive ». Voyez le cas d’Adama Traoré et de tous les jeunes des quartiers populaires qui ont bénéficié de sa réactivité. « Le problème, c’est plutôt de laisser culturellement une certaine dérive s’installer. Et c’est justement ce sur quoi travaillent aujourd’hui les gens qui réfléchissent à l’affaire Mickaël Harpon… » Apolline de Malherbe précise : « Cet agent de la préfecture de police de Paris qui a tué quatre de ses collègues… » Euh… quel rapport avec les « violences urbaines » de Chanteloup-les-Vignes ? Gilles Kepel va m’expliquer.

« Après la fin de l’État islamique comme machine à coordonner la violence sur le sol français entre 2015 et 2017, développe l’islamologue, on voit qu’on a maintenant un terrorisme d’ambiance. » C’est nouveau. Est-ce à dire que les terroristes veulent mettre de l’ambiance ? « C’est-à-dire qu’on va écouter le prêche salafiste dans le quartier, on vit entre soi, on limite les interactions, les lois de la société française sont rejetées, on ne veut pas s’y intégrer. » Je comprends mieux : les incendiaires du cirque de Chanteloup-les-Vignes sont des terroristes d’ambiance salafiste. « On a le monde de l’Internet où foisonne une parole complètement désinhibée. » Si elle foisonnait sur les chaînes info, je l’aurais remarqué. « Alors que les prêches salafistes font attention de ne pas affronter la loi de la République directement, ne poussent pas à la violence mais indiquent qu’il y a une autre norme… Je ne sais pas si en l’occurrence, à Chanteloup, c’est le cas. Mais on voit bien qu’il y a un certain nombre de faisceaux. » Donc on fait comme si c’était le cas.

« Mais pour vous c’est la même ambiance. » « Oui, c’est une question d’atmosphère ou d’ambiance qui est en train de détricoter… je n’ose même pas parler de République, mais le pacte citoyen. » Un terrorisme d’ambiance détricoteuse, ça se précise. « Quand vous dites que vous n’osez même pas parler de République, c’est qu’on n’en est même plus là ? » « Oui, ce n’est plus un enjeu républicain, il n’y a plus une chose publique. Si vous brûlez un cirque où vont vos enfants, vous n’êtes pas concerné, vous considérez que c’est plus important d’avancer telle ou telle cause. » La cause salafiste, comme on l’a prouvé.

« Il y a aussi des enjeux de criminalité, poursuit l’invité. A Sevran, les dealers prenaient pour cibles les équipements publics : “Soit vous nous laissez faire notre trafic, soit on brûle la médiathèque.” » « Précisément, il y a à Chanteloup-les-Vignes une rénovation, une réhabilitation qui dérange l’économie souterraine », note Apolline de Malherbe. « Voilà, les choses sont imbriquées », convient Gilles Kepel, prenant pour exemple « le milieu salafo-délinquant des Izards à Toulouse »… Et précisant : « Il faut se méfier des amalgames. » Heureusement qu’il s’en méfie… NB : Pour une analyse moins caricaturale de la situation à Chanteloup-les-Vignes, il est préférable d’écouter la courte interview à RFI du sociologue Laurent Mucchielli qui, lui, a enquêté sur place.

« Vous posez la question plus globale d’un contexte qui serait celui d’une sorte de terrorisme d’ambiance. Est-ce que ça veut dire que ce qui s’est passé à Chanteloup, c’est une entrave dans le vivre ensemble, dans la société… » « En recourant à une violence extrême », précise l’expert. « C’est pas juste des jeunes ? » « Non. l’acte de brûler ce cirque, c’est un acte de terrorisme. » D’ambiance. « Des gens auraient pu mourir, être brûlés. » C’est donc un attentat raté. « Pour vous, ces émeutes d’une très grande violence peuvent devenir une manifestation terroriste ? » « Il faut bien sûr ne pas se ruer sur un adjectif ou un autre. » Il faut simplement employer l’adjectif « terroriste » à tout bout de champ. « Ce sont des manifestations qui s’emboîtent, il y a ce qu’on appelle des intersectionnalités. » Terroristes.

« A propos de l’attentat à la préfecture de police, reprend Apolline de Malherbe. Pour les enquêteurs aujourd’hui, la qualification de terrorisme n’est pas absolument certaine, ils se demandent si ce geste ne relève pas plus d’un délire mystique ou suicidaire… » « Je ne suis pas au fait de l’enquête… » Mais je n’ai pas besoin de l’être pour en donner la conclusion : « Mais il y a quand même des faits qui ont coïncidé, ils ont été attaqués au couteau. » Or, chacun sait que tout meurtre commis au couteau est l’œuvre d’un terroriste d’ambiance (ça va faire baisser le nombre de féminicides).

« J’étais ce jour-là au tribunal juste à côté où on était en train de juger l’une des accusées dans le procès des femmes qui avaient mis des bonbonnes de gaz près de Notre-Dame et à 50 mètres de la préfecture. » C’est troublant. « Et c’était celle qui avait attaqué au couteau les policiers venus l’arrêter. » Au couteau ? C’est encore plus troublant. « C’est peut-être une simple coïncidence, je ne sais pas. » Ça m’étonnerait. « Mais tout ça fait signe, c’est pour ça qu’on parle d’ambiance. » A l’issue de sa fulgurante enquête, Gilles Kepel est donc en mesure d’affirmer que Mickaël Harpon a tué ses collègues pour venger l’attentat raté à Notre-Dame. « On est dans une espèce de latéralité que favorisent les réseaux sociaux. » Et pas du tout les experts en carton de BFMTV. Au fait, ça donne quoi, une intersectionnalité latéralisée ?

« Dans le cas de monsieur Harpon, poursuit Gilles Kepel, l’un des éléments, c’est aussi sa surdité qui l’a enfermé dans un univers assez particulier. » Un univers d’humiliation dans lequel ses collègues l’appelaient « Bernardo », en référence au serviteur sourd-muet de Zorro. « Et on sait qu’un certain nombre de réseaux des gens qui ont un handicap comparable sont un terrain de chasse privilégié pour les sectes, sectes fondamentalistes diverses ou sectes islamistes. » Avis à la population : être sourd-muet entre dans la liste des « signaux faibles » qui doivent donner lieu à dénonciation. « Il y avait eu la conversion, la déclaration sur Charlie Hebdo… Si tant est que c’était du terrorisme, c’était un terrorisme sans organisation. » Puisque c’est du terrorisme.

« Vous parlez de terrorisme d’ambiance, se délecte encore Apolline de Malherbe. Vous parlez, à propos de l’incendie du cirque, d’une forme de terrorisme. Est-ce que vous qualifireriez (sic) aussi de terroriste l’attaque de la mosquée de Bayonne ? » « Oui, bien sûr. La société est prise en otage entre deux groupes qui veulent la fragmenter, aux deux bouts du spectre. Les djihadistes ont souhaité très clairement la victoire de l’extrême-droite lors de l’élection d’Emmanuel Macron, je lui avais d’ailleurs rappelé, il l’avait cité dans son débat avec madame Le Pen. » Waouh ! C’est carrément un conseiller du président que BFMTV a l’honneur de recevoir.

« Aujourd’hui, poursuit Gilles Kepel, on parle de quatrième âge ou de quatrième génération djihadiste, avec Mickaël Harpon, par exemple. » Puisqu’il est prouvé qu’il est djihadiste, et peu importe l’avis des enquêteurs. « Mais aussi le conducteur du camion le 14 juillet dans la foule à Nice. Ce sont des gens pour lesquels on n’a pas retrouvé d’ordres… Daesh n’a pas revendiqué la préfecture de police. » Ça n’empêche que c’est un attentat d’ambiance du quatrième âge. « On a désormais ce terrorisme djihadiste d’ambiance, de réseaux, d’enclaves. » L’enclave de la préfecture de police.

« Face à ce terrorisme d’ambiance, est-ce que nous sommes mobilisés comme il faut ? », s’inquiète Nicolas Domenach. Ne faudrait-il pas enfermer préventivement tous les musulmans ? « Le président a parlé de société de vigilance, ça correspond à ce qu’il faudrait ? » « Oui, ça me semble être une bonne expression. » De la part d’un conseiller du président, cet avis est étonnant. « Le problème, c’est de savoir comment elle est comprise, comment on le traduit institutionnellement même si la vigilance est l’affaire de tous les citoyens. Après le passage à l’acte vigilant, c’est l’affaire des services spécialisés. » Ils sauront faire parler les sourds-muets.

« Comment faire pour avoir cette vigilance sans tomber dans une forme de dénonciation ou de délation voire même de règlement de compte ? », interroge Apolline de Malherbe. « Le terrorisme d’ambiance, répond Gilles Kepel, ça nous concerne tous. » Aussi, la délation d’ambiance est l’affaire de tous. « Tout le monde n’a pas les moyens intellectuels ou psychiques d’identifier… » « Le président nous demande de signaler les signes d’éloignement d’avec la République, l’interrompt la présentatrice. Vous qui êtes un spécialiste absolu de ces questions-là, est-ce que vous pouvez nous dire ce que sont ces signes ? » « C’est très difficile de faire une nomenclature. » De la part d’un « spécialiste absolu », cette réponse est plutôt décevante. « Ça demande que ceux qui sont chargés de ça aient quand même une certaine culture… » Une culture ambiancée.

« Depuis les attentats terroristes de 2001, nos sociétés ont énormément changé à cause du terrorisme, déplore Eugénie Bastié, du Figaro droit-de-l’hommiste. Est-ce qu’on peut sacrifier nos libertés sur l’autel de la lutte contre le terrorisme ? » « C’est toute la difficulté. Ce qui fait notre force, c’est d’être des sociétés de liberté et d’inclusion. C’est du reste pour ça que les migrants viennent en Europe. Il ne se dirigent pas vers le Moyen-Orient. » Ah bon ? Et les millions de réfugiés du Liban, de Jordanie, ils se dirigent vers où ? En passant, Gilles Kepel rappelle que « Jacques Attali a souvent des intuitions assez fulgurantes ».

Nicolas Domenach sort le cirage : « Vous, vous parlez de manière apaisée. » Comme une musique d’ambiance (terroriste). « Mais ici on n’arrête pas de s’enflammer notamment sur le voile. Il y a une manifestation bientôt contre l’islamophobie, vous en pensez quoi ? » « Je suis assez dubitatif sur cette notion d’islamophobie qui est une sorte de parallèle à l’antisémitisme. Le problème, c’est que la lutte contre l’islamophobie, elle a été prise en main par des militants islamistes. » Un peu comme si la lutte contre l’antisémitisme avait été prise en main par des partisans de Netanyahou avec pour objectif d’interdire tout critique de la politique du gouvernement d’Israël. « Avec pour objectif d’interdire toute critique envers leur conception de l’islam et de prendre en otage leur coreligionnaires musulmans en disant : “Toute critique contre nous est une attaque contre l’ensemble des musulmans.” Ça se joue très habilement sur le plan médiatique. Quelques semaines après l’attentat de Nice, on a la grande affaire sur le burkini orchestrée par le Comité contre l’islamophobie en France (CCIF) et autres… » Et pas du tout initiée par les maires qui ont pris des arrêtés pour interdir ce vêtement. « … Elle détourne l’attention d’enjeux beaucoup plus importants comme ce qui s’est passé à Nice. » Encore un scoop de l’apaisé Gilles Kepel : la polémique sur le burkini a été lancée pour faire oublier l’attentat de Nice.

Apolline de Malherbe conclut : « On a bien compris votre point qui est de dire que créer un concept d’islamophobie pour mélanger racisme et opinion (sic), mais est-ce qu’il y a ce climat de rejet, de défiance envers les musulmans ? » « De défiance, oui, du fait de la multiplication des attentats. » Mais pas du fait de la multiplication des inepties de BFMTV.

source : www.telerama.fr/television/gilles-kepel-ambiance-le-terrorisme-sur-bfmtv,n6501534.php