Son combat acharné pour les droits des femmes, la dépénalisation de l’avortement et un meilleur remboursement mais aussi un accès facilité à l’éducation sexuelle n’a jamais cessé.
HALIMI – Après sa mort, Gisèle Halimi laisse derrière elle une marque indélébile dans l’histoire du féminisme. Son engagement, présent dès la petite enfance, est étroitement lié à l’expérience même qu’elle a faite tout au long de sa vie de la condition féminine. Un événement intime a aussi poussé Gisèle Halimi à s’engager.

Avant de se battre pour la légalisation de l’avortement, Gisèle Halimi avait été traumatisée par la propre interruption de grossesse qu’elle avait subie en 1946. Un avortement barbare qu’elle a raconté au Monde : “J’avais moi aussi, à 19 ans, connu la plus profonde détresse après un avortement réalisé par un jeune médecin sadique, un monstre, qui avait fait un curetage à vif en disant : ‘Comme ça, tu ne recommenceras pas.’”

“L’injustice m’est physiquement intolérable”

Un souvenir éminemment douloureux et fondateur des luttes à venir. “J’ai beaucoup pleuré cette nuit-là, avec le sentiment qu’on m’avait torturée pour sanctionner ma liberté de femme et me rappeler que je dépendais des hommes. Mais je ne regrettais pas. La biologie m’avait tendu un piège. Je l’avais déjoué. Je voulais vivre en harmonie avec mon corps, pas sous son diktat.”

Mais, avant de signer, le fameux Manifeste des 343 salopes, Gisèle Halimi s’engage en Tunisie au barreau de la capitale du pays en 1949 et défend des syndicalistes et des indépendantistes tunisiens.

Un engagement qui fait sens. “L’injustice m’est physiquement intolérable”, disait-elle souvent. “Toute ma vie peut se résumer à ça. Tout a commencé par l’Arabe qu’on méprise, puis le juif, puis le colonisé, puis la femme”, confiait-elle au JDD en 1988.

L’année 1971 marque un tournant pour cette féministe engagée. Elle vit désormais en France. Depuis la fin des années 50, elle s’est rapprochée de Simone de Beauvoir, notamment lorsqu’elle défendait Dajmila Boupacha, une jeune militante du Front de libération nationale algérien (FLN) violée et torturée par des militaires français. Un combat auquel a participé l’intellectuelle française. En avril, elles co-signent avec des femmes connues et anonymes un texte pour dénoncer la répression de l’avortement. Dans Le Nouvel Observateur est publié “Un appel des 343 femmes”, rebaptisé plus tard “Le Manifeste des 343 Salopes”.

“Gisèle, vous ne pouvez pas signer”

Dans ce texte, toutes ces femmes avouent avoir avorté clandestinement. Selon une loi de 1920, l’avortement est alors considéré comme un délit. Gisèle Halimi le sait: en tant qu’avocate, signer un tel texte n’est pas sans conséquence. Elle risque un blâme. Simone de Beauvoir la met en garde. “Gisèle, vous ne pouvez pas signer, comme avocate. Mais tâchez de nous récolter des noms, autour de vous.” Gisèle Halimi signera malgré tout.

Lorsqu’elle comprend le danger dans lequel peuvent se trouver certaines signataires, notamment les anonymes, elle se mobilise. “On ne touchera à personne sans nous inculper toutes…, promet-elle. Nous allons créer une association qui prendra en charge votre défense et les 343 seront dans chacune des actions qui seront menées contre l’une d’entre vous.”

En juillet 1971, le mouvement “Choisir la cause des femmes” est ainsi créé grâce à Gisèle Halimi, Simone de Beauvoir, Jean Rostand, Christiane Rochefort, Jacques Monod. Les objectifs sont de trois ordres: l’éducation sexuelle et la contraception, l’abrogation de la loi de 1920 et la défense gratuite des femmes poursuivies pour avortement.

Dès l’année suivante, la France ne va plus pouvoir passer à côté de cette avocate engagée. Elle défend devant le tribunal correctionnel de Bobigny Marie-Claire Chevalier, mineure accusée d’avoir eu recours à un avortement après un viol, et sa mère, accusée de complicité.

“J’ai avorté, j’ai commis ce délit”

À l’occasion de ce procès emblématique, le grand public découvre cette femme à l’allure toujours impeccable qui fait citer un aréopage de personnalités littéraires et scientifiques venues dénoncer un procès d’un autre âge.

Elle obtient la relaxe de la jeune femme et parvient à mobiliser l’opinion, ouvrant la voie à la dépénalisation de l’avortement, début 1975, avec la loi Veil. Pour convaincre son auditoire, dans sa plaidoirie finale, Gisèle Halimi s’appuie aussi sur son histoire personnelle.

“Au procès de Bobigny, écrit-elle dans le “Lait de l’Oranger”, un récit autobiographique, je décidai de tout dire de l’action des femmes et de ma propre expérience. Je commençai par un aveu-provocation : j’ai avorté, j’ai commis ce délit. Le président veut m’interrompre. Il fait un geste de la main. Les femmes, entassées dans la salle bondée, applaudissent.”

Une avocate qui admet face à la Cour qu’elle a été hors-la-loi pour défendre ses clientes accusées du même délit. Après enquête, elle raconte encore “J’écopai d’une sanction. Ambiguë et modérée. À me souvenir aujourd’hui de la cérémonie disciplinaire, je me laisse aller à la gaieté.”

“Si c’était à refaire, je prendrais les mêmes engagements”

Sa carrière politique aussi sera au service des droits des femmes. Élue députée de l’Isère (apparentée PS) en 1981, elle poursuit le combat à l’Assemblée, cette fois-ci pour le remboursement de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), finalement voté en 1982.

En 1995, elle prend la tête, avec notamment l’ancien ministre socialiste de la Justice Robert Badinter, du comité français de soutien à Sarah Balabagan, une jeune domestique philippine condamnée à mort aux Émirats arabes unis pour le meurtre de son employeur qui abusait d’elle. Elle interviendra aussi fréquemment pour s’inquiéter de la fermeture de plusieurs centres d’IVG en région parisienne (2009), dénoncer l’“indécent” retour médiatique de Dominique Strauss-Kahn (2011) – après l’abandon par la justice américaine des poursuites pénales le visant dans l’affaire de Sofitel – ou défendre la pénalisation des clients de prostituées (2011).

En septembre 2019, elle donnait une dernière interview au Monde. L’occasion encore et toujours de remettre les droits des femmes, le combat qui l’animait au centre de tout. Elle se rendait compte du chemin parcouru mais aussi du chemin à parcourir. “Je suis encore surprise que les injustices faites aux femmes ne suscitent pas une révolte générale”. Et d’affirmer que la porte du son cabinet d’avocate était toujours ouverte. “Cela fait soixante-dix ans que j’ai prêté serment et, si c’était à refaire, croyez-moi, je prendrais les mêmes engagements, je ferais exactement le même choix”.

source :  https://www.huffingtonpost.fr/entry/le-traumatisme-qui-a-conduit-gisele-halimi-a-devenir-lavocate-du-droit-a-lavortement_fr_5f1fdbbec5b6945e6e3f2cce??ncid=newsltfrhpmgnews#EREC-101

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