Christ Embassy affiche clairement ses ambitions sur son site internet : conquérir le nord-ouest de la France. Pour l’instant, le groupe – qui possède une chaîne TV et des librairies en ligne – n’a apparemment pas essaimé hors de Rennes, où il ne possède toujours pas de lieu de culte. Les offices ayant lieu dans un hôtel du quartier de Beauregard, sous la direction de Segun Dorkas Akinsola, un pasteur qui ne maîtrise pas à la perfection le français et dont les propos sont traduits en direct en anglais. Contrairement aux autres groupes évangéliques qui s’interdisent le prosélytisme, Christ Embassy, composé en majorité de personnes d’origine africaine, n’hésite pas à entrer en contact avec la population. Distribuant des tracts, allant au contact des Rennais dans la rue, lors d’opérations baptisées « Rhapsodies des Réalités », où le sourire est toujours de mise. Mais attention : une des fondations de ce groupe est assise sur ce qu’il appelle « Les manifestations des miracles » et auxquelles les fidèles croient dur comme fer.

Des « écoles de guérison »

Sur les sites de Christ Embassy et ses pages Facebook, les vidéos sont nombreuses montrant des aveugles retrouvant soudainement la vue près du pasteur Oyakhilome, aux costumes impeccables. Ou des handicapés se levant de leur fauteuil et marchant droit devant eux. Au milieu d’une foule en transe. Complètement exaltée. Des pratiques mentionnées et dénoncées dans les rapports parlementaires sur les sectes de 1995 et 1999. « Ces miracles sont la vérité, commente le pasteur rennais que nous avons contacté. C’est écrit dans la Bible. Quand on chasse le démon, on peut guérir. Si vous êtes chrétien, vous y croyez ». Cette croyance va très loin. Dans un des fascicules distribués aux fidèles on peut lire qu’une femme atteinte du sida, « luttant contre des problèmes de foie, de kystes et infections fongiques », a guéri très vite. « L’homme de dieu lui rendit ministère et déclara : tu es délivrée. Elle est retournée faire des tests de sida qui ont donné des résultats négatifs ». Le groupe possède ce qu’il appelle « des écoles de guérison » en Afrique mais aussi aux États-Unis et au Canada. Nombreux sont ceux qui s’y rendent, au risque de rompre avec les traitements médicaux conventionnels dont ils font l’objet.

Un groupe aux « pratiques borderline »

Christ Embassy est totalement indépendant des structures évangéliques de France. Au Conseil national des évangéliques de France (Cnef), on souligne que ce groupe a des « pratiques borderline qui n’ont rien à voir avec la foi protestante ». Le représentant régional du Cnef à Rennes dit avoir entendu parler de ce mouvement pour la première fois il y a trois ans. « On s’en méfie. Nous avons mis en garde nos fidèles sur leurs méthodes ». Segun Dorkas Akinsola se défend, lui, d’être à la tête d’un mouvement qui pose problème. « Nous voulons que nos fidèles aient une vie normale, une famille, un métier ». À ce titre, l’exemple d’Axelle, membre du groupe rennais (lire ci-dessous), n’est pas des plus convaincants. Sa mère a d’ailleurs porté plainte pour abus de faiblesse. Ce cas n’est pas isolé. Contactée la Miviludes – Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires – précise connaître ce mouvement. « Il fait l’objet de toutes les attentions. Nous exerçons toute notre vigilance à l’encontre de ce groupe ».

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En complément

Une plainte pour abus de faiblesse

« Ma fille a intégré ce groupe par l’intermédiaire d’une étudiante rencontrée à la fac de Rennes où elle était inscrite en troisième année de lettres. Axelle était fragile. Elle souffrait d’un état dépressif. Une forte relation d’amitié s’est nouée entre elles, raconte Sylvie. Et Axelle a suivi le groupe ». En mai 2013, après un week-end passé en compagnie de plusieurs membres de Christ Embassy, à La Rochelle, Axelle confie à sa mère qu’elle se sent bien. « Elle m’a dit que dieu était entré en elle. Qu’elle était née à nouveau. Je n’avais jamais entendu ma fille parler de la sorte. » Axelle reprend la fac à la rentrée. Tout va pour le mieux. Elle emménage avec une amie. Et trouve un emploi d’avenir de professeur dans un collège. « Quelques mois plus tard, j’ai appris qu’elle tentait de rejoindre le Nigeria, où est né Christ Embassy. Elle voulait y participer à une conférence du mouvement. J’ai essayé de l’en dissuader. Mettant en avant les exactions des islamistes qui minent ce pays ». Finalement, pour des raisons de sécurité, Axelle n’obtiendra pas de visa. Elle reviendra chez sa mère à Noël, passant ses journées plongée dans la Bible. « Petit à petit, elle s’est coupée du monde. De ses amis, de sa famille et de son frère. Tous deux étaient pourtant très proches », poursuit Sylvie. Puis, elle a pris de sérieuses distances avec la fac. « Elle a laissé tomber le Capes, elle ne se rendait plus au collège. Et, finalement, elle a vidé son compte et ses livrets bancaires. Elle n’avait plus de contact avec son amie colocataire. Puis elle a disparu de son logement sans prévenir personne. » Après plusieurs semaines de silence, Sylvie reprendra contact avec sa fille, par l’intermédiaire du pasteur de Christ Embassy Rennes. « Un dialogue de sourds. Ma fille était complètement en dehors de la réalité. C’est alors que j’ai décidé de me rendre à Rennes, à un des offices, pour la rencontrer. C’était surréaliste. Le pasteur s’égosillait, un micro à la main. Il parlait anglais et ses paroles étaient traduites par un fidèle. J’ai mangé avec ma fille et je suis repartie. » Début juillet, Sylvie a appris que Axelle avait été « choisie » pour travailler comme traductrice dans un « centre de guérison » à Toronto, au Canada. « Elle m’a dit qu’elle avait vu des choses incroyables. Qu’elle avait assisté à des miracles. Comme un aveugle retrouvant soudainement la vue ». Aux dernières nouvelles Axelle devait revenir en France début septembre. * Il s’agit de prénoms d’emprunt.

source :Le Télégramme par Didier Déniel

http://www.letelegramme.fr/bretagne/groupe-evangelique-derives-a-rennes-11-09-2014-10334124.php