Une femme se demande si elle doit donner le nom de son violeur. Une autre raconte avoir fui son mari violent, pour se voir signifier par son pasteur de retourner chez elle. Une autre encore accuse un pasteur « abuseur »d’attouchements en public. Voilà quelques-uns des milliers de messages visibles sur le fil #ChurchToo, lancé sur Twitter fin novembre par la poète Emily Joy et la travailleuse sociale Hannah Paasch. Les deux amies de 26 et 27 ans, installées respectivement dans le Tennessee et l’Arizona, se sont fixé pour mission de briser le silence autour des abus sexuels dans les Églises, en particulier chez les évangéliques américains, en encourageant les victimes à prendre la parole sur le réseau social.

Leur démarche est inspirée du mouvement anti-harcèlement sexuel #MeToo qui continue de balayer les États-Unis dans le sillage de l’affaire Weinstein. « Les abus sexuels dans l’Église catholique sont très médiatisés. Cela est utilisé par les évangéliques pour dire que le problème n’existe pas chez eux. Or, ce n’est pas vrai », affirme Hannah Paasch.

« Il nous a fallu plusieurs années pour nous rendre compte que ce n’était pas normal »

Issues toutes les deux de familles protestantes, elles disent avoir connu des « expériences traumatisantes » lors de leurs études dans une école évangélique de l’Illinois. Emily Joy dit avoir été manipulée à l’âge de 16 ans par un responsable à des fins romantiques et sexuelles. Quant à Hannah Paasch, elle est tombée en dépression après avoir été qualifiée de « prostituée » par ses camarades parce qu’elle mettait du maquillage et refusait de s’habiller trop strictement. « Il nous a fallu plusieurs années pour nous rendre compte que ce n’était pas normal. À 23 ans, nous ne savions pas ce qu’était une relation amoureuse », glisse Emily Joy.

Le silence autour des abus sexuels est particulièrement ancré dans les cercles évangéliques. Même si les sondages auprès des évangéliques blancs montrent qu’une majeure partie d’entre eux considère les agressions et le harcèlement sexuels comme un problème « très important », ils ont soutenu en masse, lors de campagnes récentes, des candidats accusés d’avoir perpétré de tels actes, comme le républicain Roy Moore dans l’Alabama.

En janvier, le pasteur évangélique Andy Savage, qui officie dans une méga-église de Memphis, a été accusé d’avoir agressé sexuellement en 1998 une lycéenne qui fréquentait son église. Il a reconnu un « incident sexuel » et a demandé pardon à s victime devant sa congrégation. Il a été ovationné. Emily Joy n’est pas « surprise » par cet épisode. « Cela se produit régulièrement dans les églises, loin des médias. La culpabilisation des victimes, la théologie du pardon forcé et la minimisation d’actes criminels sont très répandues. Plutôt que d’écouter et s’excuser, l’Église est en train de re-traumatiser les victimes. »

Les deux femmes militent pour des changements concrets

Cependant, les lignes bougent. Dans le sillage de #ChurchToo, 140 femmes évangéliques réunies sous la bannière #SilenceIsNotSpiritual (« le silence n’est pas spirituel ») ont publié fin décembre un communiqué appelant les Églises, en particulier évangéliques, à « cesser toute participation aux violences contre les femmes ». Depuis le lancement de #ChurchToo, Emily Joy et Hannah Paasch multiplient les interviews et organisent des événements publics pour encourager les victimes à s’exprimer.

Aujourd’hui, les deux femmes militent pour des changements concrets, comme la mise en place de formations contre le harcèlement dans les églises. Au-delà, c’est la culture « patriarcale » et les rapports hommes-femmes au sein des Églises évangéliques qu’elles veulent changer. « Les évangéliques sont fiers d’avoir conservé leurs dogmes pendant des années, affirme Hannah Paasch. Le vrai changement ne se produira que si le public est mobilisé. »

source :La Croix par Alexis Buisson , le 01/07/2018

https://www.la-croix.com/Religion/Harcelement-sexuel-silence-brise-chez-evangeliques-americains-2018-07-01-1200951587?from_univers=lacroix