C’est une véritable tragédie collective qui, le 20 mars 1995, a ébranlé le Japon lorsque des disciples de la redoutable secte Aum ont répandu du gaz sarin dans le métro de Tokyo au cours de cinq offensives soigneusement coordonnées.
Bilan : 12 morts et des milliers de blessés à la suite de cette attaque terroriste effroyable, l’une des plus traumatisantes de l’histoire japonaise.
Neuf mois après ces événements, l’auteur de Kafka sur le rivage a commencé à rencontrer des victimes et à recueillir leurs propos, en leur laissant le temps de descendre au plus profond de leur désarroi. Leurs récits – plus d’une trentaine – montrent à quel point leur vie a été bouleversée, ce jour-là.
“Ce genre de peur, on ne l’oubliera jamais”, dit l’un d’eux, et un autre ajoute : “Pour moi, il ne s’agit plus simplement de décider si je prends le métro ou non ; le simple fait de marcher m’effraie, désormais.” Au fil des témoignages, on découvre l’incroyable brutalité – “Je croyais que j’allais vomir mes boyaux” – et l’absurdité de cet attentat aveugle, quelques heures d’apocalypse dans les entrailles d’une ville qui croyait en avoir fini avec ses démons.
Mais Murakami a voulu aller plus loin.
Dans la seconde partie d’Underground, il donne la parole à certains adeptes de la secte Aum. Pour savoir comment l’endoctrinement peut engendrer des assassins. Et pour mieux autopsier, au-delà de ces aveux, les angoisses d’une société qui a été le théâtre d’une telle dérive. Pourquoi des êtres apparemment ordinaires se laissent-ils embrigader à ce point, en se soumettant à un gourou qui leur impose une discipline féroce et la pire abnégation ? Cette interrogation revient tout au long de ces pages où, sans jamais excuser les coupables, Murakami évite tout manichéisme : l'”éruption cauchemardesque” du 20 mars 1995, explique-t-il, a mis en relief les contradictions latentes d’un Japon pressé d’expulser les terroristes “comme des corps étrangers”, en éludant les questions fondamentales que cet acte barbare pose au pays, au risque d’une possible récidive. Parti d’un événement qui ressemble à la “boîte noire” de la société nipponne, ce livre ne cesse d’élargir sa focale pour mettre en lumière des maux collectifs et pour esquisser, à force d’écoute, une “tentative de réparation”.

Extrait
“C’est une forme d’angoisse qui a motivé cette démarche. J’étais en effet très inquiet de constater que nous n’avions pas commencé à traiter, sans même parler de les résoudre, les problèmes fondamentaux que ces attaques ont posés à notre société. Pour être plus précis, il n’y a toujours pas d’alternative efficace, ni de filet de sécurité, dans la société japonaise, et chaque jour de nouvelles personnes se retrouvent en marge de notre système, les jeunes surtout. Tant que ce fossé perdurera, comme une sorte de trou béant, et même si Aum est éradiqué, d’autres champs de force magnétique – des groupes “comparables à Aum” – se reformeront à nouveau, et des incidents similaires surviendront.” (pages 292-293.)

Source : l’EXPRESS du 20 février 2013
par Bernard Clavel
Underground Écrit par Haruki Murakami