Sur l’avenue Jérusalem de Jaffa, aujourd’hui temporairement éventrée par les travaux du futur tramway, le cinéma l’Alhambra, édifié en 1937, est l’un des plus beaux exemples d’architecture art déco de Tel-Aviv. D’autant plus que les courbes de ce paquebot bleu et blanc ont été restaurées à grands frais il y a quelques années, redonnant à ce qui fut l’une des salles de spectacle les plus courues de la Palestine mandataire sa grandeur d’avant-guerre. Une époque où Juifs, Arabes et officiers britanniques pouvaient s’y délecter des vocalises de la diva égyptienne Oum Kalthoum.

Cathédrale high-tech

Les richissimes bienfaiteurs, qui ont sorti l’Alhambra de décennies d’abandon, viennent tout droit d’Hollywood. Mais rien à voir, ou presque, avec le septième art. Comme l’indique l’imposant fronton de l’ex-cinéma, il s’agit de l’Eglise de scientologie. Le site, inauguré en 2012, est l’unique pied-à-terre du mouvement au Moyen-Orient, qui a fait de l’ancienne salle de spectacle une cathédrale high-tech à la gloire des «enseignements» (ou élucubrations, c’est selon) de son fondateur, Ron Hubbard.

L’intérieur du centre, méticuleusement astiqué, ressemble à une médiathèque futuriste s’étalant sur trois étages, avec des dizaines de postes de visionnage et salles de classe. Les murs sont longés de rayonnages remplis de centaines d’ouvrages SF aux couvertures criardes, façon Talmud scientologue. Des prospectus en hébreu, arabe et russe (les trois langues de l’Israël moderne) sont à portée de main, proposant «solutions» et «réponses» à l’addiction médicamenteuse ou la dépression. A l’accueil, une élégante trentenaire au look de méchante sortie d’un film de James Bond (blazer strict et col roulé noirs) nous conduit directement à l’une des consoles audiovisuelles. Pendant qu’on s’initie à «quelques bases» – des «thétans» à «l’auditoring» – dans des films en haute définition doublés dans toutes les langues imaginables, cette dernière veille entre deux coups de chiffon sur un pupitre luisant.

Accueilli à bras ouverts

«Nous sommes plusieurs milliers en Israël», assure l’employée du centre. Ce que semblent confirmer les quelques articles dédiés au microphénomène scientologue en Terre sainte. Si une commission parlementaire de la Knesset a rangé l’Eglise au rayon «sectes» en 1987, le mouvement n’a eu aucun mal à s’implanter à Tel-Aviv, accueilli à bras ouverts par les pouvoirs publics (deux membres du gouvernement étaient présents à l’inauguration). «Le centre de scientologie montre simplement que Tel-Aviv est l’une des villes les plus pluralistes du Moyen-Orient», s’était alors réjoui un porte-parole de la municipalité, notant que le centre, au cœur de la multiculturelle Jaffa, n’est qu’à un jet de pierre «de nombreuses synagogues, mosquées et églises».

«Pour de nombreux Américains, la scientologie reste une secte dangereuse. Mais pour les Israéliens, c’est juste une religion parmi d’autres», estime la journaliste Tamar Leveson dans le magazine The Tower. Qui note par ailleurs que le principal rival de l’Eglise de scientologie à Hollywood n’est autre que la Kabbale juive… Comme un retour à l’envoyeur.

source : Guillaume Gendron correspondant à Tel-Aviv