Ce fut une brève rencontre en 2005, lors d’une fastueuse conférence de détectives privés à Las Vegas. «J’aime bien travailler avec des journalistes … En général, ils savent écouter et observer. L’argent n’est pas leur première motivation et ils écrivent des rapports qui se tiennent», m’avait dit en substance David Sullivan en tendant sa carte: «Sullivan Associates International: Investigations et consultations, San Francisco et Rio de Janeiro.» Le quinqua chauve était plutôt singulier, un baroudeur qui n’avait pas le profil courant du privé ancien policier ayant fait carrière dans un seul fief. Il était chaleureux sans être bavard, engageant et drôle sans pour autant faire le malin.

Nous avions parlé de sa propre spiritualité et de Marin County, la région bohème aisée très verte, au nord de San Francisco où pullulent les sectes et les conversions religieuses en tout genre. J’y avais enquêté sur le parcours d’un fils de hippies athées devenu Taliban. Nous avions aussi évoqué l’Ordre du Temple Solaire et le travail imposant de journalistes français (dont Gilles Bouleau) sur ce livre-enquête inédit aux Etats-Unis. Hélas, il a fallu le décès de David Sullivan le mois dernier, à 62 ans, pour que l’étendue de son travail extraordinaire nous soit révélé au grand jour.

La récente nécrologie du San Francisco Chronicle donne un aperçu de l’incroyable parcours de ce bon vivant devenu détective privé par accident: «David Sullivan a laissé tomber le lycée pour devenir le manager d’un groupe de rock à Mexico. Il a vécu dans une réserve sioux avec un médecin indigène nommé Crow Dog. Il a construit un radar militaire dans la Libye de Kadhafi, a confronté un trafiquant de drogues brésilien renommé dans les favelas de Rio, a castré des taureaux en Bolivie.»

Publié au lendemain de sa disparition dans l’édition de novembre du magazine Harper’s, un long portrait (L’homme qui vous sauve de vous-même, non publié en ligne) dévoile pour la première fois comment David Sullivan avait appris les ficelles de son métier à San Francisco, auprès du détective Hal Lipset, célèbre pour ses tout petits micros dissimulés dans des olives de martini. Une fois lancé dans l’étude des sectes, il avait consulté des psychologues comme Margaret Singer pour pouvoir infiltrer les organisations et tenir sur la durée, en dépit des lavages de cerveaux.

Les sectes de l’Ouest américain sont souvent masquées derrière des entreprises d’apparence anodines, comme des compagnies écolos, des studios de yoga ou des bars à jus de fruits. L’un de ces bars à jus de Marin County abritait la secte Mother Divine Love Foundation, dirigée par un prédateur sexuel. Les parents d’une victime tombée enceinte ont appelé David Sullivan au secours. Faute d’avoir le bon profil pour infiltrer la secte, le détective fouilla le passé du leader et découvrit qu’il était un ancien dealer de drogues de la côte Est, criblé de dettes. «David a appelé le leader pour le prévenir que des mafieux de Caroline du Sud à qui il devait de l’argent étaient en route pour le faire payer. Il a décampé, permettant la délivrance de la jeune fille», raconte Nathaniel Rich, le journaliste de Harper’s dans une interview.

David Sullivan aimait à rappeler que les leaders de sectes sont rarement aussi charismatiques que ce que l’on croit: «Ils sont des NARCISSIQUES en lettres capitales et souvent de vrais bouffons», expliquait-il lors d’un forum public en 2010. «Ce sont des hommes d’un certain âge, gras et poilus, qui ne se lavent pas. Ils ont souvent un rire bizarre, haut perché, et ils sont tout le temps en rut. Les femmes leaders, en revanche, sont davantage motivées par l’argent et par la domination de leurs recrues.»

Sans cesse à la recherche de détectives undercover, David Sullivan avait recruté et formé plusieurs jeunes journalistes à l’art de l’investigation, se souvient l’un d’eux, Steven Cuevas, aujourd’hui chef d’une radio à Los angeles: «J’ai travaillé pour lui à la fin des années 90 sur une enquête undercover dans une secte […] et c’est à David que je dois l’acquisition de ma méthode d’interviewer et de reporter.»

source : un blog de LIBERATION