On va de surprise en surprise. D’abord en découvrant que l’évangélisme est pratiquement aussi ancien que le protestantisme lui-même. Ses origines remontent au XVIe siècle, chez les « rebaptiseurs » ou anabaptistes. Ces derniers refusent l’encadrement par une institution ou un clergé. Ils considèrent comme seul vrai baptême celui des adultes, qui choisissent leur foi en toute connaissance de cause et commencent ainsi une vie nouvelle avec Jésus. Né entre Suisse et Alsace, ce courant va passer en Angleterre puis dans le Nouveau monde avec les puritains. Mais une tradition française subsiste, celle des camisards qui se battent contre les persécutions de Louis XIV. « Rebelles parmi les rebelles », les quelque 2000 descendants de la Réforme radicale rejetteront, un siècle plus tard, le Concordat : devenir fonctionnaires ? Impossible !
Quand Billy Graham prêchait dans le Paris des années 1950
Il existe donc depuis toujours une base évangélique en France, sur laquelle sont venus se greffer des mouvements anglo-saxons : l’Armée du Salut venue d’Angleterre dans les années 1880, le Pentecôtisme américain dès 1906, quelques mois seulement après sa naissance en Californie, puis, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, Billy Graham et ses prêches à grand spectacle.
Après l’histoire, la géographie. Linda Caille est partie dans un tour de France des églises évangéliques. Avec des tonalités variées, souvent pittoresques mais parfois, il faut l’avouer, assez effrayantes, elles ont en commun une foi exigeante, démonstrative, guérisseuse et prosélyte.
Les évangéliques seraient aujourd’hui 500.000 en France. La grande différence avec les autres confessions c’est qu’il n’y a pas d’évangéliques « non-pratiquants ». Se considérant comme « sauvés », transformés individuellement par Jésus, ils partent évangéliser les autres sans aucune inhibition.
Profession: pasteur-implanteur
L’un des personnages étonnants que nous fait découvrir Linda Caille est le pasteur suisse Daniel Liechti, vice-président du Conseil national des évangéliques de France (Cnef). Il est un peu le général de cette armée en marche (armée pacifique, tient-il à souligner). Il y avait 769 églises évangéliques en France métropolitaine en 1970. Depuis, leur nombre augmente au rythme de 34 par an, soit une tous les dix jours. « Pour l’instant il y a une Eglise pour 30.000 Français, notre ambition, un peu théorique, est d’atteindre une Eglise pour 10.000 habitants », commente Daniel Liechti. Le Gard (vieille terre protestante) est le plus près d’atteindre cette proportion, avec cent assemblées évangéliques. Le pasteur Liechti a même créé à la rentrée 2012, apprend-on, un master en implantation d’églises à la faculté de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine ! Chaque « pasteur-implanteur » est soutenu par une Eglise-mère qui le salarie et lui apporte quelques familles de fidèles pour démarrer.
L’enquête de Linda Caille aborde ensuite les communautés particulières, comme les gens du voyage, conquis en masse par le pentecôtisme dès les années 1950, les Antillais, les Africains. Il y a parmi eux des pasteurs-gourous comme Nono Pedro, fondateur de Charisma, une Eglise géante de 6.000 fidèles dans la Seine Saint Denis, des « théologiens de la prospérité » qui vivent grassement sur la communauté, mais aussi des voix dissidentes comme Shora Kuetu qui dénonce sans relâche les pasteurs arnaqueurs.
Face à l’islam : que le meilleur gagne !
L’auteur n’évite pas les questions délicates comme la concurrence frontale entre l’islam et l’évangélisme dans les banlieues, dans un chapitre intitulé : « Que le meilleur gagne ! » Mais avec finesse elle note qu’il y a entre les deux religions bien des points communs : un rapport direct avec Dieu et avec le Livre sacré, le rôle secondaire du clergé, une foi fièrement affichée.
Les dérives sectaires, surveillées de près par les autorités, ne sont pas non plus balayées sous le tapis. De même que les déceptions de fidèles épuisés par un engagement constant de plusieurs décennies.
Linda Caille surprend aussi en démontrant que, contrairement aux évangéliques américains du Tea Party, les évangéliques français penchent majoritairement à gauche. Ce qui n’empêche pas certaines Eglises professant une morale sexuelle très puritaine, d’entrer en contradiction avec les protestants traditionnels, généralement progressistes, accueillants pour les gays et les couples non mariés.
Outre son enquête de terrain, l’auteur s’est appuyée sur les connaissances des chercheurs, comme le français Sébastien Fath ou le suisse Laurent Amiotte-Suchet. Le résultat est un livre étonnamment riche pour ses 220 pages, où la neutralité du ton laisse, par contraste, découvrir l’intensité des sentiments qu’expriment ces passionnés de Jésus. Des gens ordinaires que chacun croise dans le métro, au supermarché ou au bureau. Instructif.
source : Source : http://fait-religieux.com/culture par Sophie Gherardi | le 05.02.2013 à 17:39
Linda Caille, Les Soldats de Jésus. Les évangéliques à la conquête de la France, Fayard, 2013, 222 p, 17 €.