Les professions du bien-être, dans le viseur des autorités, ont pignon sur rue dans les Yvelines. Pourtant les méthodes de certains de ces « praticiens » posent question.

Charlotte, des Clayes-sous-Bois, est masseuse bien-être : « Soigner un rhume avec des plantes, pourquoi pas, un cancer, sûrement pas ! »
Charlotte, des Clayes-sous-Bois (Yvelines), est masseuse bien-être :
« Soigner un rhume avec des plantes, pourquoi pas, un cancer, sûrement pas ! » (©Renaud Vilafranca)

Doctolib a fait un grand ménage ! Naturopathes, acupuncteurs, sophrologues, hypnothérapeutes5 700 praticiens doivent quitter la plateforme d’ici six mois. Car ces activités de bien-être, porte ouverte à de nombreuses dérives, sont dans le viseur des autorités, notamment de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).

Gourous et charlatans

Ces « médecines » dites alternatives ne sont pas contrôlées comme le sont les professions de santé classiques. Au milieu des thérapeutes de bonne foi, se cachent gourous et autres charlatans. Comment faire le tri, quand ces guérisseurs en tout genre courent les salons, comme celui qui se tiendra le 27 novembre prochain, à Aubergenville ?

Dans les Yvelines, nous avons interrogé plusieurs d’entre eux. Et si certains nous semblent totalement de bonne foi, d’autres tiennent des discours étonnants.

C’est le cas, par exemple, de Laura (prénom modifié), « officiellement » magnétiseuse depuis 2013. Son « outil de travail » : ses mains, soigneraient « brûlures, problèmes physiques, crises d’angoisse, émotionnelles, existentielles » et faciliteraient la cicatrisation.

« J’accompagne mes patients pour la chimiothérapie et à la radiothérapie. Je prépare toute l’énergie du corps à accueillir des produits qui vont parfois brûler ou dérégler l’organisme. »

Une magnétiseuse des Yvelines

Un don « inné », qu’elle a conforté par des formations. Chez elle, la séance est facturée 85 euros, sans garantie de résultat. On est libre d’y croire ou pas. En tout cas ses dires ont laissé sceptique tous les médecins que nous avons questionnés.

Cette quadragénaire est également formée au « chamanisme », pratique ancestrale censée faire l’interface entre l’humain et les esprits dans certaines cultures d’Europe du nord et d’Amérique du Sud. Cette « passeuse d’âme » propose ainsi des « voyages spirituels », des « accompagnements au deuil », mais peut aussi, plus étonnant, « retrouver des chats égarés »… « Quand une personne m’appelle, je peux visualiser le périmètre où se trouve l’animal. » Nous n’avons pas eu l’opportunité d’apprécier l’étendue de ses talents.

« Il faut se méfier des pratiques new-âge qui, dans les Yvelines, en 2021, ont fait l’objet d’une vingtaine de signalements pour situation problématique. Avec cette quête de spiritualité, des gens fragiles atteignent un point de rupture. J’ai l’exemple d’une personne à qui cela a pris tout son temps, tout son argent et qui a fini par laisser de côté ses enfants. Parfois ces thérapeutes exercent une pression énorme sur leurs clients. »

Marie DrilhonPrésidente de l’Association de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (Adfi), Versailles.

L’initiation à l’ayahuasca a le vent en poupe

Dans cet esprit, des chamanes proposent clandestinement, dans les Yvelines, des initiations à l’ayahuasca, une décoction psychédélique à base de lianes, au centre des rituels mystiques de tribus indigènes d’Amazonie. Un breuvage considéré comme « sacré », puissamment purgatif et hallucinogène, qui a déjà fait quelques morts à l’étranger. Sa consommation est interdite en France.

« Les effets sont variables selon les gens. On peut subir des visions très violentes, avoir la peur de sa vie. On entre en transe. Si l’expérience est mal encadrée, il y a un risque de décompensation. Si c’est préparé par des charlatans, il peut y avoir des décès », estime une participante à un de ces stages d’initiation à l’herbe chamanique.

« Radicalisation » des esprits

« Le problème de ces professions du bien-être, fondées sur des croyances, c’est qu’elles ne sont pas encadrées. Il n’y a ni cadre juridique, ni ordre, et n’importe qui peut s’improviser, quasiment du jour au lendemain, praticien. » Marie Drilhon, de l’Adfi 78, souligne aussi que « la santé physique, psychique et le spirituel » sont, depuis bien longtemps, un terrain de chasse privilégié pour les sectes. « C’est un domaine dans lequel il y a beaucoup d’argent à se faire. »
Elle parle aussi d’une « radicalisation » des esprits, chez certains patients de la médecine douce, engrainés par des thérapeutes peu scrupuleux. « Ces personnes basculent dans une vision de la société tellement différente que leur entourage ne peut plus communiquer avec elles. »
Comment différencier les gourous des bons praticiens : « Il faut avant toute chose se renseigner sur la formation du professionnel et fouiller son site Internet pour s’assurer de son sérieux. »

Salon du bien-être ou foire au n’importe quoi ?

Beaucoup de ces professionnels fuient la presse, inquiets de la mauvaise image qu’elle pourrait donner d’eux. Paradoxalement, ces pratiques, même les plus controversées, ont pignon sur rue. Très régulièrement, ils exposent dans différents « salons du bien-être » organisés dans le département.

En septembre, la base de loisirs de Moisson accueillait ce type d’événement. Certains des quelque 90 exposants posaient question. C’est le cas par exemple de Nathalie, ambassadrice pour l’eau Kangen, de l’eau dont la structure moléculaire serait transformée, selon une méthode japonaise, par une machine à ionisation vendue… à 4 300 euros.

Ainsi modifié, le liquide aurait des vertus « hyper hydratante et antioxydante ». Cette commerciale du bien-être, au discours bien rodé, touche une commission sur chaque machine vendue et sur les ventes des ambassadeurs qu’elle recrute, un peu comme le faisait une célèbre marque de petites boîtes en plastique.

4 300 euros pour une eau prétendument miracle

« C’est le prix d’un café par jour pendant vingt ans, souligne cette femme, également coach en développement personnel. Beaucoup de maladies sont liées à l’eau que vous consommez. Cela fait trois mois que je la bois (l’eau Kangen), mes cheveux et ma peau ont meilleure allure. Elle peut aussi apaiser partiellement ou totalement les douleurs de personnes qui souffrent de maladies chroniques. »

À ce sujet, sur son site Internet, le magazine Sciences et avenir pointait du doigt de « fausses allégations thérapeutiques », citant notamment Martin Weik, biophysicien à l’Institut de biologie structurale de Grenoble : « Aucune publication scientifique n’a jamais montré le moindre bienfait (de cette eau ionisée). »

À ce même salon, on pouvait croiser Nicole, conseillère en fleurs de Bach du côté de Bennecourt. Il s’agit d’élixirs végétaux qui agiraient sur les émotions : la vigne pour l’autorité, l’impatience pour la patience, la clématite pour la concentration… Vendus à une dizaine d’euros le flacon, ils permettraient notamment d’arrêter de fumer et de calmer les terreurs nocturnes des bébés.

« Charlatanesque »

« Le caractère charlatanesque de tels produits ne peut être réfuté », dénonçait l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) dans un rapport de juillet 2018. « Les approches fortement intuitives et de type magique fragilisent les patients. Il s’agit de produit dont la consommation est prônée par certains groupes sectaires », note aussi la Miviludes.

« Les fleurs de Bach fonctionnent sur les animaux comme les humains », affirme au contraire Nicole, formée en ligne à délivrer ces produits, et qui se dit « ouvertement complotiste ». Elle poursuit : « Il y a peut-être un effet placebo. Mais jamais un client n’est revenu me voir mécontent et je n’exerce pas de relation d’emprise sur eux. Si les herboristes sont limités à 140 plantes, c’est parce que sinon cela causerait trop de torts aux laboratoires pharmaceutiques. C’est la preuve de l’efficacité de ces traitements. »

Caroline, naturopathe à Limay (Yvelines), sait que sa profession compte aussi des charlatans.

Caroline, naturopathe à Limay (Yvelines), sait que sa
profession compte aussi des charlatans. (©Renaud Vilafranca)

Au fil de notre enquête, nous avons aussi rencontré des praticiens plus terre à terre, lucides sur les dérives de leur milieu. Caroline, naturopathe à Limay, « accompagne » ses clients dans l’apaisement de douleurs, la perte de poids ou encore la gestion du stress, à travers l’homéopathie, l’aromathérapie, des conseils en nutrition, ou encore un travail sur la respiration.

« Les gens viennent me voir en dernier recours, quand ils en ont ras le bol des médicaments. Mais jamais je ne leur conseillerai d’arrêter un traitement. Il y a des charlatans dans ma profession. Ceux qui sont dans la spiritualité, totalement déconnectés de la réalité, avec des figurines de Bouddha dans leur bureau. »

« Soigner un rhume avec des plantes, pourquoi pas »

« Soigner un rhume avec des plantes, pourquoi pas, un cancer, sûrement pas ! » Charlotte, basée aux Clayes-sous-Bois, est « masseuse bien-être ». L’esthéticienne de formation, qui a suivi un rite initiatique en matière de développement personnel, maîtrise sur le bout des doigts les techniques Thaï, Abhyanga, la réflexologie plantaire ou encore la méthode des pierres chaudes.

Elle propose un accompagnement à la détente, propice à « l’élimination des toxines, le lâcher prise, la reconnexion au corps », et rien de plus, à un tarif raisonnable. Les séances sont très spiritualisées, accompagnées d’un son de tambour océanique, d’une odeur de sauge brûlée et d’un décorum très zen.

Nous avons tiré les oracles

La jeune femme nous a fait tester le tirage d’oracle, qu’elle pratique avec ses clients. Assis en tailleur face à l’horizon en forêt de Saint-Nom-la-Bretèche, les yeux fermés, avec en fond une musique relaxante, elle nous met entre les mains un jeu de cartes illustrées, rattachée chacune à un conseil en développement personnel.Nous avons tiré les oracles, un rite que propose Charlotte dans le cadre de ses séances de bien-être. La carte qui sort renvoie vers un manuel où l’on trouve des conseils en développement personnel. (©Renaud Vilafranca)

conseil en développement personnel.

Nous avons tiré les oracles, un rite que propose Charlotte dans le cadre de ses séances de bien-être. La carte qui sort renvoie vers un manuel où l'on trouve des conseils en développement personnel.

Nous avons tiré les oracles, un rite que propose Charlotte dans le cadre de ses séances de bien-être. La carte qui sort renvoie vers un manuel où l’on trouve des conseils en développement personnel. (©Renaud Vilafranca)

Après quelques minutes de méditation – où le silence bourdonne dans les oreilles – il faut en tirer une au hasard, la lire et réfléchir sur le contenu. Et il faut le dire, l’expérience a bien eu l’effet apaisant attendu.

source :

78actu