On y chante la Marseillaise la main sur le cœur, on y lève le drapeau, on s’y vouvoie et l’on y porte un uniforme. Vert pour les garçons, rouge pour les filles. Pour lutter “contre le décrochage scolaire” et pour “l’intégration” dans les banlieues, le réseau des établissements scolaires privés Espérance banlieues présente un emballage tradi à faire pâlir d’envie les nostalgiques de l’école IIIe République.

Ses huit écoles, hors contrat, sont un fait minoritaire dans le paysage éducatif : elles accueillent 350 des 12 millions d’écoliers français. Pourtant, depuis l’ouverture de la première à Montfermeil en 2012, elles suscitent beaucoup d’intérêt. Celui des médias – Mélissa Theuriau y a tourné un documentaire, BFMTV les qualifie de “miracle éducatif“, les reportages sont élogieux… Et aussi celui des politiques.

A commencer par François Fillon, tombé sous le charme l’hiver dernier, après avoir visité l’établissement d’Asnières-sur-Seine. Lors de son meeting du 9 mars à Besançon, il a annoncé qu’il soutiendrait, s’il était élu, “cette nouvelle offre éducative de la société civile”. Concrètement ? Les écoles hors contrat de tous types (Montessori, confessionnelles ou non…) seraient en partie financées par l’Etat, et leur tâche “facilitée”.

Le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez, qui a visité cette semaine l’école de Pierre-Bénite, près de Lyon, s’est aussi montré conquis et veut “les accompagner”. Le mouvement En Marche! d’Emmanuel Macron enfin, a mis un pied dans le débat sur le hors contrat en conviant à sa convention sur l’éducation le fondateur et président de la fondation Espérance banlieues, Eric Mestrallet.

Cette “nouvelle offre” est pourtant loin de faire l’unanimité. Ses détracteurs voient dans ces écoles aux méthodes alternatives la vitrine médiatique d’un milieu catholique traditionaliste œuvrant pour le développement du hors contrat. A Orléans, l’ouverture annoncée pour la rentée 2017 d’une école Espérance banlieues a été dénoncée par le syndicat Sud Education, comme les premières pierres d’une “entreprise idéologique de vaste ampleur qui vise à casser le service public d’éducation et créer un marché scolaire juteux”. Espérance banlieue, “Miracle” ou cheval de Troie ?

Comment fonctionnent ces écoles ?

Il existe huit établissements hors contrat Espérance banlieues. Ils ont été créés dans des quartiers jugés “en grande urgence éducative” par la fondation : Montfermeil, Asnières-sur-Seine, Marseille, Roubaix, Mantes-la-Jolie, Sartrouville, Pierre-Bénite et Saint-Etienne. Les écoles ne reçoivent pas de subvention directe de l’Etat, ne sont pas tenues d’appliquer les programmes scolaires et recrutent les professeurs qu’elles souhaitent.

Présentées comme aconfessionnelles, elles accueillent les élèves du CP à la 3e et sont payantes (50 à 75 euros par mois pour le premier enfant selon leur site). Les cours sont dispensés en petits effectifs – 15 élèves par classe contre 23 en moyenne dans le public en élémentaire –, par des professeurs qui sont “plutôt des éducateurs”, et qui “pratiquent la pédagogie positive”, précise Eric Mestrallet.

“Le point commun des parents d’élèves, c’est qu’ils veulent le meilleur”, assure le président. Il s’agit de familles investissant fortement dans l’éducation de leurs enfants et qui viennent chercher de petites classes et un rapport personnalisé avec les “éducateurs”.

Grégory Chambat, professeur dans un collège de Mantes-la-Ville et auteur du livre “L’école des réac-publicains“, voit pourtant la démarche d’un autre œil : “Ces écoles surfent sur ce qui ne fonctionne pas dans l’école publique”, comme les effectifs trop élevés, le manque de moyens ou la difficulté à réduire les inégalités entre les élèves. Et sur les discours sur le “déclinisme scolaire”, qui décrivent une école française décadente, en proie aux “pédagogismes” et qui nécessiterait d’être redressée.

Qui est derrière ?

Pour faire sa publicité, le réseau peut compter sur plusieurs mascottes : Harry Roselmack, qui a co-signé avec le président de la fondation Eric Mestrallet un livre-manifeste, l’auteur Alexandre Jardin ou Jamel Debbouze, qui vante sur Twitter une école aux “résultats incroyables”.

Mais derrière ce “miracle éducatif”, on trouve aussi un réseau catholique traditionaliste engagé dans le développement des écoles hors contrat.

Le fondateur et directeur Eric Mestrallet est l’ancien attaché parlementaire du sénateur Bernard Seillier, un proche de Philippe de Villiers (Mouvement pour la France), engagé avec Civitas contre le mariage pour tous. Espérance banlieues est abritée par la Fondation pour l’Ecole, donc Eric Mestrallet est aussi le vice-président. Celle-ci est dirigée par Anne Coffinier, décrite comme “une égérie de la Manif pour tous“. La quasi totalité des membres de son conseil d’administration sont proches de ce mouvement ou des milieux traditionalistes.

Dans son collège des personnalités qualifiées, on trouve par exemple Jean-Michel Schmitz, ancien cadre de Larfarge et ancien président d’Ichtus, “institut catholique traditionnaliste héritier de la Cité catholique, un mouvement d’extrême droite ‘contre-révolutionnaire'”, écrivait “Le Monde” à l’époque où la Manif pour tous battait le pavé en 2013.

Pour s’installer dans les communes, la fondation cultive aussi son réseau. Ce n’est pas un hasard si la première école Espérance banlieues a été installée à Montfermeil, en Seine-Saint-Denis. Dans leur livre-manifeste, Harry Roselmack et Eric Mestrallet décrivent la volonté de la commune, “qui souhaitait enrichir l’offre scolaire à disposition de ses habitants”. Le maire de Montfermeil ? Xavier Lemoine, vice-président du Parti chrétien démocrate fondé par Christine Boutin, décrit par “le Figaro” comme un “héraut de la droite chrétienne“. Au printemps 2016, il participait à Béziers aux rencontres organisées par le maire proche du FN Robert Ménard. Thème de la table ronde : “Passer au karcher l’école de mai 1968, on commence par quoi ?”.

La fondation Espérance banlieue compte aussi dans son équipe la fille de la conseillère éducation de… François Fillon, relève le site Questions de classe(s).

Est-ce que ça marche ?

Le cours de Montfermeil est le seul à enseigner à des élèves de 3e. En 2014, première année durant laquelle des enfants ont été présentés au brevet des collèges par Espérance banlieues, 3 élèves sur 5 l’ont réussi. En 2016, 11 élèves sur 13 ont obtenu le diplôme, selon l’école. Il s’agit du seul indicateur disponible.

La direction de la fondation Espérance banlieues préfère insister sur le fait que “les enfants, les parents et les enseignants s’épanouissent” dans ce cadre.

Les inspections menées par l’Education nationale dans certaines écoles du réseau n’ont pas mené à des “alertes majeures”, indique au “Monde”une source proche de l’inspection. Celle-ci précise au quotidien que “ce qui interroge, c’est leur posture coloniale : il s’agit bien d’enraciner culturellement ces enfants, avec le présupposé qu’ils seraient des petits sauvageons élevés dans le désamour de la patrie”.

Interrogé sur l’origine du projet Espérance banlieues, Eric Mestrallet explique avoir eu l’idée de créer le réseau “en discutant avec plusieurs élus” : “Ils me disaient qu’il manquait une pièce dans le dispositif”, raconte-t-il, précisant avoir diagnostiqué lui-même, durant son parcours professionnel, qu’il “manquait aux gens de ces quartiers un savoir-être”. Paternalisme ? Eric Mestrallet préfère parler de “bienveillance”…

Qui les finance ?

Les écoles privées hors contrat ne touchent pas de subvention de l’Etat et les frais d’inscription sont peu élevés. La participation des parents représente 15% du budget des écoles Espérance banlieue, selon leur site. Comment alors ces écoles bouclent-elles leurs budgets ? Le reste du financement est apporté par la Fondation pour l’école ou par “des donateurs, des entreprises qui voient une raison d’espérer”, nous explique Eric Mestrallet. Il cite L’Oréal, Vinci et “des fonds d’investissement”.

“Challenges” consacrait ainsi en août dernier un article à ces “riches mécènes bienveillants” du CAC40 et citait la famille Mulliez (Auchan), les groupes Bouygues, Axa et Saint-Gobain.

Comme la Fondation pour l’école a été reconnue “d’utilité publique” en 2008 – François Fillon était Premier ministre et Xavier Darcos ministre de l’Education nationale – ces opérations de mécénat bénéficient de déductions fiscales qui agissent comme une subvention indirecte aux activités de la fondation.

“C’est de l’argent public détourné”, s’agace Grégory Chambat :

“Ces entreprises ont des réductions de charges pour financer des écoles qui ont 15 élèves par classe alors que nous sommes 30 dans le public.”L’Etat participe indirectement au fonctionnement des écoles par un autre biais : la fondation Espérances banlieue indique en effet sur son site qu’il est possible de se faire engager dans ses écoles dans le cadre d’un service civique. Soit 6 à 10 mois de “service” rémunérés par l’Etat. Une annonce a aussi été postée sur le site officiel du service civique. Intitulé de la mission : “Accompagner les élèves et les familles dans les apprentissages et l’ancrage citoyen”.

Pourquoi ces écoles inquiètent ?

La fondation Espérance banlieues affirme qu’une “vingtaine de projets d’écoles sont actuellement en préparation pour la prochaine rentrée”, comme celle d’Orléans.

Les écoles hors contrat peuvent demander à passer sous contrat avec l’Etat après cinq ans d’existence. Mais la fondation n’a pas l’intention de le faire. Son projet est plus grand, et Eric Mestrallet ne s’en cache pas : il souhaite “faire la démonstration de la réussite” du concept des écoles Espérance banlieues pour faire la publicité des écoles hors contrat et, à terme, “faire évoluer la loi” afin de permettre notamment aux communes de mettre à disposition des locaux gracieusement ou d’obtenir des financements publics.

La Fondation pour l’école est le centre névralgique du lobby de l’école hors contrat et de la libéralisation du marché éducatif, dénoncé par Grégory Chambat :

“En faisant entrer l’école dans une logique de paiement et non plus de service public, le développement du hors contrat conduirait à l’explosion de l’éducation commune.”Revenir sur le statu quo des écoles hors contrat serait “ouvrir la voie à une distribution de l’argent public à un secteur privé lucratif”, estime aussi l’historien de l’éducation Claude Lelièvre.

Il voit dans le soutien affiché par François Fillon et de certains de ses camarades à ces écoles hors contrat “la remise en cause d’un compromis constitutif de l’esprit de la Ve République”. Et rappelle que le président Charles de Gaulle avait fait de “l’unité scolaire” une priorité dès 1958… Qui imagine le Général de Gaulle soutenir Espérance banlieues ?

A.R.

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