Cette nouvelle poussée de tension montre combien le dialogue sur ces questions est devenu difficile depuis les attentats de 2015.
Hommage aux victimes des attentats de Paris, à la mosquée de Créteil, le 20 novembre 2015. / Alain Guilhot/Divergence
Depuis début octobre, la laïcité est redevenue un champ d’affrontement entre militants associatifs, responsables politiques et intellectuels. C’est d’abord le nouveau grand maître du Grand Orient de France, qui plaide la « nécessité d’un réarmement républicain » et annonce que la principale obédience maçonnique va « repartir à l’offensive » pour défendre la laïcité.
C’est l’association Printemps républicain et la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) qui dénoncent sur Internet l’organisation à l’université Lyon 2 d’un colloque sur « l’islamophobie » auquel participent des personnalités qu’elles désignent comme islamistes. Sous la pression, l’université décide d’annuler le colloque.
Islam, des pistes pour « sortir de la surenchère verbale »
Ce sont encore trois médias (Marianne, Valeurs actuelles et Le Figaro Magazine) qui publient simultanément des unes sur la menace islamiste et la République en danger. C’est enfin l’ancien premier ministre Manuel Valls qui accuse les « islamo-gauchistes » et entre dans une très violente dispute avec Jean-Luc Mélenchon et La France insoumise.
Les « islamophobes » contre les « idiots utiles de l’islamisme »
Cette poussée de fièvre illustre une nouvelle fois combien la question de la place de l’islam est passionnelle, opposant notamment deux camps qui se jettent l’anathème : les « islamophobes » contre les « idiots utiles de l’islamisme », selon les étiquettes fréquemment employées pour disqualifier la partie adverse. En cette rentrée, les coups sont donc partis du camp laïque.
Au cœur de leur colère, la sous-évaluation de la menace que certains courants musulmans font, selon eux, courir à la société française. Cofondateur de Printemps républicain, le politologue Laurent Bouvet explique : « Certains ne perçoivent pas que la radicalisation, dont le terrorisme est l’expression la plus violente, est un phénomène qui touche aussi un ensemble de groupes ayant une vision politique de l’islam. Ce qui n’est pas autre chose que de l’islamisme. »
Dans le viseur de Printemps républicain, soutenu par maints intellectuels (Marcel Gauchet, Gilles Kepel…), des organisations musulmanes comme le Comité contre l’islamophobie en France (CCIF), qui milite contre la loi sur les signes religieux à l’école. Hyperactif sur Internet, le comité cherche à imposer ce thème de l’« islamophobie » – repris par une partie de l’extrême gauche – pour discréditer toute critique de l’islam.
À LIRE : Contre les religions, les courants laïques se réveillent
L’Observatoire de la laïcité et l’association Coexister au centre des critiques
L’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, jugé trop libéral, inquiète aussi les militants laïques. « La majorité reproduit les erreurs des précédentes, s’emporte Alain Jakubowicz, président de la Licra. On croit que le retour à l’emploi suffira à réduire les problèmes sociaux qui nourrissent la radicalisation. Mais on refuse de prendre à bras-le-corps le problème structurel de la poussée des revendications communautaires. La montée des appartenances identitaires, raciales, religieuses, est un cancer pour la société. »
Au centre des critiques se retrouve régulièrement l’Observatoire de la laïcité, présidé par Jean-Louis Bianco, accusé de trop de complaisance envers l’islam politique. Ou l’association Coexister, créée en 2009 pour promouvoir le dialogue entre les religions, en raison de sa proximité avec le CCIF.
« Nous sommes profondément laïques », se défend Samuel Grzybowski, cofondateur de l’association, présente dans 45 villes. « Mais nous, nous sommes sur le terrain, avec les associations de quartier. Le CCIF et ses 14 000 membres est un mouvement de masse, ce qui lui donne une légitimité. Si nous ne partageons pas leur militantisme de combat, nous estimons qu’il faut comprendre ce qui se joue derrière ce mouvement. La mobilisation actuelle pour interdire le dialogue n’est qu’une forme de maccarthysme. »
Quant à l’Observatoire de la laïcité, il dénonce l’outrance des attaques venant d’une poignée d’activistes très présents dans les médias et surtout sur Internet, où de faux comptes sont créés pour inonder la Toile de messages, au risque d’alimenter la « fachosphère », ces sites et internautes ouvertement racistes qui saturent le Web.
À LIRE : Laïcité, l’État appelé à remobiliser les préfets
« Le moindre questionnement extérieur est taxé d’islamophobie »
C’est tout le dialogue sur l’islam et la laïcité qui semble aujourd’hui pris en otage par ces joutes radicales. « Il y a un manichéisme problématique, y compris parmi les universitaires », se désole Haoues Seniguer, maître de conférences à Sciences-Po Lyon. « D’un côté, certains revendiquent plus de visibilité pour l’islam dans l’espace public, mais refusent catégoriquement qu’on interroge certaines modalités de cette visibilité. En face, d’autres récusent cette visibilité en l’assimilant à de “l’islamisme”. Il y a une telle confusion dans les termes ! »
Depuis 2015, les attaques terroristes ont produit une hypersensibilité chez les musulmans ordinaires. Toute critique passe mal. « Le monde musulman est tellement en crise, se sent tellement agressé qu’il est sur la défensive et beaucoup s’arc-boutent sur un discours apologétique. Toute nuance est perçue comme une compromission et le moindre questionnement extérieur est taxé d’islamophobie », observe avec pessimisme Jean Druel, directeur de l’Institut dominicain d’études orientales.
La menace terroriste produit de la peur dans les milieux musulmans mais aussi dans la société où des laïques se crispent, réveillant des velléités d’écarter toute expression religieuse de l’espace public. Plusieurs initiatives législatives ont tenté ces dernières années d’imposer la neutralité religieuse dans les universités, dans les lieux d’accueil de la petite enfance, aux salariés des entreprises ou dans le monde associatif…
« La religion doit rester à sa place », selon la Licra
« Nous n’avons pas une conception de la laïcité antireligieuse, rectifie Laurent Bouvet. Nous ne demandons pas de nouvelles lois. Mais nous estimons que ce n’est pas à l’État de prendre en charge le dialogue interreligieux. » Allusion faite à l’intention du ministre de l’intérieur de créer une nouvelle instance nationale où seraient réunis les cultes pour promouvoir la concorde.
« La religion doit rester à sa place, à la maison ou dans les lieux de cultes ! », n’hésite pas à dire le président de la Licra, qui organise du 13 au 15 octobre, au Havre, ses universités d’automne sur un thème qui n’a rien d’équivoque : « Quand la religion infiltre la société », avec l’image d’une Marianne brisée sur l’affiche… « À l’école, à l’hôpital, dans les entreprises, dans les services publics, dans les enceintes sportives, nous assistons à une véritable offensive des religions », dénonce Alain Jakubowicz.
Durant ces trois jours viendront en nombre des intervenants critiques sur l’Observatoire de la laïcité ou membres de Printemps républicain comme son président, Amine El Khatmi. « La Licra a une conception à l’inverse de la nôtre, souligne Samuel Grzybowski, de Coexister. Elle pense que les religions n’ont rien à apporter au bien commun. Nous pensons à l’inverse qu’elles peuvent y contribuer. »