Non, l’Église de scientologie située dans le 17e arrondissement de Paris n’est pas considérée comme un lieu de culte et ne peut donc pas rester ouverte en cette période de pandémie de Covid-19. En France, la scientologie n’est pas reconnue comme une religion. Il suffit pourtant de montrer patte blanche pour que la secte vous accueille à bras ouverts.

La scientologie cherche constamment à agrandir son nombre de fidèles et même en confinement tout est bon à prendre. Lorsque je contacte par téléphone le Scientologie Celebrity Centre de Paris, on prend rapidement mon numéro de téléphone pour me recontacter dans la journée. Et comme promis, Laurent, un scientologue, me contacte quelques heures plus tard. Avant de comprendre concrètement ce qu’est la scientologie, la première étape pour entrer dans le milieu est de répondre à un questionnaire interminable de 200 questions.

– « Dormez-vous bien ? »

– « Préféreriez-vous occuper une position où vous n’auriez pas les responsabilités de prendre des décisions ? »

Les questions sont très précises et permettront au scientologue d’analyser mes réponses afin de faire un bilan psychologique sur les points positifs et négatifs de ma vie. Certaines questions sont particulièrement étranges :

– « Feuilletez-vous des indicateurs de chemin de fer, des annuaires ou des dictionnaires rien que pour le plaisir ? »

D’autres tâtent clairement le terrain pour estimer notre future obéissance à la scientologie et à ses croyances :

– « Vous proposez-vous de n’avoir qu’un ou deux enfants dans votre famille, même si votre santé et vos revenus vous permettent d’en avoir davantage ? »

– « Accepteriez-vous une discipline stricte ? »

– « Est-ce que l’idée de prendre un départ complètement nouveau vous causerait beaucoup de soucis ? »

Une autre est particulièrement gênante :

– « Etes-vous favorable à la ségrégation raciale et à la distinction des classes sociales ? »

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Sur le site de Scientology France, tout tourne autour du confinement. Une vidéo de présentation affiche des scientologues du monde entier confinés qui dansent, chantent, jouent d’un instrument… Ça a l’air assez fun la scientologie vu comme ça. Les règles de bonne conduite sont aussi mises en avant. Au fil des recommandations, la distanciation sociale et le port du masque laissent place à des conseils beaucoup plus obscurs. La dernière étape pour « rester en bonne santé » nous renvoie à un cours qui nous promet des « solutions face à un monde dangereux ».

Le teaser me fait sourire. Il présente ceux qui vous veulent du mal au quotidien et bien entendu les journalistes en font partie. « Il existe des gens dont le but consiste à rendre l’environnement le plus menaçant et dangereux possible. Ils gagnent leur vie en semant le chaos et la perturbation. » La voix est accompagnée d’un petit travelling sur des journalistes en train d’interviewer un homme politique. Il s’agit peut-être d’un message subliminal pour les journalistes fouines comme moi qui débarquent sur le site des scientologues. Une façon cordiale de dire « dégage ». « Les médias nous bombardent constamment de mauvaises nouvelles. Ils font aussi du sensationnalisme faisant apparaître les situations pires qu’elles ne le sont. » Promis, il n’y aura pas d’exagération dans ce papier, je m’y engage. Mais voilà un bon moyen de décrédibiliser toutes les enquêtes sur les scientologues.

laurent m’envoie par message un lien pour m’inviter à participer à un webinaire sur la recherche du bonheur. Rien que ça. Pour maintenir un contact et une emprise sur ses fidèles, la scientologie organise des séminaires vidéos trois à quatre fois par semaine. Pendant une heure, un scientologue nous raconte les commandements de la scientologie pour être heureux. C’est plein de bons sentiments et d’évidences. Je m’ennuie un peu. Lors du commandement 11 sur « Ne causez par de tort à une personne de bonne volonté », le scientologue donne l’exemple des banlieusards qui caillassent les pompiers. Je soupire et attends la fin avec impatience.

Deux jours plus tard, Laurent m’appelle pour les résultats de mon test. Cet appel est crucial pour la secte, il faut me convaincre de l’intérêt de la scientologie pour résoudre mes problèmes. Au téléphone, j’entends en fond sonore ses enfants qui braillent un peu trop fort. Un premier mauvais point pour la scientologie. Il vérifie donc si j’ai bien participé au webinaire et me demande ce que j’en ai pensé.

Hormis mon métier que je décide de taire à Laurent, je décide d’être totalement transparente pour jouer le jeu à fond. On ne sait jamais, je peux être agréablement surprise. La note de mon test dépasse les 100 sur 200, ce qui est positif même si beaucoup d’éléments semblent me tirer vers le bas selon Laurent. Le constat est sans appel : « Vous êtes déprimée », m’annonce-t-il. J’aurais construit une forteresse autour de moi, j’aurais une vision pessimiste des choses et aucun espoir pour l’avenir. Sympa comme bilan. « Justine, la question que j’ai envie de vous poser maintenant c’est : qui vous a trahi ? » L’entretien commence fort.

Pour pouvoir juger des techniques de manipulation de la scientologie, je me livre donc à Laurent sur ma vie personnelle et « mes blessures ». Il est très attentif et cela ne m’étonnerait pas qu’il note quelques informations sur ma personne, vu le temps qu’il met à me répondre. En effet, ceux qui ont réussi à se sortir de la scientologie parlent souvent de dossiers à leur nom tenu par les scientologues, regroupant les moindres détails de leurs personnalités et de leurs vies. Il me demande de nombreuses précisions sur mon enfance, la séparation de mes parents et mon rapport aux autres. Je commence à ressentir un profond malaise. Il ne s’agit pas que d’une séance bidon. Le but est de me faire parler de mes failles les plus profondes, de me rendre fébrile pour être plus malléable.

Il est évident que des personnes en grande détresse psychologique plongeraient tête la première dans le piège de la scientologie. Laurent devient une épaule attentive qui écoute sans jamais juger. Il est… gentil. Il me félicite pour avoir réussi à surmonter certaines épreuves et me propose d’avancer vers l’avenir avec la scientologie. C’est vrai que depuis le début de cette « formation » personne n’a cherché à m’expliquer ce qu’était concrètement la scientologie. Et en écoutant les explications de Laurent, je ne sais pas s’il sait bien lui-même de quoi il parle.

« Vous avez peut-être déjà entendu parler de L. Ron Hubbard, c’est le fondateur de la scientologie et un ancien ingénieur », me raconte ou plutôt me baratine Laurent. Après quelques recherches sur Hubbard, je découvre que l’homme a bel bien fondé la scientologie mais qu’il n’a jamais été ingénieur. Il a, en effet, été inscrit à la George Washington University pour suivre des cours d’ingénierie civile. Mais ses notes étant catastrophiques, il arrêta rapidement. Cet échec n’a pas empêché L. Ron Hubbard de s’inventer un titre. Il s’est autoproclamé premier physicien nucléaire des États-Unis après avoir écrit un cours intitulé « Phénomènes atomiques et moléculaires ». Ce qu’il faut retenir du parcours du feu Hubbard est sa grande imagination. Après s’être déclaré physicien nucléaire il est devenu écrivain de science-fiction. Rien de bien étonnant finalement à ce que le fondateur de la scientologie soit un auteur de SF.

« Le scientologue me propose de reconnecter avec le meilleur de moi-même. Mais pour ça, il faut bien sûr mettre la main à la poche »

Après avoir passé quelques heures de confinement à lire des extraits d’ouvrages sur la scientologie, voici un court résumé de leur croyance qui n’est pas un des livres de SF de Hubbard mais une histoire vraie selon lui : Il y a 75 millions d’années un extraterrestre nommé Xenu, à la tête d’une confédération galactique aurait voulu se débarrasser de 3 500 milliards de ses habitants extraterrestres pour cause de surpopulation. C’est ce qu’on appelle un génocide, il me semble. Les E.T condamnés auraient donc été envoyés dans des vaisseaux spatiaux et jetés dans des volcans sur Terre avant de les faire fait exploser avec des bombes H. Hubbard n’avait pas peur de l’excès apparemment. Bref, les fantômes de ces pauvres E.T seraient restés sur Terre et hanteraient à présent nos corps en nous parasitant d’ondes négatives que la scientologie promet de faire disparaître.

Bien entendu, Laurent n’évoque pas du tout le côté fantasque de cette histoire (douterait-il des affirmations du maître de la scientologie ?) et préfère me parler de comportements sociaux que l’on reproduit par mimétisme : « On adopte une identité qu’on a hérité du règne animal, lorsqu’on est tendu on se comporte de la même manière que certaines personnes qu’on a connues par le passé et qui nous ont fait souffrir. » Au bout d’une heure d’appel, on en vient enfin à la solution et elle passe forcément par l’argent.

Le scientologue me propose de reconnecter avec le meilleur de moi-même. Mais pour ça, il faut bien sûr mettre la main à la poche. Pour commencer je dois donc acheter un cahier d’exercices et un cours pour la modique somme de 47 euros. Mais la réputation de la scientologie la précède (condamnation pour escroquerie en bande organisée en France), alors Laurent cherche absolument à me rassurer : « L’association de scientologie est à but non lucratif, nous sommes tous bénévoles, nous avons une activité professionnelle à côté pour gagner notre vie. La participation au cours permet de faire fonctionner notre centre et de payer les locaux. » Il me propose de m’envoyer tout de suite un lien Paypal. Pas moyen de prendre le temps de réfléchir, je suis étonnée par cette manipulation assez grossière.

Alors que le centre est supposé être fermé au grand public en période de confinement, Laurent me propose d’y aller pour récupérer mon cours. « C’est complètement possible de venir le chercher. » Je l’interroge sur le centre toujours ouvert en ce moment. Le scientologue se décompose et bafouille : « Non ce n’est pas vraiment ouvert mais pour des raisons de sécurité [il réfléchit longuement à l’aide d’un « euh »] on a des personnes dans le centre qui [réfléchit encore longuement] sont comme [oui encore] des gardiens. On a des bénévoles qui sont là-bas. Lorsque je lui reparle du cours, il se détend et s’enthousiasme. Il m’affirme que je peux passer jusqu’à
22 heures au centre. Quelle disponibilité en ces temps de confinement.

« La Miviludes a été alertée du maintien de l’ouverture du centre de scientologie dans le 17e arrondissement de Paris malgré le confinement »

La Miviludes, Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, poursuit depuis de plusieurs années les scientologues français. Sa secrétaire générale, Anne Josso s’inquiète d’une emprise accrue sur les adeptes durant cette période de confinement : « La crise est surtout l’occasion pour la scientologie de promouvoir la dianétique [l’éveil spirituel des scientologues, NDLR], qu’elle présente comme une culture du bien-être en période de confinement, avec des propositions de yoga, méditation, de reconnection avec soi-même. » Dernièrement, la Miviludes a été alertée du maintien de l’ouverture du centre de scientologie dans le 17E arrondissement de Paris malgré le confinement. Le centre a même tenté d’organiser un événement artistique après l’annonce du confinement avant de se raviser quelques jours plus tard.

Pour Anne Josso, le risque réside dans la gestion de la crise de la part des scientologues. « Aux États-Unis, les scientologues promeuvent une nourriture désinfectée avec de l’eau ozonée, le nettoyage permanent et à fond de tous les locaux, bus, y compris les conduits d’air conditionné, à l’aide d’un produit qu’ils appellent « Décontamination 7 ». » En effet, les églises de scientologie américaines restent ouvertes et les adeptes continuent de se côtoyer malgré les forts risques de propagation du Covid-19. La Miviludes se veut tout de même rassurante quant au recrutement de nouvelles recrues durant le confinement : « N’étant pas particulièrement agile sur les réseaux sociaux, il est peu probable qu’elle profite du confinement pour faire de nouveaux adeptes. » Une bonne nouvelle pour moi mais pas pour ceux qui sont déjà tombés dans l’engrenage.

Avant de terminer mon aventure chez les scientologues, j’ai souhaité me rendre au centre situé dans le 17e arrondissement dans lequel Laurent m’avait invitée. Bien qu’une grille en fer soit tirée sur l’entrée principale, la vitrine avec les nombreux livres de Hubbard et un gros panneau « Lisez-les » reste accessible. Une seconde porte vitrée, qui donne aussi accès au bâtiment, plus discrète est ouverte.

Sur la porte, un papier annonce : « Appelez le 06… ». Ce message semble être à destination des adeptes. Je décide d’attendre dans une rue adjacente au centre pour observer l’activité dans le bâtiment. Au bout d’une dizaine de minutes, un homme me surprend par l’arrière. Il me frôle et me regarde de manière très insistante. S’agirait-il de Laurent ? Il s’engouffre dans une voiture garée devant le centre et fait mine de démarrer son moteur tout en me regardant. Quelques minutes plus tard, trois têtes apparaissent derrière la porte vitrée du centre. Toutes me fixent avec une grande inquiétude. L’homme dans la voiture ressort pour rejoindre le groupe des regards insistants. Je décide de partir. Depuis quelques jours, j’ai reçu plusieurs messages de la part de Laurent qui s’inquiète de ne pas avoir de mes nouvelles (et probablement de ne pas avoir reçu mon argent par Paypal). Désolée Laurent, je préfère me payer un bon psy pour me débarrasser des fantômes d’extraterrestres qui hantent l’espèce humaine plutôt que rejoindre la scientologie.

Justine est sur Twitter.

source : Justine REIX  vice.fr