L’exécution des 13 condamnés à mort de la secte Aum ne signe pas l’arrêt de mort des mouvements sectaires au Japon, pour la plupart des groupuscules qui ne représentent pas une menace majeure mais peuvent néanmoins devenir des refuges dangereux pour des personnes socialement fragilisées, selon les experts.
L’attentat au gaz sarin et les autres meurtres perpétrés il y a plus de 20 ans par des membres de la secte Aum Vérité Suprême, créée par le gourou Shoko Asahara (de son vrai nom Chizuo Matsumoto), ont laissé des traces indélébiles dans l’esprit des Japonais, mais les sectes n’ont pas pour autant disparu du paysage.
D’autant que la définition des « sectes » au Japon est très évasive et qu’existent en parallèle de nombreuses organisations qui, à l’étranger, sont perçues comme des mouvements sectaires.
« Il est difficile de tracer une ligne entre les groupes religieux et les sectes, mais nous pouvons dire que les sectes font peur aux gens pour obtenir d’eux ce que le groupe veut », explique l’avocat Yoshiro Ito qui se bat contre ces mouvements.
« Je pense que le nombre de sectes est important, mais ce sont surtout de petits groupes, contrairement aux grandes organisations occultes américaines », estime-t-il.
« Peu de sectes au Japon menacent la vie des gens mais beaucoup sont impliquées dans des fraudes, ou des extorsions financières utilisant l’intimidation, un exemple typique étant « vous irez en enfer si vous n’achetez pas ce vase » , décrypte encore M. Ito.
La plus grande secte actuellement enregistrée au Japon est l’Église de l’Unification, autrement appelée secte Moon qui, selon M. Ito, compterait des dizaines de milliers de fidèles dans l’archipel.
Aum, elle, a changé de nom, elle s’appelle désormais Aleph, première lettre de l’alphabet hébreu, et, bien que s’en défendant officiellement, vénère encore Asahara, comme l’ont montré des images de l’intérieur de ses locaux diffusées jeudi par la chaîne publique NHK, où Asahara est en photo partout.
La police, même si elle établit le lien de continuité avec Aum, tolère quand même Aleph (ainsi que Hikarinowa, une émanation jumelle), en surveillant ses agissements: les locaux de ce groupuscule ont été perquisitionnés jeudi par les forces de l’ordre alors que venaient d’être exécutés les six derniers condamnés à mort d’Aum, après sept en début de mois.
– Quête d’amour –
« Je pense que le cas d’Aum a constitué une mise en garde pour la société au cours des 20 dernières années: nous savons que les partisans n’ont pas eu une fin heureuse et qu’ils ont été embrigadés », explique le professeur Kimiaki Nishida, spécialiste de psychosociologie à l’Univeristé Rissho à Tokyo.
Mais si les sectes continuent néanmoins d’exister et de recruter, c’est que « la société ne peut pas apporter de solutions à tous les problèmes, alors que les mouvements sectaires offrent le fantasme de la réponse à tout », poursuit-il.
Kenji Kawashima, professeur de philosophie et de pensée contemporaine à l’université Tohoku Gakuin (basée à Sendai, dans le nord-est du pays), juge quant à lui que les sectes ont occupé le vide laissé par la disparition de traditions du fait de la modernisation de l’habitat et des modes de vie.
« Il y avait autrefois des autels dans les maisons qui permettaient de garder le contact avec les ancêtres », rappelle-t-il.
Les mouvements sectaires s’intéressent particulièrement aux adolescents et jeunes adultes qui ont parfois des rapports tendus ou insuffisamment affectueux avec leur entourage familial.
Dans un contexte de dénatalité, « on pourrait penser que les liens parents-enfants se renforcent, mais les parents font souvent pression sur leurs enfants pour qu’ils réalisent leurs désirs. Du coup, ces jeunes cherchent du réconfort et de l’amour ailleurs », souligne M. Kawashima.
« Ceux qui ont été impliqués dans les crimes de la secte Aum étaient des jeunes gens très intelligents. Ils avaient des difficultés relationnelles, cherchaient un refuge et ont échoué là », a commenté sur plusieurs médias Shoko Egawa, journaliste indépendante qui a enquêté des années sur le sujet. « Nous ne devons pas penser qu’il s’agissait de gens bizarres qui appartiennent au passé, mais analyser leur cas pour éviter de retomber dans la même situation », insiste-t-elle.
Source : AFP
La République des Pyrénées, Le 27 juillet 2018
AFP