Se nourrir de lumière, tel est le credo du respirianisme, qui fait l’objet d’un documentaire controversé en France et que les Romands pourront voir en février. Esotérisme ou charlatanisme?
Escroquerie, charlatanisme ou prosélytisme mortel, le respirianisme a soulevé ces derniers jours une polémique virulente en France. A l’’occasion de la sortie le 15 décembre à Paris du documentaire «Lumière», consacré à ce mouvement ésotérique qui prône le jeûne total, les milieux antisectes, scientifiques et médicaux ont tiré la sonnette d’alarme. Car qui veut faire croire que l’’on peut s’’abstenir de boire et de manger tout restant en bonne santé?
Le respirianisme est un phénomène ascétique qui existe dans sa forme contemporaine depuis les années 1970. Il connaît actuellement un regain d’intérêt avec la sortie d’’un documentaire, réalisé par un jeune réalisateur autrichien, Peter-Arthur Straubinger, intitulé «Am Anfang war das Licht». Depuis sa sortie en Autriche et en Allemagne, il a fait quelque 200 000 entrées. Les Suisses ne l’’ont pas encore beaucoup vu. Outre-Sarine, quelques copies ont circulé. Selon le distributeur, Xenix Films à Zurich, les Romands verront la version française dès la mi-février.
Condamnation
En France, pays qui se méfie des sectes depuis les massacres de l’’OTS, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a qualifié le film de dangereusement propagandiste. En Suisse, le Centre intercantonal d’’information sur les croyances de Genève (CIC) suit également de près l’évolution de ce mouvement. Pour sa directrice, Brigitte Knobel, il s’agit d’une «pratique ascétique extrême et un danger évident pour la santé». Le CIC connaît une fondation à Zurich qui se réclame du respirianisme, la Cosmic Thruth Stiftung. A ce sujet, il rappelle que la justice zurichoise avait condamné pour homicide par omission un gourou qui avait poussé une femme dans la voie fatale de l’’«alimentation cosmique». C’était en 1983 déjà!
Le documentaire, lui, présente une facette soft et éthérée d’’un jeu pourtant risqué avec la mort. On y suit le Mataji Prahlad Jani, 83 ans, qui ne mangerait plus depuis l’âge de 7 ans. On y côtoie l’’Australienne Ellen Greve, 53 ans, nommée Jasmuheen, qui fait figure de leader charismatique du mouvement. Dans les éditions ésotériques, son ouvrage, intitulé «Vivre de lumière», est de tous les catalogues. Elle donne également des stages payants (entre 1000 et 2500 euros) en Ardèche ou en Autriche pour suivre une diète de «nettoyage» de vingt et un jours qui élève rapidement la «fréquence vibratoire des êtres». En Suisse, le documentaire présente un docteur en chimie, Michael Werner, 61 ans, qui vit à Arlesheim, près de Bâle. Il aurait cessé de s’’alimenter en 2001 et on le voit se balader ou jouer au tennis en pleine forme.
Visées mercantiles
Qui est dupe? En tout cas pas Georges Fenech, président de la Miviludes. Il relève les dangers du jeûne extrême, qui peut entraîner une «emprise mentale sur les adeptes et une mise en état de dépendance». Il dénonce les visées mercantiles de certains adeptes. Le site français Psychothérapie et vigilance rappelle que trois d’’entre eux – en Australie, en Ecosse et en Allemagne – ont payé de leur vie leur confiance aveugle dans les nourritures lumineuses. La revue Sciences et avenir est encore plus cinglante et parle d’’«escroquerie». Elle rappelle que le jeûne provoque «des troubles de la glycémie, des convulsions, de l’’hypertension, des problèmes cardio-vasculaires, un affaiblissement du système immunitaire et dans certains cas le coma».
Fallait-il rappeler ces évidences? Attaqué de toutes parts, accusé de faire de la propagande pour l’’anorexie ou d’’être un manipulateur, Peter-Arthur Straubinger s’’est défendu ces derniers jours, mais ne cache pas sa fascination. «Il ne m’importe pas, dit-il, de retourner le spectateur sceptique. Mon film est le résumé d’’une recherche de plusieurs années, une recherche qui m’a transformé. Je n’’attends cependant pas cela du spectateur. Le scepticisme est permis et même souhaité, mais il ne doit pas se transformer en étroitesse d’esprit.» Une façon de dire qu’’on peut rester large d’esprit sans pour autant avaler n’importe quoi.
Eric Felley – le 29 décembre 2010, 23h53
Le Matin