Bon appétit!

Sur Internet, les pratiques alimentaires censées favoriser le bien-être ou la perte de poids sont en vogue. En février, le ministère de l’Intérieur alertait sur les dérives sectaires de certains promoteurs de ces régimes. Enrobées d’un discours pseudo-scientifique, les affirmations martelées par ces youtubeurs ne résistent pas à l’épreuve des vérités médicales.

« Une alimentation qui permet de retrouver la santé ». C’est la promesse de nombreuses pratiques alimentaires en vogue, à l’instar du crudivorisme et du jeûne intermittent. Elles se répandent d’autant plus qu’elles sont vantées sur les réseaux sociaux par de prétendus « coachs » en santé, bien-être et nutrition qui mettent en avant des supposées preuves scientifiques pour convaincre. Pourtant, les bienfaits de ces remèdes n’ont pas été démontrés et certains peuvent même s’avérer dangereux. Surtout lorsque leurs promoteurs détournent les nouveaux adeptes de leur parcours de soins classique.

À tel point qu’un rapport de la Mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), paru en février, alerte sur les stages de jeûnes extrêmes et le crudivorisme. Exacerbés par la crise sanitaire, les signalements de dérives aux autorités ne cessent d’augmenter. Quel crédit scientifique accorder à ces régimes ? Marianne fait le point.

Le crudivorisme… et le risque de parasites

Crudivorisme, ou « alimentation vivante ». Le terme ne vous dit rien ? Pourtant, celui qui l’a popularisé, Thierry Casasnovas, comptabilise plus d’un demi-million d’abonnés sur Youtube. Le principe est simple : se nourrir exclusivement d’aliments crus et naturels pour rester en bonne santé. Principal problème : crues, les viandes et poissons peuvent contenir des bactéries et parasites, que la cuisson tue

Mais Casasnovas promeut également les jeûnes, nouvelle technique miracle pour perdre du poids et atteindre un certain « bien-être ».

Le jeûne intermittent, de l’hypoglycémie…

Sur Facebook, des pratiquants s’échangent conseils et retours. À bientôt 44 ans, Ludivine a rejoint un groupe qui rassemble 30 000 convertis au jeûne intermittent. Chacun choisit son rythme : cinq jours / deux jours, un jour sur deux, etc. Depuis janvier, la quadragénaire ne mange qu’entre midi et 20 heures. « Avec le Covid, on a envie de se sentir bien dans son corps, c’est ce que je cherche » , raconte-t-elle. Pour se renseigner, elle a acheté quatre livres… mais aucun n’est écrit par un médecin : les auteurs, des coachs ou autres entrepreneurs, n’ont pas de compétence scientifique. « Je n’ai pas demandé d’avis à un médecin », concède Ludivine. Pourtant, consulter est essentiel : les jeûnes prolongés présentent certains risques, et sont surtout contre-indiqués dans certaines pathologies.

« Pour le jeûne, sur deux ou trois jours, le corps est capable de s’adapter, et il n’y a pas vraiment de risques, si ce n’est l’hypoglycémie » , explique Thibault Fiolet, doctorant en santé publique à l’université Paris Saclay / Inserm et auteur du blog « Quoi dans mon assiette » . Mais à long terme, des carences en nutriments deviennent dangereuses.

…au risque de décès

Le jeûne sec est probablement le plus problématique : ni nourriture, ni boisson, pendant plusieurs semaines. « En réalité, après trois jours sans boire, on est presque dans le coma, sans compter la perte de masse musculaire » , fustige Filipe de Vadder, chercheur en physiologie. La Miviludes pointe du doigt les stages de jeûnes extrêmes : « Cette pratique a déjà entraîné une dizaine de décès à l’étranger » et « a fait l’objet de trois signalements en France » en 2020, rapporte l’organisme.

Enfin, certaines pratiques alimentaires sont contre-indiquées en cas de pathologies, notamment le diabète. Or tous les diabétiques ne sont pas diagnostiqués comme tels : c’est pourquoi il est impératif de consulter un médecin avant de se lancer. « Outre ces risques, la science n’a jamais prouvé que ces méthodes sont bénéfiques », martèle Filipe de Vadder.

Une perte de poids pas garantie

« Ça n’a jamais été étudié sur le long terme : les essais cliniques coûtent cher et sont longs, il y a donc peu d’études de grande ampleur et de qualité sur le jeûne », souligne Thibault Fiolet. Rien n’indique que les jeûnes intermittents en eux-mêmes permettent la perte de poids, comme voudraient le faire croire certains youtubeurs. « Si on maigrit, souvent, c’est parce qu’on diminue l’apport calorique. Après, évidemment, si on arrête de manger, on maigrit, mais on brûle aussi du muscle ! », ajoute le chercheur. « Pour pallier le manque de certains repas, l’organisme stocke davantage pendant ceux qui restent : l’effet sur la perte de poids est donc limité » , explique Filipe de Vadder. Tout dépend ensuite de la physiologie de chacun : certains perdront du poids, d’autres pas.

Des études montrent tout de même qu’un type de jeûne, appelé en anglais « time-restricted eating », peut entraîner l’amélioration de marqueurs de risque cardiovasculaire. « Il s’agit de réduire le temps passé à manger et de maximiser l’écart entre les repas. Cette technique n’a rien à voir avec le jeûne de plusieurs jours que certains « coachs » appellent intermittent, observe Filipe de Vadder. Et il ne faut pas oublier qu’on jeûne tous, au moins quand on dort… »

Le jus de légume laisse sur sa faim

Autre pilier des méthodes de Thierry Casasnovas : boire des jus de légumes. « À une époque, il proposait même des cures de jus, et certains coachs le font encore, se souvient Fiona, membre du Collectif l’Extracteur, réunissant des scientifiques luttant contre les dérives sectaires dans le domaine de la santé.

En ne consommant que des liquides, le corps ne mastique plus. « Or la mastication prépare à la digestion et pourrait avoir un effet bénéfique sur la satiété », indique Thibault Fiolet. Sans oublier que le fruit entier comporte davantage de fibres, qui ralentissent la prise alimentaire. « Pas étonnant que l’on puisse boire l’équivalent de 3 ou 4 oranges en jus mais qu’on ne puisse pas en faire autant si on essaie de les manger », ajoute Filipe de Vadder. Résultat : on consomme davantage de sucres.

Détox et repos de l’organisme

Alors, d’où viennent les supposés bienfaits de ces différentes pratiques ? C’est toute leur ambiguïté : ceux qui les mettent en avant se reposent sur des faits scientifiques, mais les détournent et les extrapolent. « Il y a toujours un fond scientifique présumé à ces régimes, mais en creusant un peu, ça ne tient pas la route », assure Filipe de Vadder. Exemple : la « détox » . « Dire que ces pratiques « détoxifient l’organisme » n’a pas de sens biologique », décrypte Thibault Fiolet. Certains organes se chargent de cette détoxification : les reins filtrent le sang, les poumons se chargent de l’air, le foie élimine des résidus et polluants… Des mécanismes sur lesquels le jeûne n’influe pas.

Autre argument phare : le repos de l’organisme. « C’est une idée un peu spéciale, ironise Thibault Fiolet. Notre corps se régule lui-même, ça s’appelle l’homéostasie, et si ça ne fonctionne plus, les symptômes apparaissent vite » . Quid du « bien-être » promis par le jeûne ? « Il y a de multiples facteurs, rien ne dit que ces régimes en eux-mêmes améliorent l’humeur : cela peut être lié à un effet placebo, à la motivation que l’on a à aller au bout de la méthode… », poursuit-il.

Raccourcis sur l’autophagie

L’exemple le plus représentatif de ces croyances infondées est celui de l’autophagie, devenue l’une des justifications les plus directes à tous les types de jeûnes. Et pour cause : ce processus a valu au Japonais Yoshinori Oshumi le prix Nobel 2 016 de médecine. En résumé, si une de nos cellules manque de nutriments, qu’elle est infectée ou cancéreuse, elle peut « digérer » certains de ses composants, notamment s’ils sont défectueux ou toxiques. Le processus se met donc en place en période de jeûne. Raccourci de ses promoteurs : privé de nourritures et de boissons, le corps consommerait ses cellules problématiques et se régénérerait. « Ceux qui prônent l’autophagie sans vraiment s’y connaître disent que l’on éjecte les cellules malades. En réalité, la cellule consomme seulement des morceaux d’elle-même », explique l’Extracteur.

Ainsi, Fabien Moine, se revendiquant « professeur en naturopathie » (titre médical qui n’existe pas) et « praticien en santé naturelle », réalisateur du documentaire « le jeûne, à la croisée des chemins » , explique dans une interview à France 3 que « l’autophagie permet au jeûne de soigner des maladies et même de ralentir le vieillissement du corps » . En réalité, les bienfaits contre le vieillissement n’ont été mis en évidence que chez des animaux, et restent hypothétiques chez l’homme. L’autophagie soigne-t-elle ? « On sait que le jeûne intermittent, via l’autophagie, améliore les effets de certaines chimiothérapies, et on le recommande alors. Mais cela ne veut en aucun cas dire que je jeûne protège des cancers… » assène Fiona, membre du collectif l’Extracteur.

Pour appuyer leur discours, les promoteurs de ces thèses controversées jonglent aussi avec de grandes généralités… avec lesquelles la communauté médicale sera forcément d’accord. « Qui va contredire qu’il vaut mieux des produits frais, pas transformés ? », regrette la militante.

Glissement vers les dérives sectaires

Pour certains adeptes, l’adhésion à ces théories relève parfois de l’emprise. L’Union nationale des Associations de défense des Familles et de l’Individu victimes de sectes (Unadfi) reçoit de plus en plus d’appels de familles, inquiètes des bouleversements des comportements alimentaires de leurs proches. « Ça commence par des vidéos sur les réseaux sociaux, puis petit à petit, la personne ne peut plus se passer des conseils d’un « gourou » pour s’alimenter, son discours se radicalise, et le dialogue devient impossible », constate la porte-parole de l’Unadfi  Pascale Duval. Lorsque les familles contactent l’association, souvent, le point de rupture est déjà dépassé.

Et les dégâts sont nombreux lorsque les convertis s’éloignent du parcours de soins classique. « Une famille nous a expliqué qu’un de leur proche diabétique diminuait sa dose d’insuline sans avis médical à cause de Thierry Casasnovas », déplore-t-elle. La vidéo de présentation de sa page Youtube donne le ton : il y assure que « la maladie n’existe pas », preuve que nous serions tous « victimes d’un mensonge ». Ou encore que « la tumeur n’est pas ce qui te met en danger mais plutôt ce qui te maintient en vie ». La Miviludes a enregistré plus de 600 saisines à son encontre. Si l’homme est désormais visé par une enquête pour mise en danger de la vie d’autrui, d’autres coachs continuent de promouvoir des méthodes alimentaires sans fondements scientifiques.

Dans le livre « les bienfaits de l’alimentation vivante », Nelly Grosjean, docteur en naturopathie (profession qui n’est pas reconnue en France) proposant différents stages, assure que son « programme complet » permet de retrouver « vitalité, énergie et enthousiasme tout en conservant le plaisir de manger ». Selon elle, jeûne et crudivorisme protègent de « maladies lésionnelles » : entre autres, le diabète, la dépression, la sclérose en plaques, l’arthrose… « Il faut se battre contre ces pratiques alternatives. Les laisser se répandre, c’est nier la science, nier la médecine… », déplore la membre de l’Extracteur. Et mettre des vies en danger.

source : https://www.marianne.net/societe/sante/jeunes-crudivorisme-ces-regimes-alimentaires-a-lepreuve-de-la-vraie-science

Par Margot Brunet

Publié le