Etudiante en psychologie, je m’intéresse de près à un sujet qui est pour l’instant très peu traité en France : l’addiction à la voyance. Beaucoup d’études évidemment sur la toxicomanie, les joueurs compulsifs, les dépendances alimentaires telles que la boulimie ou l’anorexie, les sex addicts mais dans les ouvrages, et même dans la presse, très peu de réflexions une addiction qui me semble pourtant bien réelle, celle qui se tourne vers les consultations de voyance avec les médiums et les voyants en tous genres…

Une amie coréenne, mariée avec un anglais lisait “Junkie Psychic” de Sarah Lassez, un livre de mémoires qui est sorti en 2006 aux Etats Unis. L’auteure est une actrice américaine qui jouait notamment dans “The blackout” d’Abel Ferrara qui avait été présenté à Cannes en 1997.

Pour résumer, elle expose dans son autobiographie le fait que lorsque la célébrité promise ne s’est pas concrétisée, elle est allée chercher du réconfort auprès des médiums qui lui ont prédit l’arrivée dans sa vie de l’homme de ses rêves. Elle croit alors dur comme fer tout ce qui lui est prédit, occultant la réalité de ses relations amoureuses. Elle est persuadée de ses rêves et les médiums les confirment, l’enfermant dans une réalité bien cruelle. Le monde de Sarah se dissout dans les dettes et la solitude, sa dépendance est bien réelle et menace de détruire ses finances (elle raconte qu’elle a même pu dépenser jusqu’à 1000 $ par mois dans des consultations), ses relations sociales et sa santé mentale. Elle a conscience qu’elle a besoin d’aide mais il n’est pas si facile pour elle de décrocher, tant il est facile, pour quelques dollars la minute, d’être rassurée, d’avoir le sentiment de tout contrôler et de maîtriser pour l’avenir en consultant des médiums par téléphone.

Junkie Psychic est une histoire vraie, drôle et triste à la fois, de la vie et de l’amour à Los Angeles, racontée par un personnage qui m’a beaucoup touchée. Elle cherche des réponses et tente désespérément de donner un sens à sa carrière, à ses relations amoureuses. On se sent proche d’elle car nous tentons tous, par des moyens certes différents mais tout aussi dérisoires parfois de donner du sens à notre vie, aux événements qui nous touchent, qui nous malmènent.

A partir de là, je me suis intéressée à la question et j’ai découvert qu’un groupe de soutien psychologique comme il en existe des milliers aux Etats Unis, sur le modèle des alcooliques anonymes avait vu le jour pour les accros à la voyance. Le site web se nomme psychicjunkie.net.

Est-ce que cela pourrait arriver en France ? Je pense que c’est seulement une question de temps, même si dans notre culture, les groupes de soutien du style des AA ne sont pas aussi présents et influents. Mais le contexte de crise actuel favorise largement le recours aux croyances aux divinations en tous genres. Sans en être toujours vraiment conscients, en consultant des médiums ou des voyantes, nous nous procurons des scénarios nourrissant nos rêves et apaisant nos esprits, lorsque l’espoir manque, lorsque nous sommes angoissés par la réalité de notre vie et les raisons d’être angoissés par l’avenir ne manquent pas n’est ce pas ?

Ce roman montre que l’on peut développer une réelle dépendance psychologique avec la voyance.

Si l’on s’intéresse aux définitions de la toxicomanie et de l’addiction, le parallèle est facile :

L’OMS, organisation mondiale de la santé définit la dépendance comme : « un état psychique et parfois physique, résultant de l’interaction entre un organisme vivant et un produit, caractérisé par des réponses comportementales ou autres qui comportent toujours une compulsion à prendre le produit de façon régulière ou périodique pour ressentir ses effets psychiques et parfois éviter l’inconfort de son absence (sevrage). La tolérance peut être présente ou non. ».

· Une tolérance ou une accoutumance : il faut augmenter les doses pour avoir un effet identique, sinon, la satisfaction est moindre. Dans le cas de la dépendance à la voyance, c’est évidemment le cas. Les personnes décrivent une escalade dans leur consommation de consultations. D’abord dans un moment de doute pour se rassurer, par curiosité, puis de plus en plus souvent, de plus en plus longtemps, tous les jours pour certains. En plus, aujourd’hui, tous les moyens sont bons pour accrocher le client : voyance par sms, voyance par téléphone sur des numéros surtaxés, par tchat etc… Vous pouvez rester connecté en permanence avec votre voyante, même en pleine nuit !

· Une incapacité à gérer sa propre consommation, l’usager consomme plus longtemps ou plus qu’il ne le voulait. Evidemment ! Avec les consultations en ligne et par téléphone, le temps est distordu, on perd facilement la notion de temps, tout comme dans un casino, devant une machine à sous. Abreuvés de belles paroles, de promesses d’amour, de gloire et de réussite, qui ne perdrait pas pied, surtout dans les moments de grande fragilité ?

· Des efforts infructueux pour contrôler la consommation. On voit bien dans la biographie de cette actrice qu’elle passe par diverses phases, dont le déni de sa dépendance. Consommer sans vraiment contrôler, se cacher pour le faire, y revenir sans cesse, pour se rassurer, pour avoir son “shoot” de bonnes nouvelles et de promesses, voilà le programme de l’addiction à la voyance.

· Les activités sociales, culturelles ou de loisirs sont abandonnées en raison de l’importance que prend le produit dans la vie quotidienne.

· Une poursuite de la consommation malgré la conscience des problèmes qu’elle engendre. Il est question du déni.

J’ai rencontré lors d’un de mes stages en psychologie clinique une dame qui avait dépensé des fortunes dans des consultations de voyance alors qu’elle n’avait aucune prédisposition particulière pour tomber dans cette addiction. Elle était soignée pour dépression, sa vie ayant perdu tout son sens. Elle comptait sur sa voyante pour l’aider à contrôler sa vie et consommait jusqu’à se mettre vraiment en danger sur le plan financier. En perte de repères, elle se maintenait dans une réalité virtuelle et était dans une fuite en avant mais un jour, tout cela a craqué, elle est venue demander de l’aide.

L’addiction à la voyance est à mon sens une réelle dépendance psychique dont on parle encore peu. L’addiction aux jeux vidéo est aujourd’hui reconnue comme une pathologie à part entière en France, une “addiction sans produit” pour les spécialistes.

Un sujet qui refera parler de lui je pense…

Si vous voulez aller plus loin :

Le site web de la Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Conduites Addictives.

Junkie Psychic, site américain de soutien psychologique pour les accros à la voyance.

Le site officiel de Sarah Lassez.

source: Mediapart

PAR MARION BONNET

http://blogs.mediapart.fr/blog/marion-bonnet/021214/junkie-psychic-ou-laddiction-la-voyance-et-si-cetait-aussi-une-realite-en-france