Le phénomène des conversions, en nette augmentation de la fin de la guerre, touche surtout des jeunes, issus des traditions catholique ou musulmane. Les responsables musulmans dénoncent la tolérance dont jouissent les sectes protestantes, et pointent une « crise d’identité religieuse » qui affecte toute la société albanaise.

Par Suzana Bytyqi

Des salutations joyeuses en anglais en en albanais s’échangent le dimanche dans la cour de l’église protestante « La Communauté du Peuple de Dieu ». 50 personnes environ, surtout des jeunes, de nationalités et de races différentes viennent écouter le prêche du pasteur qui ressemble plus à un conférencier qu’à un prêtre, dans son costume civil.

« La Communauté du Peuple de Dieu », fondée en 1984, est la plus ancienne des 27 communautés protestantes au Kosovo : 20 d’entre elles ont été fondées après la guerre. Le premier pasteur de cette communauté était un américain tandis qu’aujourd’hui elle est dirigée par le pasteur albanais Arthur Krasniqi. La plupart des fidèles de l’Eglise protestante avaient auparavant une autre religion. Le pasteur Krasniqi lui-même est né catholique et a été baptisé dans une église catholique. La conversion n’est plus un phénomène inconnu pour les Kosovars. Ces six dernières années, il est en augmentation.

« Pourquoi suis-je devenu protestant ? »

Lirak Gjoshi, 24 ans, s’est converti il y a quatre ans au protestantisme et il aide actuellement un pasteur de la communauté protestante de Prishtina, de la branche de « Calvary Chapel » dont le siège est en Californie. Mais sa famille a très mal accepté son désir de changer de religion et a essayé de l’en dissuader. « J’aime ma famille, mais j’aimerais qu’ils me comprennent. Je ne me rendrai plus chez eux tant qu’ils feront pression sur moi ». Lirak également suit des études dans un collèges biblique en Hongrie.

Kreshnik Alixhiki, de Peja, a entendu parler pour la première fois de la Bible en 1999, quand il était réfugié en Albanie. Mais lui n’a pas eu beaucoup de problème avec sa famille. Avant de choisir la religion protestante, Kreshnik n’était pas pratiquant de la religion musulmane, religion de ses parents. « Nous ne pratiquions pas, nous rendions seulement des visites à la famille lors des fêtes religieuses ».

A.SH., de Deçan, avait pratiqué la religion musulmane et avait lu le Coran mais, par curiosité, il avait aussi lu la Bible. « J’allais à la mosquée, mais je ne savais pas pourquoi j’y allais. » Les premiers contacts avec les missionaires chrétiens se sont faits en Albanie pendant le conflit mais c’est surtout ses contacts avec un missionaire américain à Deçan qui ont eu une grande importance pour lui. Depuis l’après-guerre, il est passé à la religion chrétienne. […]

Ceux qui s’intéressent à la religion protestante sont pour la plupart âgés de moins de 25 ans, selon les explications du pasteur de Calvary Chapel à Prishtina, Marc Yoom. Le pasteur Yoom est arrivé au Kosovo après la guerre et vit ici depuis plus de cinq ans. Un an avant de venir au Kosovo, il était en mission en Albanie où la communauté protestante est plus importante qu’au Kosovo. Il a appris l’albanais et se sent bien au Kosovo.

La croyance, une contrainte ou un besoin ?

Les représentants de la Communauté musulmane, de l’Église Catholique et de l’Église protestante au Kosovo avancent des raisons différentes à ces conversions. « Se convertissent ceux qui n’ont pas assez fait de recherches et étudié leur religion » explique Qemajl Morina, responsable pour la presse et l’édition de la Communauté musulmane et co-doyen de La Faculté d’études islamiques de Prishtina.

La Communauté musulmane est inquiète par ce phénomène, qui connaissait une moins forte intensité avant la guerre. Selon Qemajl Morina, les jeunes qui n’avaient pas de bagage issu de la religion musulmane ont profité de la présence des étrangers, puisque la liberté d’action chez eux est plus grande. Ce qui inquiète Morina, c’est la façon de faire de la propagande que développent les autres religions au Kosovo.

« Nous pensons que la situation économique pousse la plupart des gens à se convertir. Nous avons entendu dire que dans certains villages on donnait de l’aide à condition de laisser construire des églises protestantes, surtout dans la région de la Drenica et de Malishevë ». Il admet que la religion est une question personnelle mais cette tendance à la conversion, selon lui, menace la tolérance intereligieuse au Kosovo.

« Normalement, celui qui connaît bien sa religion, l’a étudiée, choisira difficilement de se convertir. Ces nouvelles croyances s’étendent dans les régions où la présence de la mosquée est moins importante, où l’on connaît moins bien la religion » affirme Morina. Il rappelle que dans les pays occidentaux des personnalités connues , des intellectruels, après avoir étudié l’islam ont décidé de se convertir. Cependant au Kosovo, sauf un cas à Prizren, la Communauté musulmane n’a pas connaissance de conversion d’autre religion vers l’islam.

Selon les pasteurs protestants, 95% des fidèles convertis au protestantisme étaient de religion musulmane. Mais Qemalj Morina répond que « nous n’avons pas de raison de nous inquiéter, les vendredi, les mosquées sont pleines de jeunes, d’étudiants, d’intellectuels et de personnes de toutes les couches sociales ».

Ce qui l’inquiète, c’est que ce sont les enfants et les jeunes qui se convertissent, et pour lui, cela est la conséquence d’une manipulation de la foi. Qemalj Morina ne nie pas qu’une des raisons de cette conversion tienne à l’attitude des imams qui se tiennent loin des fidèles.

« Nous allons essayer de faire en sorte que l’imam soit plus proche des fidèles, qu’il n’ait pas seulement un rôle de leader religieux mais aussi celui d’asssitant social. Ainsi se rétrécira l’espace d’action des sectes ».

Le grand imam du Kosovo Sabri Bajgora qualifie d’irrespectueuse la tendance des différents groupes religieux qui essaient d’influencer les jeunes en distribuant de la littérature religieuse dans les écoles.

« À l’école de médecine, ils ont distribué du matériel de propagande religieuse chrétienne, et cela a été permis, mais quand les organisations arabes ont voulu distribuer de l’aide dans la même école, cela leur a été refusé ».

Don Noshi : Les jeunes vont là où ils se sentent plus libres

Don Nosh Gjolaj, curé de la Paroisse de Prishtina et sociologue, s’arrêtent davantage sur les raisons de la conversion des jeunes à d’autres religions. « Ce sont les jeunes qui se cherchent et qui cherchent leur identité religieuse qui se dirigent vers des nouvelles communautés. Généralement ils viennent de familles autoritaire”. Selon lui, les adolescents veulent de la liberté, de l’amour, être compris par leurs proches et donner de l’amour à leur tour, ils ne veulent pas d’autorité. Une autre raison de cette conversion, selon Don Noshi, est une pratique seulement superficielle q de la religion. « Par exemple, on fête seulement Baïram ou Noël, ce sont les rituels principaux, mais la religion n’est pas plantée dans le cœur de la famille ».

Don Noshi considère que les religions institutionnelles sont souvent rigides, « Les jeunes adolescents n’aiment pas les normes et les ordres ». Le monisme intellectuel – le monisme de l’athéisme albanais, est une autre raison qui explique la conversion à d’autres religions.

« Avec la chute de ce monisme s’est créé un vide, et il n’y a pas eu d’identité religieuse, ce phénomène est apparu en Albanie, en Macédoine et au Kosovo. Mais surtout, il faut trouver une explication dans le développement personnel : le besoin des jeunes de se sentir plus acceptés, l’ouverture à l’autre, le besoin humain d’être quelqu’un aux yeux des autres et la mission historique pour servir la communauté, pour propager la religion chrétienne ou musulmane ».

Religion et politique

Tous les leaders religieux kosovars refusent toute ingérence de la politique dans la religion. « Une partie des sermons de tous les leaders religieux est un discours politique sur l’indépendance du Kosovo. Si on espère profiter politiquement de la foi, cela revient à rabaisser les valeurs religieuses », explique le pasteur Arthur Krasniqi. Il rappelle que dans une régulation du Gouvernement il est écrit clairement que les leaders du gouvernement ne doivent promouvoir aucune religion. Il trouve exagérée l’orientation trop pro-Vatican de la Présidence du Kosovo. Cette institution ne devrait pas se mêler de la construction des édifices cultuels. « Je pense que le Président d’un État ne doit pas s’occuper des cathédrales, ce sont les communautés religieuses qui doivent s’occuper de la construction des édifices cultuels ».

Qemajl Morina, le leader musulman, est du même avis que le pasteur Krasniqi. « Je pense que c’est une erreur d’arborer des symboles religieux dans les bureaux des leaders politiques. Il considère que ceux-ci traversent eux-mêmes une crise d’identité. « Le Premier Ministre, musulman du moins sur base de ses nom et prénom, se rend en famille à la messe de Noël, mais je ne l’ai jamais vu, ni lui, ni aucun leader, faire la prière du Baïram. C’est une crise d’identité religieuse, et fuir son identité religieuse n’honore personne ».

Le curé de la paroisse de Prishtina préfère aussi que l’État soit séparé de la religion. Au Kosovo, environ 90% de la population est de religion musulmane tandis que 3 % sont de religion catholique. Les autres, environ 7%, sont orthodoxes ou protestants.