Les adeptes de la Conscience de Krishna, à Luçay-le-Mâle, vivent une période agitée. Un dévot qui a quitté le domaine d’Oublaise, en décembre, a porté plainte pour « harcèlement moral », à Vihiers, dans le Maine-et-Loire, où il s’est retranché avec son épouse. « Les dirigeants ne suivent pas les principes recommandés par le fondateur, dénonce Hubert Goudet, 72 ans. Sous couvert de la religion, on demande une abnégation qui fait beaucoup souffrir. […] J’ai encore une grande confiance dans les préceptes de la Conscience de Krishna.Je fais cette démarche pour les générations futures. » Le couple pratique toujours à domicile.

«  C’est une trahison  »

Membre de l’Association internationale pour la Conscience de Krishna (AICK) depuis 1978, il dit avoir « ouvert les yeux » en novembre, lors du procès d’un adepte pour « provocation au suicide suivi d’effet », après l’immolation mortelle d’une sexagénaire, en 2010, au domaine d’Oublaise (NR du 29 novembre 2013). Pour lui, ce drame est tout sauf un hasard : « On lui en demandait trop, elle était fragilisée psychologiquement ». En 1987, Hubert Goudet avait déjà quitté le château d’Oublaise en mauvais termes, puis tenté, en vain, un premier retour, en 2003. A l’époque, il s’insurgeait déjà. « Trois principes essentiels ont pris le pas sur la foi : l’argent, le sexe, le pouvoir. »
Pourquoi, dès lors, sont-ils revenus, avec son épouse, en août 2013 ? « Le temple nous attire, l’autel, les chants », répond Monique Goudet. « Nous pensions que ça avait changé », ajoute son mari. Mais leur constat est sans concession : « On demande toujours plus de services sans considérer la fatigue, l’âge et les aptitudes physiques des gens. »
« Ménage, cuisine, service, entretien des espaces verts, énumère Hubert Goudet. On a l’impression d’être exploités, c’est inhumain. » Il dénonce aussi « l’enrichissement » de certains membres. Parce qu’il s’en est ému, il aurait été exclu.
Des accusations que nie Joël Loison, chef de la communauté de Luçay-le-Mâle. « Quand les gendarmes sont venus (en 2010), il n’ont pas relevé de harcèlement moral. » Il met en cause l’équilibre psychologique du plaignant et assure qu’« à chaque fois qu’il est revenu, ça s’est mal passé avec les dévots ».
« Nous avons un conseil d’administration, on fonctionne comme une association, explique Joël Loison. Aucune décision n’est prise de manière unilatérale. » Selon lui, Hubert Goudet « n’est pas d’accord avec l’organisation du mouvement, il remet tout en question. […] On l’a accueilli comme un frère et son but est de nous détruire, ça fait mal, c’est un peu une trahison ».
Aujourd’hui, ils sont une dizaine de fidèles habitant le château d’Oublaise. « Mais la congrégation représente une centaine de personnes des environs, assure Joël Loison. Nous sommes comme n’importe quelle religion, avec nos pratiques cultuelles. » Et s’il admet qu’il existe « plusieurs courants » au sein de l’AICK, il précise : « On n’en arrive pas à tels conflits ».

repères

> 1995. Le rapport parlementaire de la commission d’enquête sur les sectes du 22 décembre 1995 cite l’Association internationale pour la conscience de Krishna (AICK) en l’associant à la « seconde vague » des sectes déferlant « à la fin des années 1960, […] en provenance des États-Unis ».
Il rappelle sa condamnation pour « fraude fiscale » – citant l’arrêt du 19 octobre 1989 de la cour d’appel de Bourges – et les témoignages « recueillis sur la journée type d’un adepte » qui décrit des procédés destinés à « affaiblir l’individu en lui imposant une discipline très rigoureuse, ou de réduire son esprit critique en l’astreignant à des actes ou des prières répétitifs afin d’obtenir sa complète obéissance ».

> 2005. L’AICK n’apparaît dans aucune liste officielle de sectes en France. Une circulaire du 27 mai 2005 relative à la lutte contre les dérives sectaires, signée par Jean-Pierre Raffarin, estime que « l’évolution du phénomène sectaire […] rend la liste de mouvements annexée au rapport parlementaire de 1995 de moins en moins pertinente ».
Elle préconise « plutôt que de mettre certains groupements à l’index, d’exercer une vigilance particulière sur toute organisation qui paraît exercer une emprise dangereuse pour la liberté individuelle de ses membres ».

Bertrand Slézak

http://www.lanouvellerepublique.fr/Indre/Actualite/24-Heures/n/Contenus/Articles/2014/02/07/Krishna-des-tensions-au-domaine-d-Oublaise-1786444

 » Une communauté très discrète  »

> Christian Mercuri, procureur de la République à Châteauroux. « Je n’ai pas encore reçu la plainte mais elle ne peut qu’arriver jusqu’à nous. Elle donnera forcément lieu à une enquête, on ne peut pas passer à côté. Cette communauté est très discrète. Depuis l’affaire de l’immolation, aucun incident ou renseignement ne nous est revenu. […] Plus généralement, les problèmes de dérives sectaires sont, bien sûr, une priorité et si sont mis en évidence des éléments qui constituent une infraction pénale, on fait quelque chose. »

> Marie-Françoise Bardet, présidente de l’Association de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (Adfi) Touraine. « Aujourd’hui, la communauté de Krishna à Luçay-le-Mâle n’est pas un groupe pour lequel nous sommes très inquiets. Par exemple, il n’y a plus d’enfants. Hormis l’immolation de la dévote, nous n’en avons plus entendu parler depuis longtemps […] Ces gens sont nourris de façon très frugale et doivent vraisemblablement travailler au jardin, sans salaire, ni couverture sociale. Ils ne sont pas bien chauffés, pas bien soignés, les petits revenus partent directement dans la caisse, c’est une forme d’exploitation […] Plus généralement, dans les groupes vivant sur eux-mêmes, n’obéissant qu’au gourou ou au message du gourou, l’adepte se retrouve privé de ses droits de citoyen et souvent de ses droits sociaux. Parfois avec une «  nouvelle  » identité, qu’il n’a pas choisie. Il perd la liberté de penser par lui-même. Par exemple, chez Krishna, l’adepte doit répéter le mantra sacré (NDLR : courte prière) 1.728 fois par jour et «  rattraper  » les jours suivants s’il n’y est pas arrivé. Il ne lui reste pas beaucoup de temps pour réfléchir. »

Contact : Adfi Touraine, tél. 02.47.38.32.48 (le mardi, de 14 h à 16 h).

> Préfecture (par communiqué). « Les services de l’État exercent une vigilance particulière sur toute organisation qui paraît exercer une emprise dangereuse pour la liberté individuelle de ses membres. Tout signalement auprès de toute administration fait l’objet d’une enquête approfondie pouvant aboutir à des sanctions non seulement pénales, mais également financières. Il appartient à tout citoyen de dénoncer les faits à la justice, en déposant directement plainte par courrier simple auprès du procureur de la République près du tribunal de grande instance, ou auprès de la gendarmerie ou du commissariat de police. »

source : La Nouvelle République
07/02/2014

http://www.lanouvellerepublique.fr/Indre/Actualite/Faits-divers-justice/n/Contenus/Articles/2014/02/07/Une-communaute-tres-discrete-1787128