C’est un étrange procès qui s’est déroulé cette semaine devant la 1re chambre correctionnelle de Paris. Celui de Marie-Catherine Phanekham, kinésithérapeute et coach, accusée d’avoir implanté chez ses patients de « faux souvenirs » d’abus sexuels pour les couper de leurs familles et leur soutirer de l’argent. Ce procès rare en France – aux États-Unis, ce type d’accusation se multiplie depuis les années 1980 – se distingue aussi par le profil de ses victimes, la plupart issues de milieux socioprofessionnels privilégiés.

D’ex-patientes encore fragilisées ont témoigné à la barre être littéralement tombées sous l’emprise d’une femme qu’elles étaient venues consulter sur le conseil de parents ou d’amis. La thérapeute faisait remonter chez elles de « faux souvenirs » prétendument enfouis, notamment d’incestes. L’une raconte comment, dès le premier rendez-vous, elle lui a « suggéré » qu’elle avait été abusée par son père et avait eu une relation incestueuse avec son frère. « Elle m’a dit que j’étais pourrie de l’intérieur », « que j’avais été abusée par mon père et vampirisée par ma mère », relate une autre.

La kinésithérapeute les poussait à rompre avec leurs proches, de façon souvent très violente. « Elle m’a demandé de les pulvériser. » « Elle m’a dit qu’il fallait que je le détruise avant qu’il ne me détruise. » Les plaignantes parlent de « lavage de cerveau » et de « mise en état de soumission ». Elles se remémorent ces week-ends terribles passés dans la maison de campagne de la thérapeute, « maison de la vérité », ou « maison du bien », où celle-ci pratiquait des séances « d’analyse sauvage » ou de « magie noire ».

Elles relatent aussi la façon dont elle leur a soutiré de l’argent : l’une lui a donné 55 000 €, au prétexte que cet argent issu de l’héritage de son père était « malsain » ; une autre lui a vendu pour 60 000 € un appartement dans le VIIIe arrondissement de Paris…

Si les plaignantes ont réussi à se défaire de ce lien mortifère, elles en ont gardé de lourds traumatismes. Mais d’autres femmes resteraient encore sous son influence. C’est le cas de Florence A. Cette diplômée de HEC, qui a occupé des postes à responsabilités dans le milieu de la finance, s’est portée partie civile avant de se désister et continue à nier avoir fait l’objet de « manipulations ». Ce sont ses parents qui sont venus témoigner à la barre du « changement profond » de leur fille après sa « rencontre » avec la thérapeute, qu’elle était venue consulter pour un problème de dos dans les années 2001-2002. Lors d’un repas avec eux, « elle s’est mise à hurler », parlant de « famille épouvantable », et ira jusqu’à accuser sa mère d’avoir été le membre actif d’un « réseau de pédophilie ».

Depuis, les ponts sont coupés et ils ne peuvent pas voir leurs petits-enfants.Florence serait restée en revanche en lien avec Marie-Catherine Phanekham. Elle a même réussi à la faire employer en 2005 comme coach par la société Artegy (filiale de la BNP), dont elle était responsable administrative et des ressources humaines… Une prestation pour laquelle Marie-Catherine Phanekham a touché 2,5 millions d’euros, chiffre confirmé par un rapport d’audit de la BNP.

Florence serait parvenue aussi à faire embaucher une douzaine d’« adeptes » de la thérapeute à des postes importants d’Artegy dans ce qui ressemble à une tentative d’« infiltration » de l’entreprise « par une secte », comme en témoigne son ex-directeur commercial Benoît de Foucher, licencié à l’époque pour avoir tenté d’alerter ses supérieurs. Florence est-elle toujours « sous emprise » ? « Elle est devenue une autre », nous dira simplement l’avocate de ses parents.

Comment des femmes intelligentes, apparemment solides, ont-elles pu se laisser si facilement manipuler ? La question est revenue régulièrement lors de ces trois jours d’audience. Croire qu’il faut avoir une « fragilité préexistante » pour se faire ainsi piéger ou qu’un « bagage intellectuel » suffit à se prémunir de telles attractions fatales est « une erreur », a expliqué Jean-Pierre Jougla, spécialiste des sectes.

Dans tous les cas, il est « très difficile d’opérer une marche arrière ». « On peut rester de très longues années sous emprise », a confirmé Claude Delpech, présidente de l’association Alerte aux faux souvenirs induits (AFSI). « Au bout de la route, nos enfants ne reviennent jamais tout à fait. »

source : la croix
Christine Legrand, le 24/02/2017 à 0h00
Mis à jour le 28/02/2017 à 8h25