Le Conseil des affaires étrangères a adopté lundi 24 juin 2013 les premières « lignes directrices de l’Union européenne en matière de liberté de religion ou de conviction ».

L’aboutissement d’une réflexion lancée à la suite des attentats ciblant les chrétiens en Irak ou en Égypte.

La liberté de religion ou de conviction protège le droit de « chaque être humain » de croire ou de ne pas croire, mais aussi de changer de religion ou de conviction. Et ce droit s’exerce « individuellement ou en communauté, en public comme en privé ». Tous les États doivent donc veiller à ce que leurs systèmes juridiques garantissent effectivement et efficacement cette liberté « sur l’ensemble de leur territoire, sans exclusion ni discrimination ».

Lundi 24 juin à Luxembourg, les 27 se sont mis d’accord sur une définition commune de la liberté de religion ou de conviction, et surtout sur les moyens de la promouvoir et de la protéger, d’une manière « opportune, consistante et cohérente ». Préparées depuis de longs mois par les diplomates, des lignes directrices ont été adoptées par le Conseil des affaires étrangères, à l’image de celles déjà adoptées contre la peine de mort, la torture, ou en faveur des droits de l’enfant… L’idée est, comme le font les États-Unis depuis 1998 mais avec une méthodologie différente, d’ancrer la liberté religieuse au sein de la diplomatie européenne, celle des institutions communautaires comme celle de chacun des États membres.
« Ce texte élargit et affermit la politique européenne en faveur des droits de l’homme »

« Désormais, il y aura aussi un bon cadrage européen. C’est une avancée, réagit Pierre Morel, ancien ambassadeur de France près le Saint-Siège, aujourd’hui directeur de l’Observatoire Pharos du pluralisme des cultures et des religions. Ce texte élargit et affermit la politique européenne en faveur des droits de l’homme. » De fait, si, jusqu’à présent, la Cour européenne des droits de l’homme se chargeait de vérifier l’application de ce principe à l’intérieur des pays membres du Conseil de l’Europe, la mobilisation de l’UE à l’égard des pays tiers ou au sein des organisations internationales n’était pas aussi organisée. Au-delà des « résolutions » et autres « déclarations » adoptées par le Parlement européen ou les ministres des affaires étrangères, il manquait un cadre d’action clair et structuré.

« En particulier, les difficultés des chrétiens d’Orient après les deux attentats de la fin 2010 – à Bagdad, dans la cathédrale syrienne-catholique, et à Alexandrie, dans une église copte – puis la vague des “printemps arabes” ont montré la nécessité d’une action européenne forte, reconnaît un autre diplomate. Les 27 ont pris conscience que la liberté de religion était de plus en plus menacée. » La préparation de ces lignes directrices figurait donc parmi les 97 actions prévues en juin 2012 lors de l’adoption du cadre stratégique européen pour les droits de l’homme et la démocratie. Au même titre, d’ailleurs, que d’autres – également adoptées hier – concernant « les droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres ou intersexuelles ».
« L’objectif est de ne pas s’en tenir à des discours »

« L’objectif est de ne pas s’en tenir à des discours », résume Emmanuel Decaux, professeur de droit à l’université Paris II et directeur du Centre de recherche sur les droits de l’homme. Plusieurs difficultés se présentaient toutefois aux auteurs du texte, qui expliquent que les discussions aient été compliquées. « Il fallait éviter d’alimenter tout ce qui peut être présenté comme un combat de civilisation », reconnaît un proche du dossier. Dès ses premières lignes, le texte prend soin de préciser que l’UE « ne considère pas les mérites des différentes religions ou convictions » mais reste « impartiale » à leur égard. Au passage, la revendication des pays musulmans de voir sanctionner la « diffamation des religions » – autrement dit le blasphème – est abordée.

Comme à leur habitude, les 27 rappellent la nécessaire distinction entre la critique des religions et des convictions et l’incitation à la haine religieuse, et que la liberté religieuse « protège des individus et non pas une religion ou une conviction en soi ». « Les auteurs ont choisi de coller aux textes internationaux : Déclaration universelle des droits de l’homme, Pacte relatif aux droits civils, etc., note Pierre Morel. L’objectif est que la méthode soit sûre et d’éviter de se retrouver avec des invocations multiples. »
La logique du partenariat et du « dialogue politique » a été retenue

Quant aux outils, ils incluent « le suivi, l’évaluation et la rédaction de rapports » sur la situation de la liberté religieuse, la diplomatie – y compris les « visites aux pays tiers », qui seront « l’occasion de soulever les thèmes inclus dans ces lignes directrices », et le cas échéant de « rencontrer des défenseurs des droits de l’homme ».

Mais c’est surtout la logique du partenariat et du « dialogue politique » qui a été retenue par les 27, pour pousser les États à « changer leur dispositif législatif » et ainsi « assurer l’égalité des droits de leurs citoyens ». « Copier les États-Unis n’aurait eu aucun sens : nous avons donc choisi de ne pas nommer un ambassadeur spécifique, et de ne pas publier de liste noire des pays violant le plus la liberté de religion », explique un proche du dossier. Au registre des incitations, l’utilisation d’« instruments financiers » est en revanche prévue, dont l’Instrument européen pour la démocratie et les droits de l’homme, doté tout de même de 1,104 milliard d’euros sur six ans, ou la possibilité éventuellement de suspendre un accord de « coopération ».
« Les atteintes n’émanent pas toujours des États mais parfois des sociétés elles-mêmes, comme au Nigeria »

La tâche sera sans doute rude avec certains pays particulièrement répressifs, Corée du Nord en tête, mais aussi la Chine, le Vietnam, l’Arabie saoudite ou le Pakistan. D’autant que, comme le rappelle Emmanuel Decaux, « les atteintes n’émanent pas toujours des États mais parfois des sociétés elles-mêmes, comme au Nigeria ». Mais d’autres États, « en transition », pourraient avoir intérêt à jouer la carte de la coopération avec l’Union européenne. « Ce que nous essayons de dire à la Birmanie, qui discrimine gravement sa minorité musulmane rohingya, c’est que le conflit actuel met en danger toute sa transition politique, et donc ses relations avec l’extérieur », fait valoir un diplomate.

Demeurent enfin quelques interrogations. Comment réagiront certains pays à majorité musulmane lorsqu’ils se verront questionner sur leur législation par des États européens – la France au premier chef – qu’ils accusent d’« islamophobie » ? « La France ne cesse de répéter que sa loi de 2004 sur les signes religieux et celle de 2010 sur la dissimulation du visage dans l’espace public ne sont pas discriminatoires puisqu’elles s’appliquent à tous, mais ce n’est pas toujours bien compris », reconnaît le directeur du CRDH. Reste aussi la question de l’efficacité d’une action « en bloc » des 27 États membres de l’UE. « Elle peut créer un effet de masse, elle peut aussi permettre à chacun d’eux de se cacher derrière les autres », observe Emmanuel Decaux. Mais elle peut aussi se révéler contre-productive en faisant apparaître comme « étrangers » aux pays des membres d’une « minorité » religieuse…

source : La Croix
24/06/2013
par Anne-Bénédicte HOFFNER

http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/L-Europe-s-accorde-sur-la-liberte-de-religion-2013-06-24-977740