BORDEAUX, 21 sept 2012 (AFP) – Pendant dix ans, onze membres d’une famille noble du sud-ouest se sont coupés du monde et ruinés en vendant leurs biens, à l’instigation d’un homme qui disait les protéger d’un complot: le procès de l’incroyable affaire « des reclus de Monflanquin » commence lundi à Bordeaux. Thierry Tilly, 48 ans, et son complice présumé Jacques Gonzalez, 65 ans, comparaissent en correctionnelle pendant deux semaines.
En 1999, M. Tilly rencontre Ghislaine de Védrines, parvenant à ce qu’elle l’embauche dans son école de secrétariat. Aux autres membres de cette famille connue et aisée, il se présente comme un agent secret travaillant à « l’équilibre du monde » pour un groupement « placé au-dessus des états » et luttant notamment contre la franc-maçonnerie: la « Blue Light Foundation ».
Il leur fait croire peu à peu qu’ils sont la cible d’un complot, mais que, s’ils financent « le combat », il peut protéger leur vie.
Les sceptiques, comme le mari de Ghislaine, Jean Marchand, sont accusés de tous les vices par M. Tilly, qui les fait rejeter par le groupe.
Les autres sont terrorisés, et s’isolent brutalement de leurs anciennes connaissances, d’abord dans le château familial de Monflanquin (Lot-et-Garonne) puis au Royaume-Uni. La justice est impuissante, puisqu’ils paraissent consentir à leur situation, signent des documents et même, voyagent.
Ce groupe comprend onze personnes : Guillemette de Védrines, morte en 2010 à 97 ans, ses trois enfants Philippe, Ghislaine et Charles-Henri, les conjointes des deux frères, Brigitte et Christine, et cinq petits-enfants largement sortis de l’enfance.
Philippe, sa compagne, puis Christine — qui a été séquestrée et privée de tout par le groupe pendant une semaine, pour lui faire avouer un secret de famille imaginaire –, font enfin défection en 2008 et 2009.
Ils racontent alors leur incroyable soumission, sans même qu’il ait besoin d’être toujours présent, à M. Tilly, décrit par les juges d’instruction comme « fin psychologue, excellent juriste et manipulateur de premier ordre ». Il est arrêté en Suisse le 21 octobre 2009.
Tous reconnus victimes d’une « emprise mentale », dont ils sont aujourd’hui libérés, les Védrines ont perdu, outre près de dix ans de leur vie, 4,5 millions d’euros de biens immobiliers et financiers, et encore des meubles, tableaux, bijoux, salaires….
Thierry Tilly a vécu très confortablement grâce à cet argent.
Le plus curieux, a révélé l’instruction, est qu’il était lui-même « sous l’influence de Jacques Gonzalez », président de la Blue Light Foundation — une coquille quasiment vide — arrêté le 1er juin 2010, auquel il a reversé d’énormes sommes. Tilly se prenait semble-t-il vraiment pour un agent secret.
Toujours en prison, M. Tilly est jugé pour séquestration avec libération avant le 7ème jour en vue de faciliter la commission d’un délit, et violences volontaires sur personne vulnérable avec préméditation, pour l’épisode concernant Christine de Védrines, et pour abus de faiblesse de personne en état de sujétion psychologique pour toute la famille.
M. Gonzalez, malade et libre sous contrôle judiciaire, est jugé pour complicité et recel d’abus de faiblesse. Ils risquent dix et cinq ans de prison.
L’avocat de M. Tilly, Me Alexandre Novion, juge « grotesque » de parler de « secte » et de « gourou » dans cette affaire, et espère que le procès « ne s’écartera pas de la logique rationnelle ».
source : AFP
Par Odile DUPERRY
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