Cordes vocales fragilisées, canal lacrymal détruit, lèvre inférieure greffée, œil gauche définitivement perdu… Colette, 70 ans, raconte aujourd’hui sans tabou les violences, les humiliations et les sévices sexuels de son mari auxquels elle a miraculeusement survécu pendant trente-deux ans.

Ce sourire dont elle ne se départit jamais frappe davantage que ses stigmates. Et la force de vie qui l’anime ferait presque, un court instant, oublier que Colette a été la victime d’un impensable calvaire. Mais le corps ne trompe pas. Celui de Colette, âgée aujourd’hui de 70 ans, porte tout entier les traces de ce que la justice a qualifié de « tortures et actes de barbarie ». Son ex-mari, René Schembri, 71 ans, qui comparaît à partir d’aujourd’hui aux assises des Bouches-du-Rhône, encourt trente ans de prison. Trois jours durant, les jurés devront entendre le récit, souvent insoutenable, de trente-deux ans d’une vie conjugale marquée par une violence et une cruauté sans bornes.

« Touchez mes oreilles, elles sont comme celles des boxeurs », incite Colette, de sa voix éraillée, fragilisée par la paralysie d’une corde vocale, conséquence de coups portés par son mari avec… un tuyau d’arrosage. Puis elle retrousse ses manches, dévoilant ce bras dont on a dû retirer un muscle, montre ses doigts déformés par les coups, sa lèvre inférieure remplacée par une greffe d’un morceau de langue, et, sans tabou, évoque les sévices sexuels qu’elle a subis.

Telle la rescapée d’un grave accident, Colette, qui a également perdu l’usage de son oeil gauche, a pris l’habitude de raconter sa vie à partir de ses cicatrices. Chacune d’entre elle renvoie à un déchaînement de violence, des épisodes qui sont allés crescendo jusqu’à ce jour de juillet 2002 où, par instinct de survie, Colette a fui son bourreau. Pour de bon cette fois.

En 1969, Colette a 26 ans lorsque René lui fait la cour et la séduit par ses dessins, ses lettres enflammées. « J’étais attirée par ses mains », dit-elle, mesurant aujourd’hui le terrible paradoxe. Elle tombe enceinte et, malgré quelques alertes, accepte de s’expatrier avec lui en Centrafrique où il est professeur d’arts plastiques. « Les belles promesses se sont vite envolées », se souvient-elle. Son existence est placée sous coupe réglée : il empoche ses salaires de secrétaire, contrôle tous ses déplacements, lui interdit d’écrire à sa mère restée en région parisienne. La jalousie, les violences, les insultes et les humiliations s’installent.

Fin 1970, à contrecoeur, Colette, qui se sent déjà piégée, épouse René. La nuit de noces, il la passe avec sa maîtresse africaine, qu’il a imposée au foyer. Sexuellement, Colette ne fait d’ailleurs déjà plus que subir ces « relations », qu’elle voit comme un « devoir conjugal »… « Faire l’amour » est absent de son vocabulaire.

Sa fille n’a que 8 mois lorsqu’en avril 1971, elle parvient à s’enfuir une première fois. Toute la belle-famille de Marseille, avec René en tête, fait le voyage à Paris pour la récupérer. « Comme une imbécile », elle croit au repentir de son mari. La chape de plomb retombe, avec un nouveau moyen de pression : sa fille Sylvie. René la suit, lui interdit la télévision, le téléphone, le courrier. Lorsque sa mère vient lui rendre visite, René refuse de lui ouvrir. Colette l’aperçoit par la fenêtre, sans savoir que c’est la dernière fois. Sa mère décédera quelques mois plus tard d’un cancer que lui a caché son mari… « J’étais trop abîmée psychologiquement pour réagir, j’étais seule, isolée, comme dans une prison », se souvient-elle, battue à la moindre occasion avec divers objets. Ses dents tombent sous les coups ? René lui recolle avec de la glu. Il la frappe si fort qu’elle doit aller à l’hôpital ? Colette récite des histoires ahurissantes, sans jamais faire sourciller le corps médical.

Car c’est aussi cette indifférence qui l’a enfermée dans son silence et justifie aujourd’hui qu’elle le brise. « Si on m’avait posé des questions, alors peut-être que j’aurais parlé. Peut-être… » 1977. Nouvelle fuite, nouveau retour. Cette fois, direction le Gabon pour dix-neuf longues années. René l’a menacée de mort en cas de nouveau départ. « Esclave », « objet sexuel », Colette accouche de sa seconde fille, Catherine. Les années défilent, les coups aussi. Sylvie, l’aînée, n’est pas épargnée. René impose ainsi à Colette l’impensable, la forçant à regarder alors qu’il viole leur fille, encore mineure… Des faits aujourd’hui prescrits. « J’ai demandé pardon à Sylvie, plusieurs fois. Elle m’a dit qu’elle savait que je n’avais pas le choix… C’est pour ma mère et pour elle que je me bats aujourd’hui », souffle Colette.

Mère et fille seront solidaires aux assises, face à leur ancien bourreau, qui nie l’intégralité des faits. Car ce n’est pas la perspective de raconter à la barre les terribles sévices sexuels, qu’elle a subis lors des dernières années, qui rend Colette anxieuse. « J’en ai bavé des années parce que je n’étais pas vierge à notre rencontre et qu’il en faisait une fixation », dit-elle simplement, évacuant le sordide, l’humiliation, la douleur de ce qui dépasse l’entendement. Ce n’est pas non plus le fait de faire face à son ex-mari. « Je n’ai plus peur », dit-elle, si fière de sa liberté conquise, de cette vie qu’elle trouve « simplement belle » sous le soleil de Montpellier. Non, le pire, c’est de savoir que Catherine, sa cadette, va soutenir son père et la traiter de menteuse. « C’est sûr, je vais pleurer », annonce Colette. Elle ne pourra pourtant pas verser de larmes : les coups ont totalement détruit son canal lacrymal.

source : LE PARISIEN