LIBREVILLE, 11 janvier (Infosplusgabon) – L’arrivée au galop des églises dites éveillées au Gabon est perçue avec scepticisme, au regard des pratiques partagées par leurs adeptes. Toutefois, si l’on note des bonnes pratiques, des dérives occasionnées par les fréquentations de ces «  nouveaux » lieux de cuite sont à déplorer.

La mission principale de l’Eglise est d’inculquer au genre humain la connaissance de Dieu et la crainte de ce dernier. Par extension, on parlerait de moraliser la société et servir d’aiguillon à cette dernière. Et sur ce point, en dépit de quelques cas isolés, la prolifération des églises éveillées au Gabon n’a pas failli à la tradition. Ce sont plus de 250 églises qui tiennent en haleine des fidèles à cheval entre la pauvreté et le suicide.

« On compte plus d’une personne qui hier, menait une vie de débauche, et qui aujourd’hui grâce à l’arrivée de ces églises, a pu recouvrer une vie responsable et respectable », témoigne Allogho Etienne, maître d’école à la retraite.

Dans tous les cas, poursuit-il, « les vertus cardinales dispensées au sein de ces « maisons de prière », ont agréablement et rarement transformé de nombreux foyers, de nombreuses familles, en réconciliant par le même temps de nombreux citoyens avec les droits et devoirs de la société ».

Allogho fait allusion aux lois qui régissent la société, le respect des autorités qui selon les saintes écritures, sont établis par Dieu. Mais le nombre croissant de ces églises éveillées multipliant par conséquent le nombre des adeptes, n’a donc à coup sûr pas permis d’assainir l’environnement socio-culturel du Gabon, malgré des reconversions spontanées. Plus étrange encore, de nombreux toxicomanes, sorciers, voleurs, bandits de grands chemins et autres instables sociaux se sont réinsérés dans la société.

Des pratiques peu orthodoxes en lieu « saint »
L’un des fâcheux revers de ces nouvelles églises, est leur soudaine transformation en lieu de business du sacré. De nombreux observateurs n’hésitent pas à dénoncer l’enrichissement sans vergogne de ces nouveaux leaders nés d’inspiration chrétienne, menant au dépend des fidèles, grande vie.

« Dans notre paroisse, le pasteur « exige » que nous reversions le cinquième de notre salaire à Dieu pour maintenir le lien spirituel et éviter d’être brûlé en enfer (..) », raconte Sylvianne Mbourou, veuve avec 6 enfants à charge. Avec l’introduction de certains « loups » dans « la bergerie du sacerdoce », sophistes de leur état qui maîtrisent bien le verbe et haranguent les foules, certains ménages ont été fragilisés car certaines réunions de prières se poursuivent dans la nuit, à des heures où les femmes devraient jouer leur rôle dans les foyers.

« Mais les nouveaux pasteurs n‘éprouvent parfois aucun scrupule à spolier hommes et femmes qui, en pensant servir l’église, contribuent plutôt à enrichir le « guide spirituel » au détriment de la communauté », déplore Moïse Nang, ancien Chrétien reconverti dans le Bwiti une société initiatique traditionnelle du Gabon. Des familles entières ont été ruinées dans cette vaste escroquerie morale et ntellectuelle. Dans certains de ces lieux, les pasteurs vont jusqu’à ériger le culte de la personnalité en règle absolue.

Le pasteur est l’Alpha et l’Oméga, avec privilège d’abuser de ces fidèles dans tous les sens du terme. Les femmes sont la cible privilégiée de ces lieux de prière car plus vulnérables, et plus intimement touchées par les difficultés de l’existence. « Elles pensent trouver auprès de ces églises des réponses aux questions touchant à la pauvreté, à la maladie, à la stérilité, à l’infidélité de leurs maris ou à l’abandon de leurs enfants par leurs pères », renchérit Samuel Dongo, menuisier à la retraite. « Le tapage nocturne entretenu par les églises éveillées n’est pas encore réprimé par la police malgré des avertissements répétés du maire de la capitale », se plaint un voisin d’une église.

Avec la récession économique, les « grands-messes » des télé-évangélistes américains et Allemands ont envahi les stades du Gabon, promettant les guérisons miraculeuses aux milliers de « croyants de toute foi », venus les écouter. Par la suite, ces rassemblements ont suscités l’indignation des élus locaux qui ont purement demandé pour leur part, l’interdiction de telles réunions. Pressé par les adversaires des sectes, le gouvernement va prendre des mesures pour mieux lutter contre les dérives sectaires.

Le regard d’un spécialiste des phénomènes sociaux. Le professeur Onanga Opapé, psychologue gabonais, a dénombré à Libreville une vingtaine de sectes qui, selon lui, « sont devenus des lieux de dépravation des moeurs et de détournement des consciences ». Opape pense que « le brassage des cultures et le désir de trouver des solutions aux problèmes de la vie quotidienne ont conduit les populations à se réfugier dans les sectes ». « Chaque fois que naît une situation, que les sociologues appellent î ‘anomie ou / ‘absence de normes, les gens ont besoin de se retrouver dans des groupes. Et lorsque ceux-ci ont des valeurs qui semblent novatrices ou fortes, les gens s ‘y réfugient », souligne Onanga Opapé. Certaines sectes pratiquent des rites mystérieux, des initiations et des conjurations étranges. « L ‘anachronisme des croyances en la réincarnation ou dans les esprits du bien ou du mal entraîne l’isolement de ces plus que croyants, par rapport à leur entourage et les renforce dans leur désir de vivre au sein des sectes », relève de son côté, le pasteur d’une église protestante qui a requis l’anonymat.
Mais le professeur Onanga Opapé tient à faire la différence entre « les sectes et les sociétés à caractère initiatique traditionnelle », religions qui existent depuis des milliers d’années. Pour lui, la Franc-Maçonnerie et la Rose Croix ne sont pas des sectes mais des « sociétés traditionnelles qui trouvent leur origine dans le temps ». Le gouvernement refuse de traiter comme religion les activités de certaines sectes et de guérisseurs. « Dans les zones rurales, ou la haine et la jalousie jouent souvent un grand rôle, les morts accidentelles, par exemples, ne sont pas admises et sont attribuées à « des pouvoirs pervers » d’un sorcier.

Une église avait été à moitié incendiée à la suite de la mort mystérieuse d’une fidèle. L’affaire avait fait grand bruit car une foule de parents de la victime avaient mis à feu cette église évangélique. L’enquête avait par la suite révélée qu’une tentative d’avortement opérée par le pasteur de 1’église, géniteur de la jeune fille, avait tourné au drame.

Le gouvernement gabonais voit en la prolifération des sectes, « une entrave à l’ordre public » et a chargé le ministère de l’Intérieur de réglementer « la pratique religieuse ». Lors d’un conseil des ministres tenu en novembre 1995, le gouvernement avait estimé que « ces sectes, qui se sont greffées aux grandes religions -catholicisme, protestantisme- du pays » provoquent une « entrave systématique à la liberté de conscience et à l’ordre public ».

Conformément à la Constitution qui stipule que la « libre pratique de la religion est garantie à tous sous respect de l’ordre public », le ministre de l’Intérieur avait été chargé en 1995 de préparer un projet de loi sur la pratique religieuse.

Antoine Lawson, Journaliste