Certes « la laïcité reste attaquée régulièrement par des demandes d’ouverture qui ne sont rien moins que des demandes de dérogations aux lois en vigueur. [..] Le durcissement des demandes des mouvements les plus conservateurs et intégristes montre que ceux-ci cherchent à ouvrir des brèches dans l’application de la laïcité. Ils testent la République et cherchent à instaurer le communautarisme », admet le rapport qui, parallèlement, atteste des difficultés dans plusieurs académies pour faire respecter la laïcité.
Le terrain est miné à défaut d’être réellement balisé. Le récent assouplissement prôné « au cas par cas » par Benoît Hamon, ministre de l’Education, le 12 mai dernier quant à la tolérance du port du voile pour les mères qui accompagnent les sorties scolaires – même si la loi contre le voile demeure en vigueur – a par exemple semé le trouble quant au pouvoir de décision des directeurs d’établissement en la matière.
La laïcité, une question avant tout de dialogue ?
Dans son discours du 8 avril François Hollande déplorait le manque de repères sur « la portée concrète de la laïcité ». « L’origine des interrogations sur la laïcité est : qu’est-ce qui est permis et n’est pas permis ? Qu’est-ce qui est acceptable et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Qui doit énoncer où sont les limites collectives et individuelles que le principe de laïcité interdit de franchir ? » Mais face à ces interrogations, et malgré l’existence de nombreuses lois, conventions, jurisprudences, chartes… les personnes interrogées par l’Observatoire assurent que la plupart des questions relatives au fait religieux peuvent être réglées par le dialogue, sous-entendu avant de recourir aux textes. Si plusieurs témoignages d’établissements et d’académies reconnaissent une recrudescence de certains faits plutôt que d’autres (port de la djellaba le vendredi pour certains garçons, jupes longues, gants, bandeaux cachant les cheveux pour certaines filles, refus d’assister à certaines sorties scolaires, certificat de complaisance pour la natation…), la loi du 15 mars 2004 sur les signes ostentatoires « serait bien acceptée et bien comprise malgré un très petit nombre d’incidents qui restent localisés », affirme le rapport.
Par ailleurs, dans cet état des lieux de la laïcité en France, sont pointées certaines dérives dans la façon dont les associations liées aux religions sont parfois financées par l’Etat ou les collectivités (la ville de Paris apporte des subventions à des crèches Loubavitch dont le rapport souligne « le prosélytisme très présent », les subventions au mouvement Civitas dont il souligne le caractère homophobe et séditieux), en constatant une importante défaillance des procédures de contrôle des associations subventionnées. Et de résumer en une phrase la position de l’Observatoire : « De façon générale nous continuons de défendre l’idée que seules sont réellement ouvertes à tous les publics et susceptibles de recevoir des subventions, les activités qui ne se revendiquent d’aucune religion ou d’aucune convention philosophique ou parti politique. »
En matière de laïcité, « ce principe constitutionnel qui juridiquement ne s’applique qu’à l’Etat, aux collectivités locales et aux services publics », le rapport mentionne rapidement l’épineux sujet du menu des cantines scolaires en rappelant la circulaire du 16 août 2011 qui réaffirme le service public facultatif des cantines scolaires, qui n’oblige en aucun cas les communes en matière de menus, « même si dans les faits les cantines scolaires proposent une diversité de menus avec ou sans viande ». « Il appartient à chaque organe compétent – conseil municipal pour le primaire, conseil général pour les collèges, conseil régional pour les lycées – de poser les règles en la matière. » Là aussi, la recherche du dialogue, en période de Ramadan par exemple, doit être privilégiée, au cas par cas : « Les solutions sont généralement élaborées, selon les situations, directement avec les usagers. »
Un principe aimable ?
Pour ce qui est des structures qui promeuvent la laïcité en France, le rapport fait état de peu d’associations qui représentent au niveau départemental l’Observatoire contre les dérives sectaires. La préfecture des Bouches-du-Rhône est la seule qui a recensé les organisations dédiées à la laïcité au sein des collectivités, même si le rapport relève plusieurs initiatives isolées dans le pays (entre autres Bas-Rhin, Cher, Pyrénées-Atlantiques).
Le rapport insiste sur le besoin de faire un énorme travail d’information, d’éducation, de pédagogie à tous les niveaux, pour que vive le principe de laïcité. « La laïcité ne peut se résumer à des interdits, elle doit être aussi promue, enseignée, vulgarisée. Il faut rendre aimable la laïcité », préconisait Jean Glavany, membre de l’observatoire, dans le rapport d’étape de juin 2013 citant l’expression d’Alain Bergounioux*. « Face à certaines dérives, il nous paraît que la seule réponse possible est la fermeté de l’Etat. Dans bon nombre de situations, il n’est plus temps de privilégier les solutions molles qui laissent des acteurs de terrain seuls dans un combat ou l’Etat non seulement ne les soutient pas mais sous-estime les difficultés qu’ils rencontrent », avance le rapport de mai 2014. Ferme mais aimable… la laïcité peut-elle résoudre cette dichotomie ?
Sandrine Toussaint
*Alain Bergounioux est l’un des trois rapporteurs de la mission de réflexion sur l’enseignement de la morale laïque de l’école primaire au lycée dont le rapport intitulé « Morale laïque : pour un enseignement laïque de la morale » a été remis à Vincent Peillon en avril 2013.
source : http://www.localtis.info/cs/ContentServer?pagename=Localtis/LOCActu/ArticleActualite&jid=1250267192727&cid=1250267176749