“Quand j’entends ‘sectes, non-problème’, cela me colle la chair de poule.” Même démentis, les propos prêtés à Emmanuelle Mignon (voir: Les sectes posent problème), directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy, n’en finissent pas de heurter les associations de défense des victimes de dérives sectaires et, en première ligne, les anciens adeptes. Sylvain (*), 38 ans, a vécu pendant cinq ans sous la coupe de la scientologie.

“Quand j’ai été approché par des scientologues, je n’avais pas confiance en moi. Au boulot je me laissais marcher sur les pieds. Alors, j’ai assisté à une conférence organisée par la Scientologie et j’ai trouvé des réponses dans les préceptes de Ron Hubbard.” Des réponses au prix fort. Séances d’étude à 50 euros de l’heure, rites de “purification” à 1.500 euros. “Pour pouvoir être ministre volontaire de la scientologie et faire du prosélytisme, j’ai dû moi-même acheter les plaquettes de présentation et les brochures pour ensuite les distribuer. Tout se paie en scientologie.” Sans compter le harcèlement dont a été victime l’ancien adepte avant de décrocher: “Coups de téléphone, mails, courriers de rappel à l’ordre. J’ai finalement quitté Paris.” Et même si le président de la République a prôné jeudi “la plus grande fermeté” vis-à-vis des sectes, Sylvain trouve que cette polémique s’inscrit dans un contexte “de clémence à l’encontre de la scientologie”.

Pas plus de 2 000 fidèles selon les RG

Si elle estime que la scientologie “a été propulsée au coeur d’un débat qu’elle n’a pas suscité”, Danièle Gounord, porte-parole de l’Eglise de scientologie de France, se félicite que la “France évolue enfin dans le bon sens et cesse peu à peu de diaboliser les scientologues”. Aujourd’hui, le noyau dur des adeptes ne compte, selon les Renseignements généraux, pas plus de 2 000 fidèles, mais elle se vante d’avoir 45 000 personnes répertoriées dans ses fichiers.

“La scientologie est en voie de normalisation”, souligne Catherine Picard. La présidente de l’Unadfi (Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu) se réfère aux récentes déclarations de Nicolas Sarkozy en faveur d’un toilettage de la loi de 1905 relative à la séparation des Eglises et de l’Etat; une évolution qui élargirait la notion d'”association cultuelle” à “toutes les spiritualités”. Un pas sur le chemin de la reconnaissance? “Le droit français ne reconnaît et ne définit aucune religion, seuls les avantages fiscaux distinguent les associations cultuelles des associations régies par la loi de 1901, indique Jean-Michel Roulet, président de la Miviludes (mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les sectes), et la loi de 1905 exige que l’activité des associations cultuelles soit exclusivement consacrée au culte, ce qui n’est pas le cas de la scientologie qui génère un véritable business.” Pour le moment, les scientologues hésitent à demander le statut d’association cultuelle, ce qui les obligerait à faire preuve de transparence et à subir des contrôles fiscaux.

Entrisme dans les entreprises

“Le lobbying sectaire gagne du terrain, soupire Catherine Picard. Certains hauts fonctionnaires participant à des commissions d’enquête sur les dérives sectaires minimisent systématiquement les dommages faits aux victimes, ils sont influencés par des responsables scientologues. Après, il ne faut pas s’étonner que dans l’entourage du Président on ne comprenne pas pourquoi la scientologie figure sur la liste des 172 sectes de 1995.”

Autre stratégie privilégiée par la scientologie: l’entrisme dans les entreprises. Le label Wise (World Institute of Scientology Enterprises) regroupe des milliers d’entreprises scientologues dans le monde. Et la France ne fait pas exception. “La scientologie est protéiforme, souligne Xavier Martin-Dupont, spécialiste des sectes, elle est active dans les secteurs porteurs comme la maintenance informatique, la formation, le coaching.” De grands groupes tels qu’Ikea ou Carrefour ont déjà été clients, à leurs dépens, de sociétés de ce type proposant des “itinéraires pédagogiques” ou des séminaires sur la stratégie d’entreprise. Récemment, la Ville de Paris aurait été approchée par une société de conseil en développement durable liée à la scientologie.

“Elle avance masquée

Celle-ci avance également ses pions en adoptant une stratégie de communication moins agressive que par le passé. “C’est en cela qu’elle gagne du terrain, affirme Jean-Michel Roulet, de la Miviludes. Elle a réussi en trois ans à lisser son image.” Roger Gonnet, ancien cadre scientologue, explique qu’elle cherche à apparaître comme “une association charitable bien sous tous rapports”: “Elle avance masquée en utilisant des associations prête-nom qui proposent des solutions sur des problèmes de société comme ‘Non à la drogue, oui à la vie’, ou encore la ‘Commission des citoyens pour les droits de l’homme’.” Cette association, qui manifestait hier devant l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, dénonce “les abus de la psychiatrie”.

“La scientologie surfe sur la thématique des droits de l’homme pour s’acheter une respectabilité”, dit Sylvain, qui a fait partie de l’association des jeunes pour les droits de l’homme. Celle-là même qui a piégé en décembre dernier la chaîne pour enfants Gulli et le réseau de salles de cinéma UGC en diffusant des spots publicitaires. Gulli et UGC ignoraient les liens entre cette association et la scientologie. “Cette tentative de passer par les droits de l’homme est un véritable trompe-l’oeil”, souligne Roger Gonnet.

“Nous ne savons pas sur quel pied danser, répond Danièle Gounord. Quand nous inscrivons la mention ‘association parrainée par l’Eglise de scientologie’, on nous taxe de prosélytisme, et quand on ne l’indique pas on nous accuse d’avancer masqués.” En s’affichant comme défenseur de grandes causes, la scientologie vise à passer à l’étape supérieure: être intégrée dans la société française comme un partenaire social à part entière.

(*) Le prénom a été modifié à sa demande.

http://www.lejdd.fr/cmc/societe/20089/l-offensive-feutree-des-scientologues-_97714.html