Dans un rapport paru jeudi 30 mars, la Cimade liste les effets des politiques migratoires de la dernière décennie sur les personnes migrantes.

En 2012, la Cimade, association d’aide aux personnes étrangères, avait interpellé les candidats à l’élection présidentielle. « Ça n’avait rien donné, c’est pourquoi cette année on veut plutôt interpeller l’opinion », explique son directeur général Jean-Claude Mas.

Outre une campagne d’affichage dans une cinquantaine de villes de France sur le thème « Les politiques migratoires dissuadent, méprisent, discriminent, précarisent, humilient, excluent… quand elles ne tuent pas, changeons-les ! », la Cimade a publié jeudi 30 mars son rapport bisannuel. Cette année, elle a choisi de se focaliser sur les conséquences des politiques migratoires sur les personnes et de faire le bilan non pas des deux années écoulées mais d’une décennie.

{{Sous-traitance de la politique migratoire}}

« La suspicion est au cœur des lois et des pratiques de l’administration qui, dès lors que la personne est étrangère, la soupçonne d’être un faux demandeur d’asile, un faux malade, un faux mineur… », explique par exemple Marie Henocque, une des expertes de la Cimade. S’ensuit une sorte de maltraitance ordinaire, qui sans parvenir à décourager les projets d’exil, aboutit à les rendre plus douloureux encore.

Le rapport instruit par exemple le procès de la sous-traitance de la politique migratoire à « des pays moins regardants en matière de droits » comme la Turquie, qui, avec l’accord de mars 2016, est censée empêcher les migrants de passer en Grèce. La Cimade critique le tri à l’œuvre dans les « hotspots en Grèce ou en Italie » ou même dans les pratiques françaises, ce qui aboutit à priver de protection un grand nombre de personnes particulièrement fragiles. Dont les mineurs isolés, théoriquement protégés par l’aide à l’enfance mais très souvent livrés à eux-mêmes.

Il s’insurge contre les violences policières pratiquées par exemple lors des évacuations, avec un usage « disproportionné du gaz lacrymogène ». Il critique aussi la généralisation de la « surveillance des personnes étrangères ». Par exemple, la loi du 7 mars 2016 autorise le préfet à demander toute pièce justificative à tout moment et non plus seulement au moment du renouvellement du titre de séjour.

{{La France championne du monde de l’enfermement des personnes étrangères}}

Parmi les nombreux autres exemples listés dans le rapport, il est aussi rappelé que « la France est championne du monde de l’enfermement des personnes étrangères ». Chaque année, de 45 000 à 50 000 personnes sont concernées. En 2016, 170 enfants ont eux aussi « subi le traumatisme d’un enfermement ». Le dispositif de placement en rétention administrative des personnes qui font l’objet d’une mesure d’éloignement a explosé sous la droite mais il n’a pas été remis en question sous la gauche, où par ailleurs les assignations à résidence, présentées comme des mesures alternatives, ont augmenté régulièrement.

De plus, affirme le rapport, la rétention est parfois utilisée « dans un but clairement illégal » pour démanteler les campements des exilés, écrit la Cimade, qui estime que 1 200 personnes ont été ainsi interpellées à Calais entre octobre et fin décembre 2015, puis emmenées vers sept centres de rétention administratifs avant d’être relâchées pour 95 % d’entre elles.

De plus, si les renvois effectifs de clandestins ne sont pas massifs, certains cas sont dramatiques. Et de citer le cas d’une famille afghane, qui après avoir eu un bébé en France, vient d’être renvoyée en Norvège, conformément au règlement Dublin, car c’est là qu’ont été enregistrées ses empreintes. Or, explique Marine De Haas, responsable des questions européennes à la Cimade, « la Norvège, qui a débouté cette famille du droit d’asile, expulse régulièrement vers l’Afghanistan, ce qui veut dire qu’ils risquent tous de se voir expulsés à Kaboul dans les prochains jours ».

{{Les mouvements migratoires sont « là pour durer »}}

« Globalement, quelles que soient les majorités qui se sont succédé, ces politiques ont provoqué les mêmes maltraitances car elles sont basées sur les mêmes fondements, qui consistent à considérer les migrations et les étrangers comme un problème et une menace », affirme Jean-Claude Mas. « Ce qui renforce de fait le camp de ceux qui prônent le rejet ou la haine, au risque de fragiliser encore plus la cohésion sociale », poursuit le rapport.

Aussi la Cimade appelle-t-elle à une « refonte en profondeur des politiques migratoires, en France comme en Europe », pour répondre à « la réalité des mouvements migratoires » qui « sont là pour durer ». « Refuser cette évidence, ou persévérer dans la seule vision sécuritaire, ne peut qu’accroître les tensions et les drames », ajoute l’association.

Nathalie Birchem la croix