La Provence
Un demi-siècle a passé, et presque rien n’a changé. Les statues brillent un peu moins, les temples ont perdu de leur superbe. Mais l’ambiance y est encore… pesante. Et le sujet toujours aussi perturbant au coeur du Verdon.

Du haut de sa montagne, le Mandarom continue de défier fièrement le reste de la vallée de Castellane. Et si la statue de Gilbert Bourdin ne trône plus sur le lac de Castillon, le spectre de l’autoproclamé “messie cosmo-planétaire” plane toujours au-dessus du lieu choisi pour ériger la “montagne sacrée”, il y a près de cinquante ans. Lorsque la cité sainte “Mandarom Shambhasalem”, est devenue le siège mondial de la religion aumiste.

C’est là, au bout d’un petit chemin s’enfonçant dans la colline du lieu-dit de la Baume, qu’ont été construites depuis 1969, statues géantes, temples oecuméniques et sculptures de métal toutes plus surprenantes les unes que les autres. Parce que l’aumisme “est une religion universelle qui unit tous les courants religieux de la Terre”, on y trouve le Christ, une mosquée, un Bouddha géant… et des archanges munis de pistolets cosmiques à l’entrée. “Il faut s’adapter à la modernité pour lutter contre les forces du mal”, nous explique-t-on.

Docteur Hamsah Manarah et Mister Gilbert Bourdin

Si l’aumisme veut prôner “l’Unité des Visages de Dieu”, son faciès le plus célèbre reste celui de Gilbert Bourdin, cet Antillais ancien prof de yoga. Ses yeux bleus ténébreux et ses tenues extravagantes avaient déjà fait du créateur des “Chevaliers du Lotus d’Or” un personnage hors du commun. Ses guerres nocturnes contre les démons de la Terre, les atlantes et les lémuriens – il aurait anéanti 550 milliards de créatures démoniaques selon ses dires -, ses incantations orchestrées autour du son “Ommm” et son autoproclamation comme étant “messie cosmo-planétaire” ont alerté l’opinion publique sur le fait que le Mandarom puisse être une secte (les Chevaliers du Lotus d’Or seront ensuite reconnus en tant que telle, NDLR).

Mais le coup de grâce interviendra en 1995, lorsque l’une des plus fidèles adeptes, Florence Roncaglia, déposera plainte contre son “maître” pour viol. C’est alors le début de la fin pour le seigneur Hamsah Manarah, qui renoncera à son titre quelques années plus tard, avant de “quitter son véhicule de chair” en 1998. Un décès qui a sonné le déclin du Mandarom, caractérisé par la destruction de la statue du messie en 2001 – grâce notamment aux actions en justice de Robert Ferrato, président de l’Association de protection des lacs et sites du Verdon.

Quasiment vingt ans après sa mort, les fidèles attendent toujours son retour comme… le messie. Il suffit d’écouter les panégyriques à la gloire de sa sainteté le seigneur Hamsah Manarah pour attester de son incessante présence dans les esprits des aumistes, désormais membres de l’association culturelle du Vajra Triomphant. Dont la présidente, Christine Amory-Mazaudier, continue de défendre les intérêts, mais sur des chemins différents de ceux empruntés par Gilbert Bourdin. “Moins on parle de nous et mieux l’on se porte”, affirme, légèrement agacée, celle qui est par ailleurs chercheur au CNRS.

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Sur les hauteurs de Castellane, quelques fidèles résistent encore et toujours aux envahisseurs – peu importent leur nature et leur provenance. Une petite dizaine y vit à l’année, quelques-uns les rejoignent le week-end pour prier et vouer un culte sans nom au “messie”. Sans compter les nombreux curieux qui font un détour pour visiter le site, décrit tant comme un village des religions que décrié pour être un simple parc d’attractions.

Aujourd’hui, et si les fidèles affirment le contraire, l’âge d’or du Mandarom est sans doute derrière lui. La disparition de Gilbert Bourdin a emporté avec elle l’espoir de nombreux adeptes. Et le projet de construction du grand “temple d’unité des religions”, sur le site de l’Ashram, n’est “plus d’actualité, car nous n’avons pas obtenu de permis de construire, dit encore Christine Amory-Mazaudier. Nous ne l’avons pas abandonné, mais en l’espèce, il est inconstructible”.

Tout simplement car le Plan local d’urbanisme de Castellane interdit l’élaboration de tels monuments dans le secteur. “Le PLU a été adopté sous Michel Carle (l’ancien maire, NDLR), et moi, j’applique simplement le droit, avance Jean-Pierre Terrien, l’actuel premier magistrat de la commune. Il n’est pas question, pour l’heure, de le modifier.” Et donc d’accorder un permis pour la construction du temple. C’était pourtant la condition sine qua non évoquée par le “messie cosmo-planétaire” pour qu’il puisse faire son retour…

Malgré l’absence du maître des lieux, la vie au Mandarom semble être un long fleuve tranquille. Mais l’arrivée probable de la réincarnation du messie dans un futur proche, comme le laissent entendre les fidèles, pourrait remettre la lumière sur un lieu qui reste entouré de bien des zones d’ombre.

La “fierté” de Robert Ferrato

Le 6 septembre 2001 restera, pour Robert Ferrato, comme le jour de la “victoire”. “Voir la statue tomber restera une vraie fierté pour l’association. On a réussi quelque chose d’impensable”, dit aujourd’hui le président de l’Association de protection des sites du Verdon. Mais près de 15 ans après, Robert Ferrato est toujours en procès avec le Mandarom, sur la construction du temple pyramide. “Ils ont construit une route pour y accéder, ils ont détruit un pan de la montagne. L’affaire est devant le tribunal de Grenoble, car le PLU l’interdit.”

Une enquête de Brian Orsini et Antoine Marigot

http://www.laprovence.com/article/actualites/3112908/la-cite-cosmique-du-mandarom-vue-de-linterieur.html