Le P. Géron commence par une citation d’Irénée, Père grec du IIe siècle, très connue pour montrer ce vers quoi toute l’existence de l’homme est tendue : « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme c’est de voir Dieu ». Il constate qu’il est impossible à l’homme de réaliser ce projet de Dieu sur lui. Ce projet – qu’il serait plus juste d’appeler dessein – consiste en la divinisation : le P. Géron se place donc dans le cadre de la théologie des Pères grecs. Il donne une définition de la divinisation : « la promesse que l’homme deviendrait dieu comme Dieu à la seule différence que Dieu l’est par nature et l’homme le serait par adoption. » Si le formateur à l’Agapè connaît quelques lieux communs des Pères de l’Eglise, on s’aperçoit que leur contenu lui échappe. Il nous faut donc nous arrêter sur la signification des expressions « devenir dieu » et « adoption », réunies ici en un raccourci saisissant qui ne tient aucun compte du sens des mots employés. Qu’en est-il pour les Pères grecs ? Nous portons l’empreinte de l’insaisissable divinité par le mystère qui est en nous, d’où notre incapacité à comprendre ce qu’est l’image de Dieu que nous portons en nous. Pour eux, participer à la vie divine présente en nous – ce que traduit l’image céleste -, devenir dieu par participation, est en étroite relation avec notre comportement moral ; nous devenons dieux par la charité. La déification est une participation libre et consciente à la vie divine ; c’est donc par les vertus qu’elle peut en quelque sorte se mesurer. Ainsi lorsque les Pères affirment que l’homme est créé participant de la nature de Dieu, ils disent que des semences de vertus se trouvaient naturellement en lui. Elles pourront grandir grâce au don du Saint-Esprit que le Christ nous fait lorsque nous l’accueillons dans la foi. L’Esprit, qui répand la charité dans nos cœurs, nous apprend non seulement à pratiquer les commandements de Dieu mais il nous procure aussi l’adoption filiale selon la grâce par la foi. Maintenant, nous possédons les arrhes de notre déification, mais elle ne sera plénière que dans le face à face. La déification est la vocation finale de notre existence ici-bas.

{{« L’homme vivant »… par le développement personnel ?}}

Il semble que toute cette approche de la déification des Pères ait échappé au P. Géron, puisque pour lui il faut « Accueillir un tel projet révélé par Dieu » en s’appuyant sur l’expérience de ceux qui nous ont précédés. La déification est présentée comme extérieure à l’homme, comme un projet à accueillir ; alors que nous étions en droit d’attendre qu’il soit question de la vie morale, des vertus. Elle est présentée comme un projet que Dieu met sous nos yeux, alors que l’Ecriture parle du dessein de Dieu : nous sommes discernés dans l’Agneau immolé avant la fondation du monde. Le projet en question se réalisera dans le futur, au Paradis. Il ressemble étrangement à une proposition qui nous serait faite pour guider notre vie : nous devons l’accueillir, la connaître, la réaliser et elle atteindra son achèvement à la fin. Il ressemble encore à un programme, un itinéraire, un idéal, qui nous serait présenté par Dieu pour que notre vie porte du fruit. Nous aurions un plan devant les yeux et nous le mettrions en acte dans notre vie de tous les jours, avec des moyens qui nous seraient donnés pour faire le chemin. Voilà la vie spirituelle telle qu’elle est présentée par le P. Géron. Elle est un déploiement de nos capacités que nous devons mettre en œuvre : « En les vivant ici-bas, nous serons comblés par la gloire de Dieu. Nous avons des capacités d’aimer, de connaître Dieu et notre prochain que nous ignorons souvent. Entrer dans la vie spirituelle c’est prendre en compte toute la dimension de sa personne humaine et la déployer selon ses meilleures aptitudes. » Nous avons peut-être ici son interprétation de l’homme vivant d’Irénée cité en commençant ? La vie spirituelle semble être une question de performance, de découverte et de déploiement maximum de nos capacités : la gloire de Dieu en sera la récompense. Ne serait-elle pas plutôt de l’ordre de la conversion, de la relation à Dieu ?

Sous couvert de retour à la richesse de la tradition, les Pères de l’Eglise sont récupérés pour justifier un recours au développement personnel ou autres doctrines similaires. Ce messianisme terrestre trouvera son prolongement et son achèvement dans un au-delà vu comme un accomplissement des capacités de l’homme.

{{Une théologie schizophrène à l’Agapè : L’être humain sous le regard de Dieu}}

Le P. Xavier Géron, prêtre en paroisse du diocèse du Puy-en-Velay et membre de la commission formation de l’association Anne-Peggy Agapè, est chargé des cinq formations sur la vie spirituelle : L’être humain sous le regard de Dieu ; La vie spirituelle ; Le combat spirituel ; Le discernement spirituel ; Le pardon. Ces formations s’adressent à tous ceux qui ont participé à une retraite Agapè et elles sont ouvertes tant aux non croyants qu’à des croyants non catholiques. Il est possible de s’inscrire à une formation, sans avoir suivi les autres, ce qui laisse supposer que le contenu de chacune forme un tout. La première formation porte sur L’être humain sous le regard de Dieu ; c’est celle qui nous intéresse ici.

La formation « L’être humain sous le regard de Dieu » est comme le portail d’entrée dans les formations à la vie spirituelles dispensées au Puy-en-Velay. Elle semble être le fruit de l’audit réalisé par le P. Humbrecht : il avait demandé de revoir l’anthropologie chrétienne de B. Dubois. L’anthropologie chrétienne, c’est l’étude de tout ce qui concerne l’homme et son environnement à partir de la foi chrétienne. En perspective chrétienne elle prend en compte la dimension transcendantale en tout homme ainsi que la dignité de la personne humaine en raison même de son origine : créée à l’image de Dieu. C’est donc une partie de la théologie. Les premiers points abordés par le P. Géron répondent à des questions sur l’origine et la destinée de l’homme ; sur sa dignité, sur le prix de sa vie. La question du mal et de la souffrance trouve bien sûr sa place.

Les questions suivantes sont plus surprenantes : Qui sommes-nous ? Comment fonctionnons-nous ? Quels sont nos ressors intérieurs, souvent cachés et que nous avons du mal non seulement à percevoir mais aussi à diriger ? Qui suis-je ? c’est la question à laquelle on est confrontée pour prendre le chemin de l’éveil, la question posée par les thérapies holistiques. Trouver son identité, sa place, reconnaître les comportements qui nous appartiennent et ceux dont on a hérité et remettre chacun (personnage et événements) à sa place réelle, voilà les questions posées par ces courants. Comprendre comment nous sommes et comment nous fonctionnons est aussi une question qui est au cœur de l’Analyse Transactionnelle.

Cette formation a pour but de « conduire à retrouver la joie de la beauté promise à tout homme. » Mais comment retrouver la beauté de l’image avec un pareil parcours ? Pourquoi se demander qui nous sommes après avoir parlé de la déification ? Comment retrouver notre beauté sans les vertus ? sans la foi, l’espérance et la charité ? Le Catéchisme de l’Eglise catholique décrit de façon claire et ramassée, le lien entre les vertus, humaines et théologales, et la participation à la nature divine – point de départ de la formation proposée à l’Agapè comme ouverture des formations à la vie spirituelle : 1812 Les vertus humaines s’enracinent dans les vertus théologales qui adaptent les facultés de l’homme à la participation de la nature divine (cf. 2 P 1, 4). Car les vertus théologales se réfèrent directement à Dieu. Elles disposent les chrétiens à vivre en relation avec la Sainte Trinité. Elles ont Dieu Un et Trine pour origine, pour motif et pour objet. 1813 Les vertus théologales fondent, animent et caractérisent l’agir moral du chrétien. Elles informent et vivifient toutes les vertus morales. Elles sont infusées par Dieu dans l’âme des fidèles pour les rendre capables d’agir comme ses enfants et de mériter la vie éternelle. Elles sont le gage de la présence et de l’action du Saint Esprit dans les facultés de l’être humain. Il y a trois vertus théologales : la foi, l’espérance et la charité (cf. 1 Co 13, 13). Le but d’une vie vertueuse consiste à devenir semblable à Dieu (S. Grégoire de Nysse, beat. 1 : PG 44, 1200D).

Pour X. Géron, par contre, la déification et le comportement de l’homme semble former deux rails parallèles.

Sœur Marie-Ancilla