LIBERATION 20 juillet 2009
Par EMMANUELLE STEELS
C’est la première région mexicaine où le président Felipe Calderón avait envoyé l’armée pour lutter contre les cartels de la drogue, en janvier 2007. Or, en deux ans et demi, malgré la présence des chars et des hélicoptères d’assaut, l’emprise des narcotrafiquants s’est inexorablement étendue sur le Michoacán. Cet Etat du centre du Mexique est aujourd’hui mis à feu et à sang par le cartel de La Familia, qui s’en est pris avec une férocité extraordinaire à la police fédérale : pas moins de seize agents massacrés en quatre jours, en guise de riposte à l’arrestation de l’un des chefs de l’organisation Arnaldo Rueda.
Vendredi, malgré l’échec de sa stratégie exclusivement policière et militaire contre le crime organisé – un parti pris critiqué de manière presque unanime par la classe politique – le gouvernement a ordonné l’envoi immédiat au Michoacán d’un renfort de 1 500 policiers et 4 000 soldats qui seront déployés «par mer, par terre et par air» pour contenir les actions violentes des narcos. Sur place, les autorités diffusent des messages appelant la population à dénoncer de manière anonyme les membres de La Familia.
Corps empilés. Quinze attaques contre les forces de l’ordre en quelques heures, le 11 juillet, et douze policiers fédéraux assassinés en un seul jour le lendemain, leurs corps empilés au bord d’une route : un palmarès terrifiant pour un cartel qui n’est apparu qu’en 2005 et qui reste relativement méconnu. Il est à peine question de La Familia dans la dernière Radiographie des organisations de narcotrafiquants, un document élaboré par le ministère mexicain de la Sécurité publique. Ses destinées étaient autrefois liées et subordonnées à celles des Zetas, d’ex-militaires formant le cartel le plus violent du pays qui a lancé la mode de décapiter ses adversaires. Avide d’asseoir son monopole dans plusieurs régions du centre du pays, comme Michoacán et Guanajuato, la Familia s’est récemment émancipée des Zetas et s’est forgée sa propre réputation de groupe sanguinaire.
Ce qui a propulsé la notoriété de La Familia au Mexique, ce ne sont pas seulement ses faits d’armes violents mais son caractère unique d’organisation mystico-criminelle, mi-cartel mi-secte. Le groupe recrute ses adeptes par le biais d’un mélange de religion et de morale, le tout teinté de harangues patriotiques. «Ce sont des personnages contradictoires. Ils vendent de la drogue et assassinent mais affirment avoir une profonde foi en Dieu», écrit le journaliste mexicain Ricardo Ravelo dans son livre L’héritage maudit, qui présente un panorama des cartels mexicains. A maintes reprises, les membres de La Familia ont justifié leurs méfaits en invoquant le «nettoyage social» qu’il leur incomberait de mener à bien. En assassinant des policiers, qu’ils considèrent comme la scorie corrompue de la société, ils agiraient pour le bien du pays. Les tueurs de ce cartel n’hésitent pas à se présenter comme le bras armé de la «justice divine». Ce discours simpliste est prioritairement destiné aux jeunes paumés, susceptibles de se transformer en sicarios (tueurs) disciplinés. Pour mieux les hypnotiser, la Familia impose à ses membres des séminaires de développement spirituel ainsi que la lecture des textes de John Eldredge, un des gourous américains du dépassement personnel.
Moralité. Animée de ses prétendues bonnes intentions, La Familia pense se hisser au-dessus de la masse des vulgaires bandits qui se consacrent au trafic de drogue, un négoce auquel elle estime avoir insufflé une dose de moralité. Mercredi, gonflé à bloc par sa soudaine célébrité, le cartel a perpétré un coup d’éclat médiatique : un des chefs de l’organisation est intervenu en direct lors d’une émission de télévision pour expliquer les récents agissements de la bande et réclamer le soutien de la population. Celui qui s’est présenté sous le nom de Servando Gomez Martinez a exhorté le président Felipe Calderón à négocier avec les narcotrafiquants pour rétablir la paix et la tranquillité au Mexique. Mais il ne s’agissait pas d’agiter un drapeau blanc : le narco a confirmé à l’antenne que La Familia continuerait à assassiner les policiers qui se dressent sur son chemin.
Tout récemment, huit maires et dix-neuf fonctionnaires du gouvernement régional de Michoacán ont été inculpés pour leurs liens présumés avec La Familia, à laquelle ils auraient accordé leur protection. Le frère du gouverneur, en fuite, travaillerait aussi pour le cartel. Au regard de son passé récent, le Michoacán, dont est originaire le président Calderón, est le paradigme de l’écrasante supériorité des narcos sur l’Etat, qu’il s’agisse de leur force de frappe ou, tout simplement, de leur capacité à corrompre