MARION MOURGUE
QUOTIDIEN : mardi 26 février 2008

La barre symbolique a été franchie ce week-end : plus de 100 000 personnes et organisations ont désormais signé «l’appel laïque» initié le 4 février par la Ligue de l’enseignement contre les «atteintes à la laïcité de la République» que constituent les «déclarations récentes de Monsieur Sarkozy, mêlant ses convictions personnelles et sa fonction présidentielle». Des signataires qui, après le discours de Latran du Président, le 20 décembre, et celui du 14 janvier à Riyad, en Arabie Saoudite, «rappellent solennellement que, selon l’article 1er de la Constitution, la France est une République indivisible, laïque et démocratique et sociale» (lire ci-dessous).

«Cohésion». Parmi les premiers à juger «inacceptable la mise en cause de ce principe indispensable à la paix civile» , figurent les syndicats de l’enseignement, la FSU, le Sgen-CFDT, l’Unsa éducation, les confédérations syndicales CGT, CFDT, mais aussi le Grand Orient de France, la Libre Pensée, la Ligue des droits de l’homme…

Tous craignent une modification du contenu de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat. «C’est un sujet sensible qui touche à l’identité des personnes et la cohésion sociale. Jusqu’à présent, un équilibre avait été trouvé. Y toucher, c’est prendre le risque d’un mouvement de grande ampleur» , juge Pierre Tournemire, secrétaire général de la Ligue de l’enseignement.

Et les pétitionnaires de s’inquiéter de voir que, en recevant le 20 décembre le titre de chanoine honoraire de l’église romaine de Saint-Jean de Latran, Nicolas Sarkozy prend ses distances avec la conception de la «laïcité à la française» , incarnée par la loi de 1905.

Ballons d’essai. Le message de félicitations envoyé hier à quatre diacres traditionalistes ordonnés à Latran (lire page ci-contre) ne devrait pas les rassurer. Dans son discours, le chef de l’Etat avait insisté sur les «racines chrétiennes de la France» et vanté une laïcité dite «positive» , c’est-à-dire «qui, tout en veillant à la liberté de penser, à celle de croire et de ne pas croire, ne considère pas les religions comme un danger, mais un atout».

Moins d’un mois plus tard, lors de son déplacement en Arabie Saoudite, Nicolas Sarkozy exalte l’héritage «civilisateur» des religions. Le 20 février, c’est au tour de la directrice de cabinet du président, Emmanuelle Mignon, de créer la polémique. L’hebdomadaire VSD rapporte ses déclarations selon lesquelles les sectes sont un «non-problème» en France.

Résultat, la France laïque se mobilise, inquiète de voir Nicolas Sarkozy accorder une place croissante aux croyances. A tout le moins suspicieuse de le voir lancer des ballons d’essai pour évaluer le soutien de la France religieuse. «Les réactions aujourd’hui ne touchent pas forcément des gens hostiles au religieux» , précise Pierre Tournemire, ravi de faire «la démonstration que la laïcité suscite toujours beaucoup de réactions dans la société.» Un constat partagé par le secrétaire général de l’Unsa-éducation, Patrick Gonthier : «On a senti un grand trouble dans l’opinion publique, y compris dans le camp de la majorité». Il ajoute : «Malgré ou grâce à Nicolas Sarkozy, on voit que la laïcité reste un vrai débat de société.»

«Populaire». Daniel Robin, co-secrétaire général du Snes précise que l’appel «n’est pas qu’un mouvement d’humeur, mais la mise en place d’une structure de vigilance pour répondre à toute tentative de modification de la loi de 1905». Jean-Michel Quillardet, grand maître du Grand Orient de France évoque même la possibilité d’organiser un mouvement équivalent à celui de janvier 1994, quand 1 million de personnes avaient manifesté dans la rue contre la révision de la loi Falloux, qui limite l’aide des collectivités locales aux établissements privés.

Quatorze ans plus tard, «les réactions du mouvement laïc traversent les clivages politiques. Le Président l’entend bien» , souligne Jean-Michel Quillardet. Il traverse aussi les âges. «C’est même assez étonnant , reconnaît Charles Conte, chargé de mission laïcité à la Ligue de l’enseignement. La pétition traduit un vrai mouvement populaire avec des signataires de tous les âges, que l’on ne connaissait pas forcément avant.»

Tous les jours, la Ligue de l’enseignement vérifie et enregistre 5 000 nouvelles signatures. Le Mouvement de la jeunesse rurale chrétienne, animé par des responsables de 20 à 30 ans, a lui aussi décidé de se joindre à l’appel. « On assume pleinement notre identité chrétienne. Mais on l’inscrit dans une société laïque, condition selon nous pour que chacun puisse vivre sa foi pleinement» , conclut la présidente, Audrey Massié.

«Le temps des discours inquiétants et des paroles est passé», analyse Christian Eyschen, secrétaire général de la Libre Pensée, les signataires attendent maintenant de voir si les déclarations du Président se traduiront en actes. Prêts, dans cette hypothèse, à bondir pour défendre la loi de 1905.

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