Lorsqu’un officier traitant rencontre et dirige un informateur, l’opération à laquelle il se livre s’appelle une « manipulation ». L’ancien flic d’Anvers, Bart Debie, condamné pour brutalités policières, racisme
et falsification de procès-verbaux, devenu conseiller « sécurité» de
Filip Dewinter, déclare avoir espionné le Vlaams Belang pour la Sûreté de l’Etat. Il s’est visiblement retourné contre son « manipulateur » car habituellement ce sont choses qu’on n’avoue pas.
Alain Winants, patron de la Sûreté de l’Etat, est lui aussi victime
d’une manipulation, avec une rafale de « fuites» qui attaquent la crédibilité de son service. Alain Winants a laissé entendre que ce remue-ménage pourrait avoir pour origine sa succession.
{{GRIFFES.L’administrateurgénéral de la Sûretéde l’Etat a laissé
entendre que les fuites s’inscrivaient dans le contexte de sa succession}}.
{{Certains voient déjà en Cédric Visart de Bocarmé, ancien chef de cabinet de Joëlle MilQuet (cOH), le successeur d’Alain
Winants ))}}
En fonction depuis 2006 à la tête de la Sûreté de l’Etat (SE), ce magistrat du parquet général de Bruxelles, d’obédience libérale et laïque, a été prolongé. Il est partant pour un second mandat. L’information est une donnée essentielle du pilotage d’un Etat. Même
si la Belgique se caractérise par une culture médiocre du renseignement
(on s’en fout ou on s’en méfie), la fonction a pu éveiller d’autres appétits que le sien.
Beaucoup de postes opérationnels sont actuellement à pourvoir au sommet de l’appareil sécuritaire de l’Etat, ce qui pourrait expliquer
la nervosité ambiante: Sûreté de l’Etat, direction générale de la police judiciaire fédérale, direction du SPF Justice, bientôt le procureur général de Bruxelles et le procureur fédéral …
La place d’administrateur général de la SE n’est pas encore déclarée
ouverte à candidature mais les spéculations vont bon train. Certains voient déjà en Cédric Visart de Bocarmé, ancien procureur
général de Liège, ancien chef de cabinet de Joëlle Milquet _ (CDH) à l’Intérieur et, avant cela, de Stefaan De Clerck (CD&V) à la Justice, le successeur d’Alain Winants. Il est actuellement chargé des relations internationales au parquet fédéral.
Logiquement, c’est un francophone qui doit prendre les rênes de la Sûreté puisque les deux derniers patrons, Alain Winants et Koen Dassen, étaient flamands.
Le directeur de l’analyse de la SE, véritable numéro 2 de la boîte, Robin Libert, est nordiste (et conseiller communal Open VLD à Mortsel), ainsi que le directeur des opérations. Le poste d’administrateur général-adjoint, que vient de quitter un socialiste francophone, est du genre décoratif.
A la Défense, le patron du service secret de l’armée (SGRS), le général-
major Eddy Testelmans, est, lui aussi, un néerlandophone. Et ce n’est pas la présidence du comité permanent de contrôle des services de renseignement (comité R) exercée par Guy Rapaille, étiqueté PS, qui va rééquilibrer l’ensemble.
Rien ne prouve, cependant, que l’administrateur général de la Sûreté
de l’Etat soit visé en particulier, mais plutôt son institution.
Comme l’a dit Annemie Turtelboom (Open VLD), ministre de tutelle de la Sûreté de l’Etat, « la divulgation d’informations classifiées peut nuire au fonctionnement de l’Etat, à la position des informateurs et à la réputation internationale de la Sûreté de l’Etat. Cette situation pourrait
également avoir des conséquences au niveau de la procédure judiciaire
à l’encontre de l’Eglise de scientologie qui doit être menée au printemps ». Qui ne veut pas du bien à la SE ? Les milieux nationalistes
flamands, la Scientologie et tous les secteurs hostiles à la Belgique ou à son ordre constitutionnel. A priori, beaucoup de monde. Les auteurs des
fuites ne sont pas des serviteurs dévoués de l’Etat belge, certes, mais ils pourraient émaner de ses rangs car s’ils ont bien reçu et fait « fuiter » des rapports secrets, c’est qu’ils avaient qualité pour les recevoir. Et intérêt à les diffuser. Cela fait beaucoup de monde à enquêter.
{{Autopsie des fuites}}
Sortis des mains de la SE le 11décembre 2012, le premier rapport
litigieux (L’Eglise de scientologie : infiltration de la communauté
congolaise ou d’origine congolaise de Belgique. Implantation en République démocratique du Congo) n’a été divulgué par la Dernière
Heure que le 17janvier 2013. Le rapport décrit les contacts douteux
qu’entretient la secte américaine avec quelques personnalités
d’origine congolaise, dont le fantasque Bertin Mampaka (CDH), vice-président du parlement bruxellois et conseiller communal de Bruxelles, ou encore Justine Kasa-Vubu, fille de l’ancien président Joseph KasaVubu.
Les deux sont qualifiés de « recrues de choix ». A travers les milieux bruxellois congolais, la secte chercherait, selon la Sûreté, à obtenir un soutien pour son action au Congo, notamment dans l’Est, en faveur du mouvement M23. Seules six personnes ont reçu ce rapport: la ministre
de la Justice, le ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders (MR), l’ambassadeur de Belgique au Congo, le président du SPF Affaires étrangères, son directeur sécurité et son directeur Afrique. L’Autorité nationale de sécurité est chargée de l’enquête.
S’agit-il d’une manoeuvre politique destinée à gêner Joëlle Milquet,
chef de file bruxelloise du CDH et qui pioche, de notoriété publique, dans le réservoir de voix pentecôtistes et black de la capitale? La ministre de l’Intérieur semble avoir été touchée à un endroit sensible car elle a réclamé sans tarder la révision des « priorités» de la SE et l’intervention du gouvernement dans la définition de celles-ci. Le
député fédéral Georges Dallemagne (CDH) lui a emboîté le pas, se demandant « si le renforcement de l’implantation de l’Eglise de scientologie au Congo constituait une priorité de sécurité pour la Belgique », alors que le radicalisme (musulman) est à nos portes.
{{Le 2 février, nouvelle fuite.}}
Elle bénéficie, cette fois, à deux journalistes politiques du Morgen et
n’embarrasse plus autant le CDH,ce qui fait dire à certains que l’entouragede ce parti en est l’auteur,en guise de représailles ou
pour favoriser la candidature deVisart ? L’espionnage se prête à
tous les fantasmes. Les extraitsde L’Analyse de phénomène relative
aux activités d’ingérence nondirigées par un Etat, un rapport
de 130 pages, portent une nouvellecharge de dynamite: la description
des manigances de la« sciento » auprès de personnalités,surtout flamandes et plutôtde droite. Cette fuite est encore plus tardive que la première.
Le rapport a été envoyé le le, OCtobre 2012 à 42 ou 43 personnes
disposant d’une habilitation de sécurité aux quatre coins de l’Etat
belge et il ne « sort» que le 2 février. Il a été aussi distribué à
25 autres personnes, dans ou autourde la Sûreté. Cela fait un paquet
de 67 personnes visées parl’enquête ouverte au parquet de
Bruxelles.
Le contenu de cette dernière fuite interpelle: rien ou peu sur la secte Sahaja Yoga, qui a perdu son procès en appel contre le Centre
d’information et d’avis sur les organisations sectaires nuisibles
(CIAOSN) ; rien sur les Frères musulmans, que l’on sait pourtant
très actifs dans le monde francophone. La scientologie est
surtout un« sujet» côté flamand, où certains éléments de la droite
pro-américaine et ultra-libérale sont sensibles au langage managérial
et élitiste de la secte qui se désespère, malgré les dollars
déversés, de ne pas être reconnue comme une religion dans la
capitale de l’Europe. A qui profite le crime? Pas sûr qu’on le
sache si vite, mais cette grande manipulation à plusieurs inconnues
va impliquer pour la Sûreté de l’Etat de resserrer les boulons
à tous les niveaux: nombre de destinataires de ses rapports, prudence
accrue dans la citation de noms de personnes, justification de ses thèmes de recherche .•
source : LE VIF du 13 février 2013
par MARIE-CÉCILE ROYEN