{{MONFLANQUIN (47)-OXFORD. Pour Me Daniel Picotin, alors que l’affaire des reclus a commencé en septembre 2001, il aura fallu attendre mars 2009 pour qu’elle soit enfin prise au sérieux par la justice}}

{{Onze Aquitains issus d’une famille connue en Lot-et-Garonne et en Gironde se sont ruinés financièrement, psychologiquement, affectivement et professionnellement sans que la justice ait, semble-t-il, pu agir dans leur intérêt pendant des années. Comment en est-on arrivé là ?}}

Daniel Picotin. Lorsque, début 2004, Jean Marchand, conjoint de Ghislaine de Védrines, est venu m’exposer comment les siens s’étaient retirés du monde, vendant au fil du temps tous leurs biens, il a été limpide pour moi qu’il s’agissait d’une affaire de manipulation mentale. Compte tenu de la qualité des personnes victimes de cette situation et de leur nombre au sein de la même famille, sur trois générations, il s’agit, à ma connaissance, d’un cas d’école unique en Europe. Les cas de manipulation mentale, plus nombreux qu’on ne l’imagine, sont des situations difficiles à faire comprendre au grand public, mais aussi aux professionnels puisque, en l’espèce, la justice est pratiquement restée aveugle durant huit ans, malgré les différentes mises en garde. Le législateur n’ayant jamais voulu définir en droit ce qu’est une secte, nous avons un véritable problème de qualification juridique. Il en va de même pour la manipulation mentale, qui n’existe pas comme un délit. Le Parlement n’est, au final, pas allé au-delà du délit d’abus de faiblesse dans le cas de « sujétion psychologique », introduit dans la loi About-Picard, dont seule la victime directe peut vraiment se prévaloir. Les membres des familles sont donc impuissants lorsqu’un de leurs membres est manipulé.

L’absence de délit de manipulation mentale explique-t-elle tout dans l’affaire des « reclus de Monflanquin, puis d’Oxford » ?
Non. La France donne le sentiment d’avoir baissé la garde en matière de lutte contre les sectes. Au plus haut niveau de l’État, certaines personnes avaient laissé entendre que des mouvements tels que la Scientologie étaient un non-problème… Au-delà de la justice, on pointe des faiblesses réelles du côté du ministère de l’Intérieur, notamment à la Direction des cultes.

Les associations de terrain, l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu (Unadfi) et le Centre contre les manipulations mentales Roger-Ikor (CCMM, dont Infos sectes Aquitaine est l’antenne régionale), déplorent que, depuis quelques années, les cellules départementales de vigilance qui avaient été instaurées soient fondues dans des « fourre-tout » et, la plupart du temps, ne se réunissent plus (1).

Heureusement que, dans ce contexte négatif, le Premier ministre, François Fillon, a réitéré sa confiance dans l’intérêt de conserver le travail de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). De surcroît, il a fait un excellent choix en nommant à sa tête Georges Fenech, magistrat et ancien député. Parmi ses préconisations, ce dernier parle de modifier le point de départ de la prescription de l’action publique, ce qui paraît très intéressant. Il souligne aussi le manque de formation continue des magistrats, travailleurs sociaux, enquêteurs et avocats. Malheureusement, force est de constater que M. Fenech se heurte à divers blocages gouvernementaux et, au final à un manque de moyens pratiques.
Pourquoi les associations de lutte contre les dérives sectaires ne suffisent-elles pas à mener la lutte ?

Elles sont actuellement de plus en plus démunies, par manque d’aide des pouvoirs publics. Cette situation est inadmissible car, si les Renseignements généraux ne s’occupent plus des sectes au niveau de l’État et si les associations sont réduites au silence, qui s’emploiera à lutter vraiment contre ce fléau social ? On accorde des moyens pour le cancer, le sida et la drogue, mais le phénomène sectaire peut concerner n’importe quelle famille française à un moment ou à un autre. En Aquitaine, nous avons la grande chance que notre action ait été comprise et encouragée par Alain Juppé, maire de Bordeaux, et Alain Rousset, président du Conseil régional. Lorsque j’ai créé, il y a quelques années, Infos Sectes Aquitaine/CCMM, ils nous ont immédiatement et toujours soutenus.

Ensuite, certains départements – tels que la Gironde, les Landes et les Pyrénées-Atlantiques – ont apporté leur contribution… Seule la Dordogne et, faut-il s’en étonner ? le Lot-et-Garonne n’ont jamais apporté leur aide. Décidément, ce dernier département semble sinistré en termes de compréhension du phénomène sectaire ; pourtant, je peux témoigner qu’il s’y passe beaucoup de choses. S’il s’avère que le procès des « reclus de Monflanquin » s’ouvre un jour devant la cour d’assises, on sera étonné de voir comment les diverses autorités de ce département ont longtemps, et jusqu’à récemment, traité l’affaire – sans parler de certains officiers ministériels de la région ou agents d’affaires. Il y a eu un aveuglement et un tandem « ignorance-incompétence » proprement stupéfiants.

Par contre, lorsqu’il s’est agi de sanctionner le journal « Sud Ouest » pour atteinte à la vie privée, la justice a été présente en accordant 24 000 euros aux manipulés de Monflanquin. Il y a fort à parier que cet argent a fini sur les comptes bancaires du gourou dans un paradis fiscal… La justice a été moins dynamique pour poursuivre la plainte portée par Jean Marchand, président du festival Musique en Guyenne, dont l’actif avait été détourné au profit du gourou pour finir, selon toute vraisemblance, sur un compte dans les îles Caïmans… Il s’agissait pourtant d’argent public. Il faudra qu’un jour ou l’autre on puisse s’en expliquer, ne serait-ce que pour éviter qu’une telle situation se reproduise.

Comment voyez-vous l’avenir de la lutte contre les dérives sectaires ?
Il faut que le Parlement et le gouvernement reprennent sérieusement l’initiative. Il y a quelques semaines, une vive discussion s’est instaurée entre les ministères de l’Intérieur et de la Justice et la Miviludes, qui souhaite créer une cellule d’intervention mobile composée de policiers, de gendarmes, de médecins, de psychologues. C’est effectivement une excellente initiative, car il faut bien comprendre que l’on ne peut pas lutter contre certaines sectes internationales puissantes comme dans d’autres domaines ordinaires de la délinquance. Cela se rapproche plus de l’antiterrorisme que du droit commun. Pour traiter du dossier des « reclus de Monflanquin », j’ai dû longtemps travailler seul et me suis résolu à me faire aider par une cellule, que j’ai créée en Aquitaine, d’« exit councellor » sur un modèle américain ; on pourrait traduire cela par « conseiller en sortie de secte ».

Le dossier présente de multiples facettes. J’ai eu recours à une psychanalyste pour comprendre le mode opératoire de la manipulation mentale, et donc la manière d’ouvrir les yeux des victimes restantes, mais aussi à un notaire, à un ancien banquier, à un policier de haut niveau, à un ancien membre des RG, à une assistante sociale… J’ai incité les trois membres de la famille qui sont sortis à consulter une victimologue et criminologue qui s’est révélée très utile pour leur reconstruction psychologique.

Ce sont des dossiers lourds, que l’on doit travailler de manière interdisciplinaire. Comme par hasard, il semble qu’il y ait un barrage de l’actuel ministère de la Justice et également de certains services du ministère de l’Intérieur contre des initiatives de la Miviludes. Dans les colonnes de « Sud-Ouest », le 8 avril dernier, j’ai appelé le Premier ministre, au nom d’Infos sectes Aquitaine, à rendre un arbitrage favorable à la Miviludes pour la création d’une cellule opérationnelle, indispensable dans ces situations délicates. Si une telle cellule opérationnelle avait été en place, cela aurait sans doute pu nous aider dans cette affaire très délicate.

(1) Infos Sectes Aquitaine, 6, rue Buhan, BP 30140, 33037 Bordeaux Cedex. Tél. 05 56 44 25 58 (aquitaine@.ccmm.asso.fr).
Sud Ouest : Propos recueillis par Dominique de laage