LE MONDE | Article paru dans l’édition du 09.07.08

La communauté des Béatitudes, une association née en 1973 dans la mouvance du Renouveau charismatique catholique, n’en finit pas d’embarrasser la hiérarchie catholique et intéresse désormais la justice. Rappelée à l’ordre par le Vatican, la communauté, qui compte quelque 1 500 « frères et soeurs » répartis en « maisons » dirigées par un « berger », joue sa survie, alors que s’accumulent les mises en cause pour ses dérives sectaires.

L’un de ses anciens responsables religieux a été mis en examen en février pour agressions sexuelles sur mineurs ; en mai, les membres, religieux et laïcs, de l’abbaye de Bonnecombes (Aveyron) qui l’ont dénoncé, ont été suspendus de leurs droits communautaires par le modérateur général des Béatitudes. Mais la publicité donnée à ces agissements, connus dans la communauté depuis plusieurs années, met au jour d’autres affaires de pédophilie.

Un jeune homme, qui accuse des membres de la communauté de diverses dérives, notamment à caractère sexuel, a été récemment entendu par des enquêteurs de l’office central pour la répression des violences aux personnes. Cette audition pourrait relancer les enquêtes sur une dizaine de suicides de personnes proches des Béatitudes survenus ces dernières années. D’autres anciens adeptes, qui dénoncent des manipulations mentales, doivent aussi être entendus par la police.

C’est dans ce contexte que les responsables de la communauté ont été convoqués le 5 juin au Vatican, où le Conseil pontifical pour les laïcs a pris acte de la « crise » que traverse la communauté, et appelé ses responsables à davantage de « discernement » et de « clarté ».

Régulièrement critiquée pour son organisation ambiguë, regroupant dans les mêmes « maisons » des laïcs – célibataires et couples avec enfant – et des religieux, la communauté n’a visiblement pas tenu compte des directives vaticanes émises ces derniers mois ; et l’Eglise n’a pas su les imposer. Début juin, le Conseil pontifical a donc rappelé que le mode de vie des « premiers chrétiens », modèle revendiqué par les Béatitudes, ne prévoyait pas à proprement parler de « vie commune » et qu’il fallait garantir à chacun « une véritable autonomie et intimité, sans subir des envahissements inadéquats ». Sur ce point, le Vatican mettait en garde en 2007 contre « les situations ambiguës et contraires à la morale chrétienne » et s’était offusqué que l’on parle au sein des Béatitudes « d’enfants communautaires ». Quant aux laïcs, ils doivent « effectuer un travail (rémunéré) et renoncer à utiliser l’habit monacal ». A l’avenir, les religieux devront donc vivre séparés des laïcs.

Réputée pour sa propension à mélanger accompagnement spirituel et suivi psychologique, la communauté doit aussi, selon le Vatican, éviter « toute dérive dans la pratique confuse de thérapies psycho-spirituelles », s’abstenir « des soi-disant charismes extraordinaires » – imposition des mains, hypnose – et renoncer aux systèmes de formation « très douteux et parfois presque ésotériques ». Toutes pratiques qui ont favorisé dès l’origine l’emprise psychologique des responsables sur certains membres.

{{LOGIQUE D’ENFERMEMENT}}

« C’est une communauté qui a grandi vite. Il ne faut pas s’étonner qu’il y ait des tâtonnements », note Mgr Joseph Boishu, membre de la commission chargée des mouvements charismatiques à la Conférence des évêques de France, qui évoque l’action positive des Béatitudes « au service des pauvres et de l’évangélisation ».

Pour les membres de la communauté mis sur la touche après la dénonciation du religieux pédophile, la gestion de la crise aux Béatitudes est symptomatique d’un malaise dans l’Eglise. « C’est nous que l’on traite en criminels, car tout le monde a peur d’un scandale de pédophilie comme aux Etats-Unis », juge Muriel, une des laïcs qui a porté l’affaire devant la justice. A demi-mots, l’épiscopat français, apparemment impuissant, constate surtout la logique d’enfermement des responsables de la communauté. Sollicités, ces derniers n’ont pas souhaité s’exprimer.

La fin d’une communauté comme les Béatitudes signerait l’échec de l’Eglise dans sa tentative de renouveler les formes d’engagement apparues dans les années 1970 et encouragées par le Vatican. « L’Eglise ne peut pas se payer le luxe de voir mourir une communauté nouvelle à l’heure où disparaissent les communautés anciennes », estime un connaisseur du monde catholique. Lors de leur prochaine assemblée générale en novembre, les Béatitudes devront évoluer ; ou disparaître.

Stéphanie Le Bars