La kabbale est-elle à la mode ? Ces dernières années, depuis que Madonna et d’autres stars s’intéressent au Centre de la kabbale (un organisme américain controversé, implanté un peu partout dans le monde), la version hollywoodienne de la mystique juive fait régulièrement l’objet de reportages et d’enquêtes. Il est chic de porter le « fil rouge », un remède contre le mauvais œil donné comme « kabbalistique ». Mais dans les petites salles où elle est enseignée et pratiquée, loin des paillettes et des accessoires, la kabbale se révèle aussi riche qu’exigeante, complexe et difficile à appréhender. « Ne demande jamais ton chemin à quelqu’un qui le connaît, car tu ne pourrais pas t’égarer », disait Rabbi Nahman de Bratslav, illustre kabbaliste d’Europe centrale au XVIIIe siècle.

Pour comprendre la mystique juive, il convient donc de s’y égarer. Un dimanche soir, au centre Aleph, un lieu associatif et culturel juif à Paris : devant plus de cent personnes, le rabbin Marc-Alain Ouaknin, professeur d’université, philosophe et écrivain, avance une nouvelle interprétation de la première lettre du livre de la Genèse , beth, le B hébreu qui, dans cette langue, est aussi un mot. Pendant quatre heures, il va parler d’Emmanuel Levinas, d’un marteau, de talmudistes « foulosophes », de généalogie, du mode « provocatif » et bien sûr du Livre.

Ce travail riche et prolixe conduira à deux interprétations du début de la Bible. Selon la première, le texte commence ainsi par un « peut-être », un questionnement : l’interprétation montre en quelque sorte qu’il est essentiel d’interpréter. La seconde, fondée sur le sens premier du mot beth («maison»), en fait « la possibilité même de l’humain » : « La Torah , souligne le professeur, commence par la nécessité pour l’homme d’avoir une maison, parce que la maison offre la possibilité de la pudeur, du caché. C’est parce qu’il y a de l’intime qu’il y a homme. » Deux interprétations complémentaires d’une lettre primordiale, comme un petit résumé de la pratique kabbalistique de Marc-Alain Ouaknin. Un art multidisciplinaire, fondé sur la maîtrise des textes et des outils de la kabbale .

Une éthique de la relecture perpétuelle des textes sacrés

Rachel a été séduite par cette approche. « Ça élève l’esprit ! J’y trouve de la poésie, un humanisme, une réflexion sur la philosophie et la religion. Marc-Alain est un penseur qui fait des liens entre différentes disciplines, un religieux qui va au-delà de la religion, qui n’est pas du tout dogmatique », s’enthousiasme-t-elle. Un autre étudiant, l’artiste Jean Daviot, explique pour sa part ce qu’il a trouvé dans la kabbale : « Une ouverture de perspectives, qui m’a beaucoup aidé dans mon travail. Parce que l’art, c’est d’abord de la lumière ! » La lumière infinie de Dieu, l’un des sujets les plus importants de la kabbale .

Cette mystique juive est officiellement née au XIIIe siècle en Espagne, avec le Zohar, le « livre de la splendeur » : une exégèse ésotérique du Pentateuque, rédigée par Moïse de Léon sous le nom d’un grand rabbin du IIe siècle, Siméon Bar Yohaï. Mais selon les kabbalistes, elle remonte à des temps bien plus anciens : Adam lui-même, le premier, l’aurait transmise de génération en génération en soufflant le secret des lettres hébraïques, des lettres investies des « étincelles divines », débris de la lumière infinie. Par ses actes, par l’étude et le travail sur les textes, le kabbaliste participe au tiqqoun, le rétablissement de cette lumière dispersée, et donc de l’unité primordiale.

Il s’agit ainsi d’une spiritualité de l’étude, d’une éthique de la relecture perpétuelle des textes sacrés. « C’est un travail acharné, de patience et de concentration. Il faut revenir des dizaines de fois sur les textes, et à chaque fois, on comprend de nouvelles choses », note Albert Soued, 70 ans, ingénieur à la retraite qui s’intéresse à la kabbale depuis une vingtaine d’années. Passionné par les symboles, l’homme donne régulièrement un petit cours dans son appartement ou celui d’un des élèves. Lydie fait partie de ceux-là : « captivée », c’est pour elle une manière de chercher Dieu. « On peut essayer de l’attraper par des moyens humains, dit-elle, et la kabbale en est un bon. »

Une étude patiente, une spiritualité imaginative

D’autres cours existent, organisés sur le même principe, par petits réseaux d’amis. « C’est un problème, et en même temps le grand avantage de la kabbale est qu’il n’y a pas de hiérarchie », relève Georges Lahy, éditeur à Aubagne (Bouches-du-Rhône). Ce spécialiste de la kabbale a créé un concept : la « bio-herméneutique ». « J’applique sur le corps la manière kabbalistique d’étudier un texte », explique-t-il. Avec Marc-Alain Ouaknin, ami dont il partage l’idée que « l’important, c’est le questionnement », il développe une technique de méditation hébraïque. Professeur lui aussi (il donnait récemment des cours au Québec et en Suisse), Georges Lahy connaît l’enseignement des fameux Centres de la kabbale . S’il ne tient pas à accabler un mouvement déjà très contesté, il note que le Rav Berg, fondateur de ces centres, « édulcore beaucoup ». « C’est difficile, dit-il, la kabbale . »

À Paris, de toute façon, le Centre local de la kabbale « tourne un peu au ralenti », selon l’aveu de Yossef Guedj, membre californien de l’organisation. Si une vingtaine de personnes suivent le cours du lundi soir, dans un lieu richement décoré, le reste du temps aucune permanence n’est assurée. « Les gens ne sont pas contactables ici, remarque l’Américain, ils n’aiment pas être embêtés au téléphone, tout ça… » Le public français rejetterait-il les tarifs élevés du Centre, ses présentoirs emplis de livres de Berg, son site Internet qu’on dirait strictement marchand ?

 

 

 

 

 

 

 

 

Peut-être ce public trouve-t-il simplement son bonheur dans les nombreux cours proposés depuis des dizaines d’années en France. Les grands et les petits parmi ces cours n’ont pas connu de hausse spectaculaire de leur fréquentation, qui reste constante. Dans l’étude, patiente et créative, des textes. Pour une spiritualité de l’imaginaire et du « quoi ? ».