{ {{Le président de la Mission de lutte contre les dérives sectaires envisage de dresser des listes de mouvements potentiellement dangereux, contre l’avis de l’intérieur}} }
L’antagonisme ne date pas d’hier. Matignon et la Miviludes, d’un côté, s’opposent au bureau des cultes, qui dépend du ministère de l’intérieur, de l’autre (1). En jeu, deux conceptions différentes de ce que doit être la lutte contre les sectes. Mardi 19 mai, Georges Fenech, le président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, a tenté de faire prévaloir sa vision des choses.
Dans un entretien au Figaro, il a annoncé son intention de « créer un référentiel regroupant les structures à dérives sectaires avec un descriptif de leurs méthodes, leurs pratiques, leurs démêlés avec la justice ». Un projet auquel le ministère de l’intérieur est formellement opposé, comme en témoigne un courrier que vient d’adresser Michèle Alliot-Marie aux préfets.
En 1995, l’Assemblée nationale avait publié une liste de 170 mouvements qualifiés de sectes, suscitant une vaste controverse. Se retrouvaient là des groupes disparates (dont certains pleinement reconnus par les Églises), épinglés pour des raisons obscures sans avoir eu la possibilité de faire valoir leur point de vue. Certains obligeront d’ailleurs les députés à se déjuger.
Cet épisode sera en partie à l’origine, en 2002, du recentrage de la politique de lutte contre les sectes, avec la création de la Miviludes, dont le gouvernement veut désormais placer l’action « dans le champ des libertés publiques, et non plus dans celui d’un combat militant », explique-t-on alors à Matignon. Plus question de partir en guerre contre tous les groupes suspects : désormais, ce sont les « agissements attentatoires à l’ordre public, aux droits de l’homme ou aux lois » qui doivent être surveillés. Une consigne incompatible avec la constitution de « listes ».
{{Des « référentiels »}}
Il ne s’agira pas de « listes », mais de « référentiels », a plaidé mardi Georges Fenech en présentant le rapport annuel de la Miviludes. La différence ? « Il s’agit, lorsque nous sommes saisis de plaintes – c’est-à-dire qu’il y a un danger réel – d’ouvrir des dossiers, des référentiels qui serviront à répondre aux maires, aux présidents de conseils généraux, etc., quand ceux-ci nous interrogent sur tel ou tel mouvement. Nous avons déjà commencé, et répertorié environ 200 mouvements ou pratiques qui posent un problème. Il devrait y en avoir 500 ou 600 à terme. Ces référentiels seront à disposition des professionnels qui pourront venir les consulter dans nos locaux. Ils respecteront le contradictoire : les organisations seront informées du fait qu’elles sont répertoriées et leurs observations seront versées au dossier. »
Pour Georges Fenech, cette façon de procéder est conforme à l’objectif assigné à la Miviludes, à savoir « informer sur les structures qui posent un problème ». « Seule la question de savoir si nous devons publier ce référentiel est soumise à l’arbitrage de Matignon », précise-t-il.
D’après nos informations, le premier ministre n’a pas encore tranché. Et pour cause : lors d’une réunion interministérielle, le 11 mars dernier, le ministère de l’intérieur a émis de fortes réserves à l’idée de listes qui, de source bien informée, « stigmatiseraient certaines organisations, provoqueraient la réaction de plusieurs associations cultuelles, et dont, par ailleurs, la valeur ajoutée en matière de police administrative serait limitée ».
Pour preuve, ce courrier adressé le 15 mai par Michèle Alliot-Marie aux préfets, préfets de police et directeurs de la police et de la gendarmerie et ayant pour but le « renforcement du caractère opérationnel » de la lutte contre les dérives sectaires : « Comme vous le rappelait ma circulaire du 23 janvier 2009, je vous demande de privilégier, dans votre action, la logique visant à rechercher et à qualifier juridiquement les faits pouvant être réprimés, et non une logique de liste de mouvements susceptibles de commettre des dérives sectaires. »
Le ministère estime par ailleurs que ce dispositif risque de contrevenir à la Convention européenne des droits de l’homme, notamment à l’article 9 qui protège la liberté de pensée, de conscience et de religion.
Marianne GOMEZ et Anne-Bénédicte HOFFNER
(1) Cf. « Révolution culturelle dans la lutte antisectes », de Raphaël Liogier, dans Le Monde du 4 mars 2008.
LA croix , 19.05.09