[http://sciencesetavenirmensuel.nouvelobs.com/hebdo/parution/p757/dossier/a419594-la_peur_de_langoisse_un_marché_porteur.html
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Fleurs de Bach, iridologie…, de multiples méthodes prétendent aider à vivre moins tendu. Visite chez un spécialiste de « médecine quantique ».
« Une consultation ? Généralement à Sciences et Avenir, vous traitez plutôt des sciences… bien établies ! » Pas la peine d’insister. Je n’obtiendrai pas mon rendez-vous avec ce spécialiste de « médecine quantique », louée par les tenants des méthodes alternatives comme une « révolution thérapeutique » supposée particulièrement efficace contre le stress. Alors, pas d’autre choix que de prendre l’apparence d’un anonyme dévoré par le stress ! Cette fois monsieur B., bioénergéticien à Paris, accepte de me recevoir dans son cabinet. S’il pratique bien la « médecine quantique », censée rétablir mon équilibre énergétique, il n’a – de son propre aveu – pas la moindre formation médicale. Qu’importe, la séance commence par « un scanner électro-interstitiel » sur la machine EIS Softmed Technology qui doit mesurer différents paramètres du liquide circulant entre les cellules de mon organisme. Me voilà assis, pieds et mains posés sur quatre électrodes en forme de plateau avec deux électrodes supplémentaires collées sur le front. En moins de deux minutes, un bilan physiologique complet m’est remis avec diagnostic à la clé. Résultat : « C’est normal que vous soyez stressé ! Vous avez des petits trous dans l’intestin par lesquels les substances toxiques passent dans le corps au lieu d’être évacuées. Et vous perdez de l’énergie. Tous les vaccins et les antibiotiques que vous prenez depuis l’enfance en sont la cause », m’explique monsieur B. en lançant l’impression du compte rendu complet.
Un « vrai-faux » bilan de santé, caricature des résultats d’un laboratoire d’analyses médicales. D’un côté les mesures, de l’autre les valeurs normales : concentrations ioniques de mon organisme (sodium, potassium, magnésium…), niveaux de mes neuromédiateurs cérébraux (sérotonine, dopamine, catécholamines… ) et hormones en tout genre (cortisol, DHEA, TSH, insuline…). «Cette pratique relève de l’exercice illégal de la biologie et de la médecine. En plus, il n’y a pas de spécificité entre la mesure réalisée avec un courant électrique et les différentes valeurs données par l’appareil. Ces mesures ? ?interstitielles’ n’ont aucune valeur en médecine !», explique le professeur Francois Trivin, qui dirige le service de biologie de l’hôpital Saint-Joseph à Paris, et vice-président du conseil national de l’ordre des pharmaciens. Pourtant de ce pseudo-bilan, ressortent trois menaces qui pèseraient sur moi : un état anxio-dépressif, une hypertension angiotensinogène et une malabsorption intestinale.
Un diagnostic stressant que va confirmer un deuxième appareil, l’instrument incontournable de la médecine quantique, le système Life de la société XEDE. Cette fois, monsieur B. m’invite à m’allonger, à nouveau bardé d’électrodes, sur une table d’examen recouverte d’un « tapis de magnéto-modulation » (sic) dont je ne saurai rien de plus. Avant de commencer, il agite un pendule au-dessus d’une réglette posée sur mon ventre et graduée en « bovis », une échelle utilisée en radiesthésie. « 3000 bovis ! Normal que vous soyez stressé. En dessous de 6500 bovis, c’est la maladie assurée. Ne vous inquiétez pas, je vais remonter vos niveaux d’énergie », lance-t-il. Une goutte d’huile essentielle de Ravensara sur la gorge « pour ouvrir [vos] chakras, afin de laisser passer l’énergie » et me voilà parti, mal installé, pour une heure d’impulsions électriques à travers le corps. Je me relève avec un torticolis et une furieuse envie de fuir. L’examen final au pendule est sans appel : « 15 000 bovis ! Ca se voit à votre tête que vous allez beaucoup mieux ! » Je quitte le cabinet, une pseudo-ordonnance signée en poche contenant une prescription et un bon de commande pour me procurer mon traitement auprès d’un laboratoire de phytothérapie. Coût de la consultation : 80 Euros auxquels devraient s’ajouter 82 Euros pour les gélules aux plantes. Hélas ! monsieur B. n’est pas un nouveau Dr Knock isolé. En France, une trentaine de praticiens – dont trois médecins – sont équipés du système LIFE, vendu environ 15 000 Euros. Sans compter ceux dotés de matériels concurrents. En particulier le SCIO d’EPFX pour lequel la FDA (l’administration américaine pour la sécurité des produits alimentaire et de santé) a lancé une alerte en septembre 2009 (1) afin de stopper son importation, ses allégations médicales étant jugées trompeuses et frauduleuses. Rien de tel en France où le SCIO ne fait l’objet d’aucune alerte officielle et reste commercialisé, « 17 940 Euros ! », m’indique l’un de ses distributeurs en Bretagne.
Le terrain de l’évaluation du stress apparaît lui aussi comme un marché porteur. La société TNR propose ainsi le Stressomètre Comby (de 487 à 687 Euros selon les options), un appareil inventé par Bruno Comby, polytechnicien et spécialiste de physique nucléaire. « Le nec plus ultra de la santé préventive : la mesure du tremblement nerveux au repos (TNR) évalue votre niveau de stress avec précision et vous apprend à le contrôler », claironne la publicité. Voire… « Evaluer le stress demande de croiser une multitude de mesures : des questionnaires, des entretiens individuels, l’observation des conditions de travail mais aussi des marqueurs biologiques par des dosages d’adrénaline dans les urines, de cortisol salivaire ou encore la mesure de la fréquence cardiaque », précise Laurence Weibel, neurobiologiste, spécialiste de la prévention du stress au travail à la Cram Alsace-Moselle. Une simple machine ne saurait donc suffire…
Les iridologues affirment, eux, repérer le stress à l’oeil nu, dans l’iris de leurs clients. « S’il y a trois anneaux dans l’iris, c’est un terrain spasmodique, donc favorable au stress », affirme monsieur V., iridologue formateur dont les séminaires sont facturés 200 Euros les deux jours. Pourtant, aucune recherche n’a permis de montrer l’efficacité de l’iridologie (1). Même verdict pour le reiki (de 40 Euros à plus de 100 Euros la consultation), une méthode venue du Japon et dont les praticiens transmettraient une mystérieuse énergie vitale par imposition des mains au-dessus de la zone malade. Deux récentes études ont conclu sans détour que le reiki n’avait aucune efficacité (1). C’est dans un magasin bio que se termine ma quête. Une vendeuse me propose « la » solution efficace : « les fleurs de Bach » et en particulier le Rescue (« sauvetage »). Une macération de fleurs mélangée à du cognac dans un flacon de 10 ml. « Dès que vous êtes stressé, mettez quatre gouttes sous votre langue. C’est sans danger. » Sans danger et sans effet. Une étude de mai 2009 (1) a montré que les fleurs au cognac n’ont aucun bénéfice pour la santé. A 13 Euros le flacon de 10 ml, soit 1300 Euros le litre, cela fait cher le placebo !
(1)Alerte FDA sur le SCIO EPFX (en anglais) www.accessdata.fda.gov/cms_ia/importalert_231.htm
(2) Munstedt K, El-Safadi S, Bruck F, Zygmunt M, Hackethal A, Tinneberg HR: Can iridology detect susceptibility to cancer? A prospective case-controlled study. J Altern Complement Med. 2005 Jun;11(3):515-9
Ernst E. Iridology: not useful and potentially harmful. Arch. Ophthalmol. 2000 Jan;118(1):120-1
(3) A systematic review of the therapeutic effects of Reiki.
http://pediatric-pain.ca/professional/international-Forum/pdf/15.pdf
(4) Bach Flower Remedies for psychological problems and pain: a systematic review.
+ www.biomedcentral.com/1472-6882/9/16
Olivier Hertel
Sciences et Avenir