Les catholiques brésiliens
Au Brésil, le catholicisme n’est pas un bloc homogène : on trouve les catholiques traditionnels (catholicisme romain, catholicisme populaire), la théologie de la libération, les catholiques charismatiques, les catholiques apostoliques brésiliens et, enfin, ceux qui se définissent comme catholiques mais en fait ne le sont pas.
Déclarer « je suis catholique » équivaut, pour certains, à dire « oui, je suis Brésilien même si, en fait, je pratique des cultes afro-brésiliens ». Le catholicisme est la « religion publique » d’un certain nombre des Brésiliens qui ne déclarent pas leur véritable croyance (religion privée). On sait par exemple que, selon une enquête statistique de l’IBGE, parmi ceux qui se déclarent « catholiques apostoliques romains » se cachent beaucoup d’umbandistas, adeptes d’un culte syncrétiste, très diffusé dans les classes sociales populaires, mêlant catholicisme, spiritisme et héritage indigène. Les umbandistas n’assument pas leurs croyances et évitent de déclarer leur appartenance religieuse.
Parmi les 64,4 % des Brésiliens qui se proclament catholiques, il y a plusieurs cas de figure : ceux qui ne pratiquent pas assidument, ceux qui pratiquent régulièrement, ceux qui vont à l’église seulement pour les fêtes, ceux enfin qui sont croyants mais qui ne se rendent jamais à l’église. Ces 64.4% se concentrent plus fortement dans les États du nord et du nord-est du Brésil, et chez les moins de 25 ans et les plus de 41 ans. L’esprit communautaire de la religion (le terme « église », du grec ekklesia, signifie assemblée, rassemblement) diminue, et la croissance est principalement mécanique : elle est due à un phénomène démographique et n’est pas fondée sur de nouvelles conversions. Il n’y a cependant aucune désertion des églises.

Les protestantismes
On distingue les protestantismes historiques – les luthériens, les baptistes, les presbytériens, les méthodistes – des nouveaux protestantismes, qui reprennent soit les dénominations des protestantismes historiques, en y rajoutant la mention « renovados » (« rénovés »), soit se disent « évangéliques ».
Le protestantisme historique est le troisième groupe religieux au Brésil ; il est surtout présent dans les classes « B », « C » et « D », et il est composé principalement d’hommes de plus de 41 ans. Il est très peu diffusé parmi les plus jeunes, notamment à cause du ralentissement démographique des protestants historiques.
Parmi les évangéliques, on compte les pentecôtistes et les néo-pentecôtistes. Les pentecôtistes sont le deuxième mouvement religieux du Brésil. Dans l’État de San Paolo, il y a 13,59 % d’évangéliques pentecôtistes contre seulement 2,81 % d’évangéliques traditionnels. Les femmes y sont surreprésentées, et leur niveau d’éducation est assez bas : « fundamental incompleto », le plus souvent. Rares sont les évangéliques diplômés, et rares sont aussi les évangéliques analphabètes. Les évangéliques se retrouvent surtout dans les classes « C » et « D », mais pas dans les classes « A », « B » et « E ». La moyenne d’âge est plus basse que dans le protestantisme traditionnel et le catholicisme.
Bien sûr, ces mouvements sont très variés : certains se positionnent comme des protestantismes historiques tout en célébrant la messe à la façon des évangéliques et en adoptant leurs techniques de propagande. De façon générale, ces derniers sont beaucoup plus présents médiatiquement que les catholiques, se livrant à un véritable « marketing religieux » et à une concurrence féroce. En outre, certains d’entre eux (25%) ne se relient pas à une des Églises évangéliques en particulier.
Il s’en faudrait de peu pour que le Brésil, fort de ses 200 millions d’habitants, soit à la fois le plus grand pays catholique du monde et le plus grand pays évangélique. L’évènement le plus significatif des quatre dernières décennies relatif au panorama religieux du pays, est la fragmentation et la réorganisation du christianisme à la faveur des principales Églises pentecôtistes – dont l’Assemblée de Dieu, qui a gagné 4 millions d’adeptes entre 2000 et 2010, à la défaveur de l’Église néo-pentecôtiste Universal do Reino de Deus. Cette dernière, tout en ayant une très forte visibilité dans les médias, a néanmoins perdu en dix ans 300 000 adeptes. Les shows produits par ces Églises sont vendus à des télévisions étrangères et on les retrouve sur le petit écran en Inde, au Mexique et au Nicaragua.
D’après le sociologue de la religion Périclès Andrade, les shows de la foi marchent moins bien que les petites communautés où tout le monde participe, à l’instar des Communautés ecclésiales de base mises en place par la théologie de la libération. Si les évangéliques attirent autant, c’est qu’ils ont – selon Andrade – la flexibilité de s’adapter à leur public : « Dans un moment marqué par d’innombrables problèmes sociaux, sont offertes des réponses qui soulagent les angoisses de millions d’individus ».
Catholiques contre évangélistes ?
La première réaction de l’Église catholique face aux évangéliques a été de les considérer comme des sectes, tandis que les théologiens de la libération ne voyaient pas ces mouvements d’un mauvais œil, du moment qu’ils pouvaient contribuer à diffuser les valeurs chrétiennes. La hiérarchie catholique s’est cependant retrouvée face à un danger : perdre ses fidèles, et perdre sa place.
L’Église de la Renovação Cárismatica (Renouveau charismatique), qui fait partie de l’Église catholique apostolique romaine, est un large courant inspiré par Vatican II dans les années soixante et soixante-dix. Il donne une place fondamentale à la présence de l’Esprit Saint, censé inspirer la communauté réunie. Au Brésil, cette Église s’est construite en réaction aux mouvements pentecôtistes, et a renouvelé en profondeur la vie communautaire catholique. La Renovação Cárismatica a repris des éléments pentecôtistes – la doctrine de l’Esprit Saint, la glossolalie (le don mystique de parler en langues), la guérison et la cure des âmes. Elle a aussi emprunté au savoir-faire pentecôtiste l’utilisation et l’habile maniement des moyens de communication et de propagande de la foi. Les messes ont un style évangélique – moins de lectures et davantage de scénographie (gestes, musiques) – et reflètent une expérience religieuse où l’émotivité joue un grand rôle. Au protestantisme traditionnel a été en revanche reprise l’idée de conversion personnelle : on promeut ainsi l’idée d’une ré-adhésion à l’Église catholique, même si l’on est déjà catholique par tradition familiale et que l’on a été baptisé. Le fait que la Renovação Cárismatica se situe dans le giron du catholicisme lui permet récupérer des fidèles pentecôtistes.
Les « sans religion »
En 2002, les « sans religion » étaient 12,5 millions, et, en 2010, 15 millions (8 %). Il s’agit de personnes ayant un niveau d’éducation élevé qui appartiennent aux classes « A » et « C », généralement de jeunes adultes de moins de 40 ans, et surtout des hommes (2 hommes pour 1 femme). Sans être forcément anticléricaux, les « sans religion » n’ont aucun lien avec une religion instituée – une conséquence de la sécularisation et de l’urbanisation. L’augmentation du nombre de « sans religion » ne veut cependant pas dire que la religion est en berne et que les Brésiliens ne croient plus. On ne peut nier une augmentation du nombre d’athées, mais celle-ci est beaucoup plus faible que ce que les chiffres semblent dire. En réalité, une part des « sans religion » croit dans un dieu sans croire dans une religion. Comme le dit Andrade, « toujours plus les religions perdent de leur capacité de réguler la vie de leurs adeptes, qui optent pour des choix personnels de consommation de biens symboliques, faisant du “bricolage” de diverses religions, sans appartenir à aucune religion institutionnalisée. Il n’est pas difficile de voir dans un foyer des images catholiques, Bouddha, duendes, orixás, figas (divinités afro-brésiliennes), entre autres biens symboliques ».
Il ne faut pas oublier les « spirites », qui constituent 2% de la population interrogée par le recensement en 2010. C’est une fraction infime de la population, caractérisée par le niveau socio-éducatif le plus homogène et élevé.

source : Le Monde des Religions
Sociologie

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Ruggero Gambacurta-Scopello – publié le 19/07/2013
http://www.lemondedesreligions.fr/savoir/la-religion-au-bresil-2-3-19-07-2013-3280_110.php